Médicalisation des Ehpad: la feuille de route "acte" les chantiers en cours et à venir
Plusieurs des mesures déclinées dans le document sont déjà engagées, mais, dans un contexte électoral mouvant, il établit "une continuité" nécessaire et se fait le garant des "changements" encore à effectuer, éclaire Claude Jeandel, son coauteur.
Missionnés en décembre dernier
par le ministère délégué chargé de l'autonomie, le gériatre Claude
Jeandel et le conseiller stratégique de la Fédération hospitalière de
France (FHF), Marc Bourquin, ont compulsé le rapport remis à l'été 2021
à Olivier Véran et Brigitte Bourguignon par le Pr Jeandel avec son
confrère Olivier Guérin, pour en sortir une feuille de route stratégique
visant à renforcer la médicalisation des Ehpad d'ici 2023.
Initialement prévu pour janvier, le document a finalement été diffusé dans la soirée du 17 mars par le ministère.
Constitué de cinq axes et de 15 mesures, le
document "acte" des choses "qui ont déjà été engagées", a confirmé
Claude Jeandel auprès de Gerontonews ce 18 mars.
En effet, certaines actions préconisées sont
déjà en cours, comme les Ehpad "centres ressources" ou la reconnaissance
du statut des infirmières coordinatrices (Idec).
Mais si la feuille de route ne fait pas la
révolution, "c'est important qu'elle soit parue". Elle "acte une
continuité entre le rapport et les changements à venir", fait valoir le
gériatre. Et, malgré le contexte présidentiel, il estime que cette
feuille de route "ne sera pas remise en cause" par le prochain
quinquennat.
L'axe 1, "faire évoluer l'offre par la
création d'unités de soins prolongés complexes (USPC) à vocation
strictement sanitaire et par le regroupement de l'offre d'hébergement
médicalisé des personnes âgées", revient sur ce qui constituait une grosse partie du rapport Jeandel-Guérin, à savoir la "requalification" de 10.000 places d'unités de soins de longue durée (USLD) en lits d'USPC.
Elle comporte deux mesures, à commencer par
"créer une offre sanitaire d'USPC pour une prise en charge adaptée des
personnes de tous âges hospitalisées".
Les auteurs proposent "un pilotage national" par
la direction générale de l'offre de soins (DGOS), en lien avec la
direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et deux étapes.
D'abord, entre "février et décembre 2022",
effectuer des "retours d'expériences, consultations" puis "définir les
USPC, les conditions de leur création et de leurs modalités" avec des
agences régionales de santé (ARS), départements et fédérations. Puis "à
partir de l'hiver 2022", la création concrète d'USPC qui "pourrait se
traduire à partir de 2023, soit par un déploiement progressif soit par
une expérimentation sur quelques régions".
La seconde mesure de cet axe consiste à
"regrouper au sein des Ehpad l'ensemble des profils de soins cohérents
des personnes âgées en perte d'autonomie".
L'enjeu est de "clarifier l'offre d'hébergement
médicalisée pour les personnes âgées au sein d'une offre cohérente afin
de prendre en compte une spécialisation Ehpad/USLD qui va s'avérer de
plus en plus artificielle". Le plan d'action proposé s'étale sur toute
l'année 2022: "compléter l'état des lieux des USLD", "lancer une
concertation et une étude avec les ARS pour étudier la méthode de
recomposition prenant en compte les besoins d'investissement et de
ressources humaines" et "concevoir un appui aux ARS et aux départements
pour conduire les opérations de recomposition".
L'axe 2 suggère de "concrétiser la transformation du modèle de l'Ehpad".
Peu de choses nouvelles ici, les auteurs
préconisant "d'adapter le cadre de vie et la vie quotidienne des
résidents présentant davantage de pathologies" en lien avec le
"Laboratoire des solutions de demain" de la Caisse nationale de
solidarité pour l'autonomie (CNSA), déjà mis en place.
Autre mesure, "adapter l'architecture des Ehpad
face à la prévalence élevée des troubles neurocognitifs et
comportementaux grâce au soutien à l'investissement" du Ségur de la
santé, là aussi déjà lancé.
L'axe 3 préconise d'"assurer un maillage
territorial de proximité et garantir un haut niveau d'accompagnement et
de prise en soin".
Il convient d'abord de "concrétiser le concept de l'Ehpad comme centre de ressources territorial", rappellent les auteurs de la feuille de route, en redétaillant le concept. Ils renvoient à une "mise en place" par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) 2022.
Claude Jeandel et Marc Bourquin enjoignent aussi
dans cet axe à "poursuivre le déploiement des pôles d'activités et de
soins adaptés (Pasa) et des unités d'hébergement renforcées (UHR) au
sein des Ehpad", avec en tant qu'"actions", deux "enjeux": la
construction des Ondam (objectifs nationaux des dépenses d'assurance
maladie) 2022 et 2023 et la "réflexion concernant l'évolution des Pasa,
notamment concernant les expérimentations menées par les ARS sur les Pasa de nuit".
Les auteurs poussent aussi au "regroupement des
Ehpad publics autonomes" et à la "création des groupements territoriaux
sociaux et médico-sociaux (GTSMS)". Le rapport d'origine incitait à de
tels regroupements pour tous les statuts d'Ehpad. "On s'est dit qu'il
était plus sage de commencer par le public mais pour moi, cela n'exclut
pas" que des "Ehpad privés" soient aussi concernés plus tard, a commenté
Claude Jeandel auprès de Gerontonews.
Sous le pilotage de la DGCS, la feuille de route
suggère pour cela de "finaliser les concertations avec les fédérations
du secteur, en incluant notamment la question du lien des GTSMS avec le
sanitaire, ainsi que les mesures de soutien au développement de ce
nouveau mode de coopération", mais aussi de "concerter avec l'Assemblée
des départements de France (ADF)" puis, "en fonction des concertations,
rédiger les mesures législatives ad hoc".
Figurant déjà dans le rapport Libault de 2019, cette proposition de regrouper les Ehpad publics traduit une volonté du secteur déjà amorcée dans certains territoires.
Enfin, et suivant la recommandation du rapport,
les auteurs de la feuille de route encouragent à "étudier la
généralisation du tarif soin global en le revalorisant et ne plus le
conditionner à la présence d'une PUI [pharmacie à usage intérieur]".
Préconisant "au préalable de réaliser un état
des lieux objectif des gains de ce tarif global pour la qualité
d'accompagnement en établissement", qui pourrait "notamment s'appuyer
sur une mission conduite par l'Igas [Inspection générale des affaires
sociales]", Claude Jeandel et Marc Bourquin suggèrent "deux axes de
travail": "une objectivation de l'écart entre le tarif global et le
tarif partiel (avec ou sans PUI)" avec une étude de "l'opportunité d'une
valeur des différents points par statut juridique des établissements",
puis "des travaux avec les fédérations pour affiner les critères du
tarif global" et notamment "étudier la possibilité de développer dans
cette perspective des conventions entre Ehpad et officines".
Les auteurs de la feuille de route précisent
qu'"une réforme plus globale de la tarification pourrait être envisagée à
moyen terme, incluant notamment une révision de l'équation tarifaire
'soins', l'intégration des nouvelles ordonnances Pathos (y compris une
révision de l'évaluation du niveau de dépendance - grille Aggir), ainsi
que la question du reste à charge". Enfin, "la question du différentiel
de charges entre les Ehpad publics et privés doit aussi faire l'objet
d'une étude approfondie avec une mission Igas à venir".
Dans le 4e axe sur la reconnaissance des "spécificités des fonctions au sein des Ehpad pour les faire évoluer",
Claude Jeandel et Marc Bourquin rappellent la nécessité de faire
évoluer la fonction de médecin coordonnateur en s'appuyant sur
l'expérience de la crise sanitaire dans le cadre de retours
d'expérience, notamment sur les pratiques développées en matière de
prescription. Ils évoquent aussi la présentation de l'évaluation de
l'expérimentation de médecin prescripteur en Ehpad conduite par l'ARS
Ile-de-France.
Afin de reconnaître la fonction d'Idec sur la
base d'un référentiel métier national, ils rappellent qu'une
consultation des fédérations professionnelles a été lancée au premier
semestre et devrait déboucher au second semestre 2022 sur la proposition d'un décret portant structuration de ce métier en Ehpad.
Parmi les autres actions, ils évoquent le développement des compétences en gérontologie
des infirmiers en pratique avancée (IPA) du domaine "pathologies
chroniques stabilisées" afin de favoriser la possibilité́ d'assurer le
suivi médical en Ehpad, comme demandé par la communauté gériatrique.
Ces IPA mutualisés sur plusieurs Ehpad auraient
la capacité de suivre les résidents de manière globale. Le plan d'action
cible les personnes âgées polypathologiques pour les évaluations
gériatriques standardisées.
Les deux auteurs appellent par ailleurs à faire
un état des lieux des pratiques actuelles et des éventuels freins au
déploiement des astreintes infirmières de nuit dans les Ehpad, dans
l'objectif d'une généralisation en 2023.
Enfin, ils souhaitent que soit élaboré un projet
de contrat-type pour faciliter les interventions des
chirurgiens-dentistes libéraux en Ehpad (encore insuffisantes malgré les
actions déjà engagées) à l'image de ce qui existe pour les médecins et
les masseurs-kinésithérapeutes.
Dans l'axe 5, les auteurs insistent sur la nécessité d'"assurer
de meilleures modalités d'intervention des ressources sanitaires et des
ressources en santé mentale/psychiatrique au sein des Ehpad".
Pour eux, l'accès aux soins spécialisés de
psychiatrie "n'est pas actuellement suffisant" alors que les résidents
"sont touchés par des troubles psychiques liés à des troubles anxieux ou
dépressifs, qui peuvent être accompagnés d'un risque suicidaire" et
sont souvent mêlés à des troubles neurocognitifs et des "prescriptions
inadéquates".
De plus, la fréquence d'admission en Ehpad de
personnes âgées avec troubles psychiques préexistants augmente, ce qui
nécessite un suivi et un appui de l'offre de psychiatrie quand cette
admission se fait en dehors d'unités spécifiques.
Le plan d'action vise donc à définir le cadre du
renforcement des interventions des équipes mobiles de psychiatrie de la
personne âgée en direction des Ehpad, afin de déléguer les financements
en 2022.
Il faudra également inscrire dans les projets de
décret et le projet d'instruction sur l'autorisation de l'activité de
soins de psychiatrie, la participation au parcours de la personne âgée
en lien avec l'accès à des compétences spécialisées et la coopération
avec le secteur médico-social.
Enfin, les auteurs recommandent d'inscrire dans
les prochains axes de formations pour le développement professionnel
continu (DPC) pluriannuels 2023-2025 une "déclinaison sur les personnes
âgées de la formation sur le repérage et l'orientation précoces des
troubles anxiodépressifs et la juste prise en charge".
Tous ces chantiers seront pilotés par la DGOS,
en lien avec la DGCS, et devraient également être travaillés avec la
commission nationale de la psychiatrie, en particulier sa
sous-commission de la psychiatrie de la personne âgée.
Dans cet axe, une autre mesure vise à déployer
les modalités d'intervention des ressources sanitaires en Ehpad "en
capitalisant sur les retours d'expérience de la crise sanitaire", en
structurant ces appuis et en assurant leur lisibilité.
Les auteurs listent plusieurs actions déjà engagées notamment pour les appuis ("ex-astreintes") en soins palliatifs et pour les maladies neurodégénératives, le renforcement des équipes mobiles de gériatrie ainsi que le déploiement et le suivi de la progression des évaluations anticipées de l'hospitalisation à domicile (HAD) en Ehpad.
Ils indiquent que le cahier des charges révisé
pour les consultations mémoire et les centres mémoire de ressources et
de recherche (CMRR) doit paraître au premier trimestre 2022 et permettre
un "appui des acteurs médico-sociaux afin de favoriser l'accès à un
diagnostic, une expertise, des conseils ou des formations en matière de
repérage, prise en charge des résidents avec des troubles liés à la
maladie d'Alzheimer et maladies apparentées".
Enfin, ils jugent nécessaire d'organiser la
coopération du secteur sanitaire avec les Ehpad centres de ressources
territoriaux et d'élaborer une convention cadre sur les appuis
sanitaires en y incluant les équipes mobiles d'hygiène et les équipes
opérationnelles d'hygiène.
Cette feuille de route "s'ajoute aux engagements annoncés le 8 mars
par Olivier Véran et Brigitte Bourguignon en faveur d'un renforcement
de la qualité et de la transparence dans l'accompagnement des personnes
âgées".
Claire Béziau et Caroline Besnier
cbe-cb/ab
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INFO plus
Feuille de route EHPAD - USLD - DGCS - DGOS 2021 / 2023 Mars 2022 https://www.gerontonews.com/documents/202203181149180.Feuille_de_route_-EHPAD_USLD-vdef.pdf
Feuille de route EHPAD - USLD - DGCS - DGOS 2021 / 2023 Mars 2022 https://www.gerontonews.com/documents/202203181149180.Feuille_de_route_-EHPAD_USLD-vdef.pdf