«Il y a 20 ou 30 ans, ils nous auraient ri au nez», en Bretagne, un centre d’écoute de la détresse psychologique des marins fait le plein
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Avec les chavirages, la piraterie, la pandémie ou les conséquences du Brexit, les marins peuvent être en première ligne d’événements traumatiques. Pour entendre leurs souffrances, une cellule d’aide psychologique est accessible 24h/24 en France.
A l'origine, un constat glaçant. Marin est le métier le plus accidentogène, notamment chez les pêcheurs, avec un indice de mortalité de 4,18 pour 10 000 ETP (équivalent temps plein), selon les chiffres de l'Institut maritime de prévention (IMP).
Aussi, Camille Jégo, psychologue et responsable du Centre ressource d'aide psychologique en mer et aux marins (Crapem), installée à Saint-Nazaire a réalisé une étude "sur la prévalence de l'état de stress post traumatique chez les gens de mer qui a montré qu'elle atteignait 20%, soit dix fois plus que dans la population générale".
Si le monde maritime est très structuré, "on a constaté l'absence de prise en charge efficiente et adaptée à leur métier pour cette population surexposée aux événements traumatogènes", note Camille Jégo dans les locaux du Crapem où l'on trouve des maquettes de bateau, une casquette de capitaine, la revue Chasse-marée, au sein du centre hospitalier de Saint-Nazaire.
Ainsi, depuis mars 2020 une équipe de six personnes (psychologue, psychiatre, infirmières, dont une spécialisée dans la prévention du suicide) s'est peu à peu constituée. Financé par l'Agence régionale de santé, le ministère de la Mer et l'Enim (la sécurité sociale des marins), le Crapem permet "l'accès aux soins pour tous les gens de mer en souffrance psychique et les sédentaires du milieu maritime".
Qu'ils soient dans le golfe de Gascogne, en mer d’Écosse ou dans le détroit de Malacca, les 42 000 marins français peuvent à tout moment joindre le Crapem - téléconsultation ou téléphone - pour témoigner d'une souffrance psychologique. L'an passé, le Crapem a suivi une centaine de marins.
Les maux peuvent être variés : traumatisme après un accident sur un bateau, anxiété d'être privé de zone de pêche en raison du Brexit, impossibilité de descendre à terre comme lors de la pandémie dans la marine marchande, cas de harcèlement sur un bateau ou attaque violente...
Des marins tombent en mer, remontent à bord et ce n’est pas déclaré accident du travail, mais après ça ressort…
"J'ai eu le cas d'un marin, qui était au large du Nigeria, où il y a eu une prise d'otage sur le bateau avec des pirates montés à bord et des officiers mis en joue", relate l'infirmière Agnès Bihouix.
Les cas de harcèlement, dans le milieu isolé qu'est un bateau, peuvent "avoir un impact en termes de souffrance psychique : quand on est parti pour deux mois, il faut tenir", souligne Camille Jégo.
La souffrance psychologique peut aussi survenir chez les marins qui ont participé à des recherches en mer, comme en novembre dans le détroit du Pas-de-Calais afin de retrouver les migrants après un chavirage qui a fait 27 victimes.
"Quand les marins vivent leur événement en mer, ils restent plusieurs heures et ne seront sécurisés qu’une fois revenus à terre, ils vont rester dans cet état dissociatif. L'idée est d'intervenir au plus proche" de l'événement traumatique, explique Camille Jégo. Un suivi au plus long cours peut aussi être envisagé.
Françoise Le Berre, directrice de l'IMP, salue la création de cette structure. "Il y a des marins qui tombent à la mer et remontent à bord et ce n’est pas déclaré en accident de travail. Mais, trois ou cinq mois après, ça ressort et ils ont besoin d'être accompagnés", appuie-t-elle.
Cette cellule montre également à quel point le regard de la société a changé sur les risques psychologiques dans le milieu professionnel. "Il y a 20 ou 30 ans les marins auraient ri au nez de la personne qui aurait proposé ça ! Les mentalités ont changé, les gens font appel à des psychologues pour être accompagnés. C'est davantage rentré dans les mœurs", note Françoise Le Berre.
Avec AFP
18/03/2022 - 12:15
Par La rédac'
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