Suicide des agriculteurs: un phénomène mondial qui s'accroît - lundi 24 juin 2013 sur
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Suicide des agriculteurs: un phénomène mondial, indicateur fort d'une détresse qui s'accroît
20 000 suicides d’agriculteurs par an en Inde, 400 à 800 en
France. Et la Belgique est aussi touchée par cette triste réalité.
Preuve supplémentaire, s’il en fallait, que la détresse des agriculteurs
ne fait qu’augmenter ces dernières années.
Le secteur agricole a perdu 30 000
emplois depuis 2000 et l’an dernier a été une particulièrement mauvaise
année. L’Asbl Agri-Call, qui vient en aide juridique et psychologique
aux agriculteurs wallons, a reçu 1500 appels d’aide d’agriculteurs en
2012. Agri-call encadre aussi les agriculteurs en matière financière,
sociale et les aide pour leur reconversion.
"On a constaté ces
dernières années une grande précarisation du secteur agricole, mais
aussi une souffrance et une dégradation des conditions de travail et
donc il y a en effet de la dépression et des problèmes qui peuvent aller
parfois jusqu’à des idées noires et des idées de suicide", explique la coordinatrice de l’Asbl Laurence Leruse.
"On
a été amenés ces derniers temps à collaborer d’avantage avec des
médecins traitants, avec des psychiatres, voire à faire des
interventions d’urgence en collaboration avec des hôpitaux".
Les gestes de désespoir seraient plus nombreux qu’auparavant, bien
qu’impossibles à chiffrer. Gustave Wuidart, agriculteur à la retraite,
le déplore.
"Au niveau wallon c’est interdit de donner les chiffres
des suicides. On joue la politique de l’autruche, parce que c’est un
indicateur très fort."
L’an dernier, encore, une agricultrice qu’il connaissait personnellement à commis cet acte désespéré.
"J’ai
eu une voisine ici qui s’est pendue. Elle avait un robot de traite. Et
quand j'en ai parlé avec un agriculteur à Bruxelles, il m'a dit que lui
aussi a aussi connu une femme qui avait acheté un robot de traite et qui
s’était suicidée. La raison, là, n’était pas financière, mais la femme
ne supportait pas de ne plus avoir de contact avec ses vaches, de
caresser ses bêtes. C’est l’ordinateur qui gérait les vaches et cette
femme ne se reconnaissait plus dans cette activité. Elle était
stressée."
Certains agriculteurs commettent l’irréparable pour des raisons
souvent financières mais aussi pour des raisons identitaires. Ils
sont perdus face à un métier qui évolue, contraint et forcé par les
réglementations européennes.
"Et puis vous avez tout-le-temps des
masses de papiers et de réglementations qui vous viennent et vous avez
tout le temps peur de faire une erreur sinon la sanction tombe
immédiatement : on vous retire la prime", ajoute Gustave Wuidart.
Et une perte de prime signifie pour l’agriculteur une perte de revenu.
"Les agriculteurs sont prisonniers du système", enchaîne Gustave Wuidart.
Le règlement collectif de dette, une procédure inadaptée
Certaines voix s’élèvent pour déplorer le manque d’outils législatifs
pour aider ces agriculteurs en détresse financière. Ce jeune fermier
qui a tenu à garder l’anonymat a été touché par la langue bleue en 2006.
" Beaucoup de bêtes ont péri, des avortements, des veaux mort-nés.
Moins de vente de bêtes en fin d’année. Economiquement la ferme n’était
plus rentable. En 2008, impossible de rembourser les emprunts, pression
des banques. Et puis, je suis rentré en règlement collectif de dettes."
Pourtant, le règlement collectif de dettes, créé pour aider les
particuliers endettés, n’est pas la procédure idéale, selon Laurence
Leruse.
"Cette procédure, qui existe pour les personnes en
surendettement privé, est utilisée ici parce que l’agriculteur, qui est
bien souvent personne physique, n’a pas accès à la faillite."
Face à cette procédure peu adaptée au secteur, le député socialiste
Jean-Marc Delizée a fait récemment une proposition de loi qui est
débattue en ce moment en commission droit commercial au parlement.
"Cette procédure n’est pas faite pour redresser une exploitation,
explique Jean-Marc Delizée. L’agriculteur doit passer par un médiateur
et un juge pour chaque dépense, ce qui est incompatible avec la gestion
journalière. Et l’apurement des dettes doit se faire sur 7 ans maximum,
alors que les crédits, agricoles courent sur 30 ans !"
Le principe de cette nouvelle procédure serait d’intervenir plus tôt,
avant que l’agriculteur soit en cessation de paiement. Une procédure à
l’image de celle qui existe en France depuis plusieurs années et qui a
permis jusqu’ici de sauver 80 % des exploitants en difficulté qui l’ont
sollicitée.
Notre jeune agriculteur confirme les problèmes que posent la procédure actuelle:
"Le
temps judiciaire est très différent du temps agricole. Faire tourner
une ferme avec les contraintes judiciaires, c’est très compliqué. Ca
empêche d’avance au rythme auquel on voudrait. Et puis, avec Agri-Call,
on a décidé de réorienter la ferme vers les céréales ".
Cette situation dramatique, il l’a vécue seul, avec sa seule famille comme soutien. Il n’a pas voulu en parler à ses amis.
" Parce qu’il y a une gêne. On n’est pas fier d’expliquer qu’on a des problèmes financiers ". Pourtant,
il est bien conscient que de nombreux agriculteurs sont dans la même
situation, ici et ailleurs, en Belgique, en France, et même de l’autre
côté du monde, en Inde.
" C’est le propre de l’agriculteur, c’est cette solitude ", explique Gustave Wuidart.
" Et
c’est le facteur qui, selon moi, les pousse parfois à commettre
l’irréparable. Contrairement aux ouvriers, qui se serrent les coudes,
les agriculteurs sont seuls dans leur ferme et seuls face à leurs
problèmes."
L’asbl Agri-call tente de rompre cette solitude et de servir de
béquille aux agriculteurs, le temps d’une période de revalidation, après
laquelle leur ferme pourra à nouveau marcher seule, sur ses deux
jambes.
O. Leherte
Téléphone Agri-Call: 0800 85 018.