Pontivy Florence et Bertrand : seuls face au suicide de leur fils
Florence et Bertrand, une mère et un père face au suicide de leur enfant, Hugo, 15 ans. Et ce besoin de sortir du silence. Parce que leur histoire doit servir à quelque chose.
Dernière mise à jour : 06/02/2014 sur http://www.pontivyjournal.fr/2014/02/07/florence-et-bertrand-seuls-face-au-suicide-de-leur-fils/
Témoignage > Florence et Bertrand Lehuédé de Pontivy
Seuls face au suicide de leur fils
Florence et Bertrand, une mère et un père face au suicide de leur enfant, Hugo, 15 ans. Et ce besoin de sortir du silence. Parce que leur histoire doit servir à quelque chose.
Hugo avait 15 ans et demi. Lycéen à Pontivy, il était sensible et passionné. Et avait un rêve : devenir pilote d’hélicoptère. Mais il a aussi traversé une crise d’adolescence. A subi de plein fouet une déception amoureuse. Et s’est donné la mort le 5 avril 2013. Dix mois plus tard, ses parents Florence et Bertrand Lehuédé, sortent de leur silence. Avec l’ambition de faire bouger les choses…
« On a besoin de dire les choses »
Pourquoi ressentez-vous le besoin de vous exprimer aujourd’hui ?
Nous avons besoin de verbaliser ce que nous ressentons. Notre participation à l’émission Allo Docteurs sur France 5 a été un déclic, le 20 janvier dernier. Nous voulons également alerter l’opinion publique, mais aussi et surtout les élus locaux parce que nous considérons que, dans notre histoire, les choses ne se sont pas déroulées comme cela aurait dû l’être. D’abord dans la prise en charge de nos jeunes adolescents en souffrance. Le suicide, c’est un sujet tabou. Encore plus s’il s’agit d’enfants. Nous ne sommes pas persuadés que tout soit mis en œuvre dans le domaine de la prévention. En comparaison des actions mises en place pour lutter contre les addictologies ou encore en faveur de la sécurité routière. Et puis il y a ce sentiment qu’au drame, s’ajoute un autre drame…
« On est abandonné »
C’est-à-dire…
Au décès d’Hugo, on s’est senti abandonné. Abandonné par une société qui ne nous vient nullement en aide. Aucun dispositif n’est prévu pour accompagner les familles. Les services de l’État ne s’attachent nullement à saisir une assistante sociale pour accompagner les familles en deuil ; l’inspection académique ne mandate pas une psychologue scolaire pour le suivi du frère ou de la sœur ; l’employeur ne saisit pas davantage le médecin de prévention au sein de la structure professionnelle ; les élus locaux, en première ligne, n’assurent aucun lien avec les milieux hospitaliers (urgences médico-psychologiques). Seule la CAF prend contact avec vous pour vous signifier, sept jours après les obsèques d’Hugo, qu’étant donné que vous n’avez plus qu’un seul enfant, les 128€ que vous perceviez par mois pour vos deux fils sont supprimés ! La précipitation avec laquelle agit l’administration dans des circonstances aussi douloureuses est d’une particulière indécence.
Vous auriez aimé être davantage accompagnés…
Dans ce genre de situation, on a besoin de toutes les aides possibles. Nous en avons reçu bien évidemment de la famille et des amis. La perte d’un enfant, c’est un traumatisme, une souffrance inexprimable. Le choc psychologique vous anéantit. Et c’est pourtant aux parents qu’il appartient de se tourner vers les professionnels et les associations. Pourquoi n’existe-t-il pas à Pontivy par exemple, un élu-référent qui aurait la charge d’aider les familles dans leurs démarches.
« On a culpabilisé »
Vous en voulez donc à quelqu’un ?
Il y a plusieurs étapes. Comme tous parents responsables, nous avons, en premier lieu, culpabilisé. Qu’est-ce que l’on n’a pas fait ? Qu’est-ce qui nous a échappé ? Et puis on revient sans cesse sur ce qui s’est passé. On veut essayer de comprendre. Et l’on s’aperçoit que ce 5 avril, c’était comme si tout s’était mis en place pour que l’issue soit fatale. Pourquoi le médecin psychiatre qui lui a prescrit un antidépresseur (1) ne nous a pas mis en garde sur la dangerosité de ce médicament. Aujourd’hui en effectuant des recherches, des études indiquent très clairement qu’un adolescent a deux fois plus de risques d’avoir des comportements suicidaires quand il prend un antidépresseur. Surtout en début de traitement. Dans une société où le principe de précaution est le préalable à toute décision, on ne comprend pas. Du jour où Hugo a pris ce médicament, il n’a plus jamais verbalisé d’idées suicidaires mais il s’est donné la mort, en début de traitement, précisément au moment où il nous donnait l’impression d’être bien. Comme le préconise l’Agence française de sécurité des produits de santé, Hugo aurait dû bénéficier d’une surveillance étroite et être hospitalisé pendant les trois à quatre semaines du traitement.
« Pas assez
de prise ne charge »
Vous pensez, de votre côté, qu’Hugo aurait pu être mieux accompagné ?
Nous ne cherchons pas forcément à mettre en cause les personnes. Mais nous estimons simplement que ce qui est arrivé à Hugo ne doit plus arriver à un jeune de son âge. Nous avons pris conscience à un moment donné qu’Hugo n’allait pas bien. Nous avons donc mis en place un suivi médical. Et nous avons été orientés vers Saint-Brieuc puisqu’il n’y a aucune structure en Centre-Bretagne qui puisse accueillir nos adolescents en mal-être. C’est un paradoxe étant donné que la Bretagne est la région où le taux de suicide est le plus élevé et que le secteur du Centre-Bretagne a un taux deux fois supérieur à celui de la région Bretagne. Il est resté une semaine là-bas. Il n’était pas dans son élément. Il tournait en rond, passait son temps à jouer au ping-pong.
Où en êtes-vous aujourd’hui ? Votre famille arrive-t-elle à se reconstruire après un tel drame ?
(silence)…. Son absence. Le manque est terrible. C’est paradoxal : on dit bien souvent qu’avec le temps… En réalité, plus le temps passe et plus elle se réveille. On prend réellement conscience qu’Hugo n’est plus là. Mais on se dit aussi que l’on doit avancer. Pour son frère, Thomas. Il a une vie à écrire. Nous voulons l’accompagner dans celle-ci. Thomas a la même passion qu’Hugo : celle du tir sportif et il ambitionne de rentrer au pôle espoirs de Nantes. Tous les trois, on se porte mutuellement.
« Plus le temps passe et plus on se réveille »
Une association Échange et Partage deuil vient d’ouvrir des permanences à Pontivy et vient de mettre sur pied des groupes de paroles. Vous allez vous y rendre ?
Oui, certainement. Moi (Florence), j’ai vraiment besoin de m’exprimer. De partager ma souffrance avec d’autres parents ayant vécu le même drame. On a trop souvent tendance à s’enfermer et à garder notre douleur en nous. Maintenant, cela dépend des personnes, des tempéraments. Peut-être demain ressentirais-je le besoin de raconter cette difficile épreuve dans un livre. En attendant, nous invitons tous ceux qui partagent cette même souffrance à nous contacter par mail (flobertlehuede@yahoo.fr). Car nous pensons que l’on a sans cesse besoin de dire, de raconter, de parler de l’enfant qui n’est plus. Et qu’il faut se rencontrer pour s’entraider…
Propos recueillis par Gilles Queffélec
(1) Le Prozac ou le générique la Fluoxétine.