« La santé mentale des athlètes devrait être évaluée au même titre que la santé physique »
Elisabeth Pineau Le Monde (site web)
sport, mercredi 9 mars 2022
Vincent Gouttebarge préside le groupe de travail sur la santé mentale du CIO, qui a développé un outil de suivi psychologique des sportifs de haut niveau. Il espère le voir généralisé au sein des clubs, explique-t-il dans un entretien au « Monde ».
Entretien. Ancien footballeur professionnel, Vincent Gouttebarge est le chef du service médical de la Fédération internationale des associations de footballeurs professionnels (Fifpro), et préside le groupe de travail sur la santé mentale du Comité international olympique (CIO). Mis sur pied en 2019, ce dernier est aujourd’hui composé de onze membres issus de plusieurs continents, qui se réunissent à Lausanne, en Suisse, deux à trois fois par an.
Quelles sont les missions de votre groupe de travail ?
L’idée est de développer de nouveaux outils pour les athlètes, les coachs : des ateliers, mais aussi de nouvelles connaissances scientifiques. Dans le sport de haut niveau, les athlètes sont soumis à une visite médicale au début de chaque saison pour déceler d’éventuelles pathologies cardiovasculaires, des problèmes musculosquelettiques, mais, jusqu’à présent, il n’y avait rien de systématique au niveau de la santé mentale. On s’est rendu compte qu’il n’existait pas d’instrument créé spécifiquement. L’une des premières missions a été d’y remédier, avec le SMHAT, Sport Mental Health Assessment Tool.
En quoi consiste cet outil ?
Il s’agit d’un instrument à trois étapes. La première, de triage, évalue si l’athlète a des problèmes de détresse psychologique. En cas de niveau élevé, l’étape 2, plus poussée, vise à identifier des troubles de la santé mentale en lien avec les symptômes suivants : anxiété, dépression, problèmes de sommeil, soucis liés à l’alcool, ou à d’autres substances et/ou d’ordre alimentaire. En fonction des résultats, on passe à l’étape 3 : soit un accompagnement de type pleine conscience, soit un examen clinique traditionnel, avec un médecin du sport, un psychologue clinicien ou un psychiatre.
A ce jour, quelle est son application ?
Nous avons décrit les principes de cet outil dans The British Journal of Sport Medicine et, depuis, nous essayons qu’il soit mis en pratique dans le sport de haut niveau. La Rugby Football Union, la fédération anglaise de rugby, est la première à l’utiliser depuis la saison 2021-2022 de manière systématique dans le rugby professionnel. On essaie également que les clubs de football y aient recours.
Nous avons en outre développé deux modules éducatifs pour le staff médical : un certificat plutôt à destination du personnel non médical, comme les kinés, et un diplôme de médecine en santé mentale, dont la formation dure au moins un an, à destination des médecins. L’idée est qu’un médecin responsable d’un club de rugby ou de basket, par exemple, ait les outils pour « contrôler » de façon systématique ses athlètes de haut niveau du point de vue des troubles d’ordre psychologique.
Au-delà, préconisez-vous que chaque fédération ou club dispose d’un médecin spécialisé dans ce domaine ?
Juste avant les Jeux de Tokyo, nous avons mis en place une boîte à outils destinée à toutes les fédérations nationales et internationales de manière à ce qu’elles créent un environnement sain pour la protection de la santé mentale. L’un des conseils est de disposer d’un professionnel de cette discipline au sein de son staff médical, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui car la santé mentale n’est pas encore traitée au même niveau que la santé physique. Dans les commissions médicales, il y a encore très peu de psychologues cliniciens ou de psychiatres ; nous recommandons donc d’avoir au moins un de ces professionnels. A terme, il faudrait que ce soit le cas systématiquement au sein de chaque club, pas forcément à plein temps.
Par ailleurs, à Tokyo, pour la première fois lors de Jeux olympiques et paralympiques, le CIO a mis à disposition des athlètes une ligne téléphonique qu’ils pouvaient appeler 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, de manière anonyme, afin d’être redirigés vers un professionnel de la santé mentale. Ce fut aussi le cas aux Jeux de Pékin. Nous nous apprêtons à tirer un bilan de cette action.
A terme, l’usage de votre outil est-il voué à être généralisé dans tous les clubs de haut niveau ?
Oui, de la même manière que les athlètes sont évalués physiquement au début de la saison, il faudrait y avoir recours à cette période pour identifier des problèmes psychologiques, mais aussi pendant et en fin de saison, ainsi qu’en cas de blessure ou d’événement personnel. Comme l’introduction de tout outil, c’est relativement compliqué de faire changer les choses du jour au lendemain, ce sera un travail de longue haleine.
Chaque pays a sa formule. L’avantage du SMHAT, c’est qu’il est fondé sur les dernières données scientifiques et pensé spécifiquement pour les athlètes. Son utilisation d’un sport à l’autre et d’un pays à l’autre permettrait de comparer de manière cohérente des données épidémiologiques.
Dans quelle mesure les prises de parole récentes de la joueuse de tennis Naomi Osaka ou de la gymnaste Simone Biles ont-elles fait bouger les consciences ?
On ne peut que regretter que des athlètes sous les feux des projecteurs, comme Osaka ou Biles, rencontrent des troubles de la santé mentale, mais le seul côté positif, c’est que ça fait bouger les choses et accélérer les agendas. Chaque athlète de haut niveau qui se sent libre d’évoquer sa détresse psychologique nous conforte dans l’idée qu’on est dans la bonne direction et qu’il faut continuer à plancher là-dessus. Cet article est paru dans Le Monde (site web)
https://www.lemonde.fr/sport/article/2022/03/09/la-sante-mentale-des-athletes-devrait-etre-evaluee-au-meme-titre-que-la-sante-physique_6116724_3242.html