Ainsi va le monde n° 232 - S comme... suicide
02 février
2014 | Par Didier Martz sur
Bienvenue à
toutes et à tous
S
comme... Suicide. Formé du latin caedere « frapper, abattre,
tuer » et de sui, de soi, suicide signifie destruction de soi.
Au-delà de l'étymologie légère, c'est un drame familial et un drame national.
Il fait l'objet cette semaine d'une action nationale pour sa prévention. Il a
aussi fait l'objet d'un essai, « La lumière noire du suicide », sorti
aux Editions ERES que nous avons écrit Hélène Genet, essayiste et poète, et
moi-même, philosophe pratiquant.
J'ai
longtemps hésité à vous parler de ce livre car un ami, avec qui je partageais
quelques notes de musique, se réjouissait de voir sa fille remonter à la
surface de la vie. Quelques temps après, elle s'abîmait définitivement. Il me
semblait alors qu'après cette catastrophe rien ne pouvait se dire. Pourtant, il
est impératif d'en parler, de l'écrire, de prendre ce drame, à bras-l'esprit.
Chaque
suicide est toujours à déchiffrer ; non une façon de mourir parmi
d’autres,mais un choix, un acte volontaire, violent et sidérant pour
l’entourage. Le sens d’une existence s’en trouve entièrement retourné.
D’essence subversive, son but ultime n’est-il pas de nous interpeller, de faire
vaciller les croyances et de remettre en jeu nos certitudes ?
Dans un contexte social où
s’enregistrent un nombre toujours croissant de suicides, en particulier dans
les organisations (entreprises ou institutions), et où se constitue un débat
politique et « éthique » sur le « suicide assisté », nous
avons voulu remettre au travail les lancinantes questions de la responsabilité,
de la signification et du libre choix. Cet « essai » au sens où
Montaigne l’entendait, comme libre exercice de la réflexion, ne prétend nullement
trancher les débats : pour ou contre le suicide, est-il lâche ou
courageux, dernière manifestation d’une liberté inaliénable ou acte insensé,
fléau social ?... Pour nous, il s’agissait de mettre la pensée à l’épreuve
de cette question pour tenter de lutter contre les préjugés toujours tenaces et
dangereux, sans doute aussi pour apprivoiser cette mort toujours possible, que
nous le voulions ou non.
Ce
qui est certain : le suicide, toujours, dérange. Il déstabilise
l’entourage qui y est confronté, la société qui l’enregistre, la conscience
humaine qui affronte cette possibilité. Pourquoi ? parce qu’il est
profondément subversif, parce que son essence même est la négation,
l’effraction, la transgression. Il nous est toujours violemment jeté à la
figure. S’il est moins tabou aujourd’hui, on tente inlassablement de
circonscrire le « phénomène », de le décrire, d’en réduire la
signification, de lui trouver des explications et si possible des
déterminations.
Nous pensons au contraire que le suicide
est cet acte extrême et radical qui justement ruine toute interprétation
théorique, il figure peut-être la limite, toujours violemment rappelée, de
notre capacité à comprendre. Certes, il s'agit là encore de la mort et de notre
impossibilité à la penser. Mais il y a plus dans le suicide : c'est un
acte par lequel l'homme « se donne la mort ». C'est ce don si
particulier de soi à soi qui échappe, avec la mort, à toute prise, à toute
tentative scientifique, morale ou philosophique de le réduire. Nous posons
pourtant qu'il est essentiel à l'existence humaine. Ainsi va le monde.
Didier
Martz, le 2 février 2014
Philosophe
pratiquant
La lumière
noire du suicide - Hélène Genet, Didier Martz – Editions érès
Dépendance
quand tu nous tiens - Martz, BIllé, Bonicel - Editions ERES
La tyrannie
du BienVieillir - Didier Martz, Michel Billé - Le bord de l'eau