Source : http://www.medscape.fr/voirarticle/3600334
Paris, France - L'activité antidépressive de la kétamine ouvre de nouvelles pistes dans la prise en charge de la dépression, a expliqué le Dr Pierre de Maricourt (hôpital Sainte Anne, Paris) lors du 12eme Congrès de l'Encephale . Son activité ultra rapide, potentiellement utile en urgence dans le haut risque suicidaire, suggère en effet une implication du glutamate dans la physiopathologie. Et laisse espérer le développement de nouveaux types d'antidépresseurs à l'avenir.
Antidépresseurs actuels: résistances et délai d'action
« En 2020, la dépression représentera selon l'OMS la seconde cause d’incapacité dans le monde. Or les traitements médicamenteux actuels, tous basés sur l'hypothèse mono-aminergique de la dépression, posent deux problèmes majeurs. Les résistances: 30% des patients sont non répondeurs ou répondeurs partiels. Et le délai important d'action: 6 à 8 semaines à risque suicidaire » résume le Dr de Maricourt.
Ketamine, glutamate, neuroplasticité et humeur
Dans la dépression, on a longtemps privilégié la thèse d'un déficit en neurotransmetteurs, restauré par les antidépresseurs actuels. Mais aujourd'hui plusieurs éléments plaident pour une participation de la plasticité neuronale et du système glutamatergique. Notamment les modifications du système glutamatergique retrouvé dans les troubles de l'humeur et l'activité des antidépresseurs classiques eux-mêmes sur ce système glutamatergique.
En 2000, la preuve de l’effet antidépresseur de la kétamine, antagoniste non spécifique des récepteurs NMDA au glutamate, a apporté de l'eau au moulin.
La kétamine, un anesthésique utilisé depuis les années 1960 Pour mémoire, la kétamine, synthétisée dans les années 1960, a été utilisée comme anesthésique en particulier dans les anesthésies de courte durée en pédiatrie, pour son activité antalgique dans les douleurs neuropathiques, chroniques, résistantes aux opiacées et... comme drogue à visée « récréative »(Super acide, Special K...). La kétamine possède en effet une activité psychotomimétique avec des effets hallucinogènes et dissociatifs chez le sujet sain et le schizophrène. |
« Quarante ans après la synthèse de la kétamine, une petite étude clinique révèle son activité dans la dépression résistante avec un effet à la fois rapide (diminution des scores de dépression dans les heures après administration IV) et puissant (50% de répondeurs à 72 h) [1].
Depuis, plusieurs études, dont le premier essai randomisé en 2006 [2] suivi des cinq autres essais randomisés, ont confirmé cette activité rapide, puissante mais transitoire d'une dose faible de kétamine administrée en IV lente dans les dépressions résistantes y compris chez les bipolaires » résume le Dr de Maricourt. « Mais l'absence de traitement de relai efficace limite son utilisation en pratique clinique dans la dépression ».
Une utilisation pour l’instant limitée à des circonstances particulières
Plusieurs petits essais ont exploré comment maintenir l'activité initiale de la kétamine, limitée à quelques heures, quelques jours.
« Mais ni la répétition des injections IV de kétamine, ni la mise en route d'un antagoniste au glutamate en relai oral (riluzole) n'ont permis de réduire le taux de rechutes. Et l'on se méfie du risque d'effets secondaires psychotiques et de l'absence de données de sécurité à moyen et long terme en particulier au niveau cognitif » explique l’orateur.
Résultat, l'usage de la kétamine en psychiatrie est actuellement limité à deux situations :
- en urgence chez les patients à haut risque suicidaire chez lesquels sa rapidité d'action associée à un effet « suicidolytique », très significatif dès la 40ème minute, peut être très intéressant.
- en induction anesthésique en association à l'électro-convulsivothérapie dont elle pourrait améliorer l'efficacité et la tolérance cognitive (résultats contradictoires).
« Mais surtout l'activité de la kétamine sur les dépressions résistantes a ouvert de nouvelles perspectives de recherches en thérapeutique et en physiopathologie. On en est à plus de 600 publications. Ces recherches pourraient permettre, demain, d'apporter de nouvelles réponses aux patients résistants aux traitements actuels » selon le Dr de Maricourt.