jeudi 24 mars 2022
Quel rôle pour la prévention dans les politiques de santé ?
Quel rôle pour la prévention dans les politiques de santé ?
Le 23 mars 2022 sur https://www.polytechnique-insights.com*
de Maria Melchior épidémiologiste spécialisée en santé mentale à l'Inserm
En bref
La prévention primaire est liée à l’apparition de risques de santé dus à l’alimentation et à la pollution. La prévention secondaire vise à déceler les maladies n’ayant pu être évitées.
Le programme VigilanS est un bon exemple de prévention primaire, il a permis de réduire de 10 à 12 %, en 3 ans, les tentatives de suicide dans le Pas de Calais et le Nord.
Dans le cadre des politiques de prévention, nous travaillons avec les jeunes sur la façon de gérer les émotions mais, pour plus d’efficacité, les enseignants doivent également être plus impliqués sur ces sujets.
Le rôle des médecins généralistes est très important dans la prévention, il est pourtant souvent négligé. De plus, les inégalités d’accès au soin, de par les déserts médicaux, renforcent cette non-prévention dans certains secteurs.
Le secteur privé pourrait être impliqué dans la prévention, mais les lobbies autour de l’alcool ou du tabac sont extrêmement puissants et empêche une prévention effective de ce secteur.
Dans quel domaine diriez-vous que la prévention dans les politiques de santé est le plus avancée ?
La prévention est un domaine très large. On a tendance à distinguer la prévention primaire, en lien avec l’apparition de risques de santé liés à l’alimentation comme à la pollution, de la prévention secondaire, qui vise à déceler des maladies n’ayant pu être évitées. La prévention primaire est compliquée, car hors du système de santé, mais des patients peuvent en bénéficier lors de leur parcours de soins. En témoigne, par exemple, le succès du programme « VigilanS », porté depuis 2015 par des psychiatres, qui consiste à rappeler six mois plus tard les personnes ayant été hospitalisées après une tentative de suicide afin de savoir comment elles vont. En trois ans, ce dernier a permis de baisser de 10 à 12 % les tentatives de suicide dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, ce qui lui a valu d’être étendu à tout le territoire. En revanche, on observe encore de nombreuses opportunités ratées du côté des généralistes en matière de prévention primaire ou secondaire. S’ils sont amenés à voir de nombreuses personnes ayant fait une tentative de suicide, dans les faits, peu de médecins entament un suivi particulier de leurs patients, ce qui augmente la probabilité d’un second passage à l’acte1.
Vous avez travaillé sur les conduites addictives chez les adolescents. Dans ce domaine, les politiques de prévention vont-elles assez loin ?
En vue d’être plus efficace, la lutte contre les substances psychoactives a fait l’objet d’un travail interministériel entre la justice, la santé et les douanes. Les résultats restent cependant, pour l’heure, insuffisants. Dans le cadre des politiques de prévention, nous travaillons avec les jeunes sur la façon de gérer les émotions. Mais il faudrait aussi que les enseignants soient plus impliqués sur ces sujets. Dans ce domaine, la Grande-Bretagne, le Canada et l’Australie ont réussi à mettre en place des programmes de prévention mieux intégrés. Sans doute parce que des experts dédiés interviennent directement auprès des autorités et que l’interdiction de vente d’alcool aux mineurs est respectée. L’Islande a également adopté une politique volontariste assez exemplaire pour limiter l’usage de substances psychoactives chez les jeunes. Le modèle islandais est basé sur de nombreux éléments modifiant l’environnement social des jeunes à l’école, dans la famille, dans les quartiers où ils vivent — et en renforçant les liens entre ces différents cercles pour concrètement respecter les mêmes règles de non-consommation dans différents espaces, limiter l’accès aux substances psychoactives, et favoriser la communication entre ces différents domaines2.
Les médecins généralistes gardent un rôle essentiel, mais ont-ils encore les moyens de faire de la prévention ?
Oui leur rôle est fondamental. Même s’il est vrai qu’étant de plus en plus spécialisés, la prévention n’occupe qu’une place mineure de leur formation. De plus, les médecins ne peuvent consacrer, en moyenne, que 10 minutes à chacun de leurs patients. Si les généralistes peuvent désormais prescrire à un diabétique en surpoids de l’activité physique, il n’y a toutefois pas encore d’évaluation sur ces prescriptions. Par ailleurs, compte tenu des inégalités médicales sur le territoire, d’autres professionnels vont devoir élargir leurs champs de compétences. Les infirmiers pourront prescrire des médicaments, les sages-femmes être amenées à faire plus de suivis gynécologiques et les pédiatres à se former à des domaines comme l’addictologie.
Comment le secteur privé peut-il être impliqué dans la prévention ?
Il peut l’être à condition que les politiques publiques suivent. Or, s’il existe en France une politique de lutte anti-tabac, combattre l’alcool est plus compliqué. Le gouvernement qui soutient la filière vinicole n’a pas appuyé la campagne « dry january » qui invite à l’absence de consommation d’alcool après le Nouvel An. Les industriels font de la publicité, y compris sur les réseaux sociaux à destination des jeunes, ce qui est prohibé par la loi. À part des actions menées par l’association Addictions France, peu de plaintes sont engagées. Il en est de même dans l’agroalimentaire où les lobbies sont très puissants. En témoigne la bataille menée par des chercheurs pour faire apposer des labels comme Nutriscore pour plus de transparence sur la composition des aliments. Un label qui s’est heurté au manque de volonté des industriels.
Vos travaux ont montré que les inégalités sociales en matière de santé constituent des facteurs aggravants de l’obésité, de la dépression. Ces facteurs sont-ils davantage pris en compte ?
En effet, la santé obéit aussi à de nombreux déterminants sociaux et économiques qui se trouvent en dehors du système de soins.À ce sujet, il y a dix ans, l’OMS avait préconisé d’inclure des déterminants de santé dans toutes les politiques en guise d’indicateurs à évaluer. Par exemple, dans l’urbanisme, en vue de mesurer l’impact sur la santé du voisinage lorsque l’on construit une route, de calculer les bénéfices de politiques d’allongements des congés paternité. Mais force est de constater que cette inclusion systématique n’a toujours pas été prise en compte. Avec la pandémie, elle serait pourtant plus nécessaire, car les inégalités sociales vis-à-vis de la santé mentale se sont creusées. À tel point que toutes les politiques qui stabilisent les revenus, favorisent l’emploi et de bonnes conditions de travail, ne peuvent être que positives.
Propos recueillis par Marjorie Cessac
1Younes N, Rivière M, Urbain F, Pons R, Hanslik T, Rossignol L, Chan Chee C, Blanchon T. Management in primary care at the time of a suicide attempt and its impact on care post-suicide attempt: an observational study in the French GP sentinel surveillance system. BMC Fam Pract. 2020 Mar 25;21(1):55.↑
2Kristjansson AL, Mann MJ, Sigfusson J, Thorisdottir IE, Allegrante JP, Sigfusdottir ID. Development and Guiding Principles of the Icelandic Model for Preventing Adolescent Substance Use. Health Promot Pract. 2020 Jan;21(1):62–69.↑
Auteurs
Maria Melchior
épidémiologiste spécialisée en santé mentale à l'Inserm
Maria Melchior étudie les trajectoires de vie depuis l'enfance jusqu'à l'âge adulte, et les interactions entre situation sociale, caractéristiques parentales, scolarité, et devenir social et professionnel. Ses travaux ont montré que les inégalités sociales en matière de santé mentale et d'addictions émergent dès l'enfance. Elle évalue également des interventions pour réduire les inégalités sociales vis-à-vis de la santé mentale, notamment en lien avec l'épidémie de COVID-19.