Après la sur-médiatisation de suicides dans de grands
groupes français au début des années 2010, la notion de risques
psychosociaux a pris une réelle dimension dans le monde du travail. S’il
est délicat d’établir un lien formel entre les conditions de travail et
ces actes, des interrogations sur la qualité de vie au travail se
posent.
Stress, harcèlement, agressions, burn-out, sont autant de
notions définissant les risques psychosociaux et dont les salariés
s’estiment de plus en plus victimes.Aujourd’hui quel est le cadre juridique de ces risques psychosociaux au travail ? Quelles sont les obligations des entreprises ? Et quelles sont les solutions pour optimiser la qualité de vie dans son lieu de travail ?
L’obligation de protéger la santé physique et morale des salariés
La loi du 31 décembre 1991 oblige l’employeur à prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé de ses collaborateurs, en s’appuyant sur différents principes généraux de prévention que sont par exemple :- Eviter les risques;
- Evaluer les risques ne pouvant être évités;
- Combattre les risques à sa source, etc.
Une stratégie de défense face à la judiciarisation des risques psychosociaux
Depuis l’entrée dans le code du travail d’une réglementation relative au harcèlement moral, les risques psychosociaux n’ont cessé d’être une préoccupation majeure pour la santé des salariés. De ce fait, des propositions, arrêtés et accords nationaux interprofessionnels sont signés et adoptés depuis les années 2000. La multitude de rapports d’experts remis depuis au gouvernement a témoigné de la difficulté à saisir le sujet. Et, un certain nombre de jurisprudences a rajouté des obligations s’imposant à l’employeur : faute inexcusable, interdiction de mettre en place une organisation du travail compromettant la santé et la sécurité des salariés, suspension d’un projet de réorganisation en cas de RPS (arrêt FNAC…), annulation de forfait jours et mise en place de garde-fous sont aujourd’hui des références à éviter pour les juristes d’entreprise face aux risques psychosociaux.De leurs côtés, les salariés et organisations syndicales s’appuient ainsi de plus en plus sur cette législation pour faire reconnaître tous ces nouveaux maux du monde du travail.
Toutes ces lois sont bien entendu légitimes voire même louables tant le problème est parfois important.
Cependant un paradoxe existe.
Face à cet arsenal juridique et à la judiciarisation croissante de ces risques, une grande majorité des entreprises se retrouvent désemparées et préfèrent adopter une stratégie défensive ou rester dans le déni par peur de révéler ou même reconnaître ses manquements aux obligations légales.Prenons l’exemple de ce DRH qui, après une plainte de plusieurs salariés ayant pour but de faire reconnaître le manquement de l’employeur à son obligation de résultat en matière de protection de la santé de ses salariés, préfère ne pas agir car disait-il « si nous mettons en place des actions aujourd’hui, le juge pourrait nous reprocher de ne pas l’avoir fait avant. Cela serait avouer qu’il y a un problème et des risques psychosociaux non réglés dans l’entreprise. Nous donnerions donc raison aux plaignants ».
Quelle que soit l’origine, cette situation, qui peut être malheureusement observée, peut, au lieu d’inciter à agir pour la Qualité de Vie au Travail des salariés, pousser l’entreprise à ne plus s’engager dans la mise en place d’actions concrètes pour protéger la santé de ses collaborateurs. Elles s’inscrivent dans une démarche défensive de réponse à un risque où l’accent et la priorité sont portés sur le volet juridique et moins sur la Qualité de Vie au Travail.
Anticiper pour éviter
Plus que jamais les entreprises doivent aujourd’hui dépasser les obligations légales et être conscientes des risques psychosociaux existants, des facteurs de risques mais aussi des sources de Qualité de Vie au Travail. Anticiper est le maître mot pour développer à la fois le bien être, le bien vivre et la satisfaction de bien faire le travail. Elles doivent dépasser les actions de surface (conférences, sondage, séance de sensibilisation, etc) pour rechercher des solutions concrètes et efficaces afin de favoriser la Qualité de Vie au Travail à travers une dimension collective et non pas seulement individuelle.Répondre par obligation légale n’est pas gage de pérennité. Prévenir des risques psychosociaux n’est pas le même objectif que de développer la Qualité de Vie au Travail. Les risques psychosociaux impliquent d’être réactifs alors que la Qualité de Vie au Travail d’être proactifs.
La recherche de l’efficacité durable en est une condition sine qua none. Les ressources humaines ne sont pas inépuisables, le burn out en est la parfaite illustration. Une des pistes est de considérer l’empreinte humaine que les entreprises laissent sur leurs salariés pour répondre aux enjeux du travail d’aujourd’hui. Aussi, l’empreinte humaine des salariés sous tend leur efficacité.
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Également dans l'actu
Ils ne pensent pas (forcément) comme nous
Pour la reconnaissance de l'épuisement professionnel
Cent médecins du travail*
Madame la Ministre de la Santé, mesdames et messieurs les Députés,
Nous sommes médecins du travail. A ce titre, nous savons les difficultés du monde économique, les contraintes diverses qui pèsent sur les entreprises et les difficultés de tous les acteurs du monde du travail. C'est aussi notre quotidien.
Médecins du travail, nous voyons émerger depuis plusieurs années une nouvelle pathologie chez les salariés que nous recevons en consultation, mais aussi chez certains employeurs, chez les managers et les cadres dans différents domaines d'activité. Cette pathologie, c'est l'épuisement professionnel. On l'appelle plus communément « burnout ». Nous enregistrons l'augmentation constante de ces cas d'effondrement soudain de personnes arrivées au bout de leurs ressources et de leur capacité de résistance.
Chargés de la préservation de la santé des salariés dont on nous a confié le suivi, nous constatons que le travail constitue la principale cause de cet épuisement. Cette pathologie met en jeu des mécanismes complexes, mais on retrouve une caractéristique constante dans tous les cas : le surinvestissement de ces personnes dans leur activité jusqu'à l'épuisement.
Nous, médecins du travail, accueillons ces personnes après parfois plusieurs semaines, voire plusieurs mois, d'arrêt maladie, avec des tableaux cliniques encore souvent douloureux. Beaucoup de ces salariés sont traités contre l'anxiété, la dépression, les troubles du sommeil. Ils rencontrent de gros problèmes pour leur retour dans le monde professionnel ; nombreux sont ceux qui ne veulent plus réintégrer leur entreprise. Combien de ces burnouts se terminent-ils par un acte suicidaire ? Combien, par un accident de voiture inexplicable ? Combien, par une maladie générale ou des troubles musculo-tendineux ? A-t-on jamais réussi à en évaluer le coût spécifique pour la collectivité ?
Actuellement, l'absence de tableau des maladies professionnelles rend ces affections psychiques très difficilement reconnues par la Sécurité sociale. Pourtant, nous serions puissamment aidés dans nos missions de prévention par une classification spécifique de ces cas de burnout. Celle-là permettrait des avancées significatives dans la lutte contre cette pathologie comme :
- la mise en lumière du rôle du travail dans la survenue du burnout, et non pas la seule responsabilité des salariés ;
- la prise en charge des coûts au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles, et non pas par le seul régime général ;
- l'affirmation du rôle primordial de la prévention et de l'analyse des conditions de travail amenant à l'épuisement ;
- la possibilité du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de jouer son rôle dans la recherche de solutions et dans le reclassement du salarié touché ;
- et ne pas ajouter l'injustice à la maladie en redonnant toutes ses chances au salarié inapte à reprendre son travail dans son entreprise.
D'autres pays européens reconnaissent le burnout comme maladie du travail. Cette reconnaissance nous paraît être autant une mesure de justice à l'égard des salariés touchés qu'une aide indispensable à leur prise en charge curative, à leur suivi professionnel et à la prévention ultérieure du burnout dans leur entreprise.
Nous, médecins du travail, réaffirmons qu'un des outils importants dans la prévention du burnout est la régularité des visites des salariés. Les modifications envisagées récemment concernant les acteurs médicaux de la prévention ne permettront pas à des confrères non formés, non prévenus, ne connaissant pas les milieux de travail, de dépister à temps des signes avant-coureurs de surinvestissement et d'épuisement professionnel.
Par conséquent, signataires de cet appel, professionnels de la médecine du travail et de la santé mentale, nous demandons que l'épuisement professionnel soit reconnu au tableau des maladies professionnelles.
Nous vous remercions, madame la Ministre de la Santé, monsieur le Ministre du Travail, mesdames et messieurs les Députés, de votre attention et de votre diligence à examiner favorablement cette proposition.
Nous sommes médecins du travail. A ce titre, nous savons les difficultés du monde économique, les contraintes diverses qui pèsent sur les entreprises et les difficultés de tous les acteurs du monde du travail. C'est aussi notre quotidien.
Médecins du travail, nous voyons émerger depuis plusieurs années une nouvelle pathologie chez les salariés que nous recevons en consultation, mais aussi chez certains employeurs, chez les managers et les cadres dans différents domaines d'activité. Cette pathologie, c'est l'épuisement professionnel. On l'appelle plus communément « burnout ». Nous enregistrons l'augmentation constante de ces cas d'effondrement soudain de personnes arrivées au bout de leurs ressources et de leur capacité de résistance.
Chargés de la préservation de la santé des salariés dont on nous a confié le suivi, nous constatons que le travail constitue la principale cause de cet épuisement. Cette pathologie met en jeu des mécanismes complexes, mais on retrouve une caractéristique constante dans tous les cas : le surinvestissement de ces personnes dans leur activité jusqu'à l'épuisement.
Nous, médecins du travail, accueillons ces personnes après parfois plusieurs semaines, voire plusieurs mois, d'arrêt maladie, avec des tableaux cliniques encore souvent douloureux. Beaucoup de ces salariés sont traités contre l'anxiété, la dépression, les troubles du sommeil. Ils rencontrent de gros problèmes pour leur retour dans le monde professionnel ; nombreux sont ceux qui ne veulent plus réintégrer leur entreprise. Combien de ces burnouts se terminent-ils par un acte suicidaire ? Combien, par un accident de voiture inexplicable ? Combien, par une maladie générale ou des troubles musculo-tendineux ? A-t-on jamais réussi à en évaluer le coût spécifique pour la collectivité ?
Actuellement, l'absence de tableau des maladies professionnelles rend ces affections psychiques très difficilement reconnues par la Sécurité sociale. Pourtant, nous serions puissamment aidés dans nos missions de prévention par une classification spécifique de ces cas de burnout. Celle-là permettrait des avancées significatives dans la lutte contre cette pathologie comme :
- la mise en lumière du rôle du travail dans la survenue du burnout, et non pas la seule responsabilité des salariés ;
- la prise en charge des coûts au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles, et non pas par le seul régime général ;
- l'affirmation du rôle primordial de la prévention et de l'analyse des conditions de travail amenant à l'épuisement ;
- la possibilité du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de jouer son rôle dans la recherche de solutions et dans le reclassement du salarié touché ;
- et ne pas ajouter l'injustice à la maladie en redonnant toutes ses chances au salarié inapte à reprendre son travail dans son entreprise.
D'autres pays européens reconnaissent le burnout comme maladie du travail. Cette reconnaissance nous paraît être autant une mesure de justice à l'égard des salariés touchés qu'une aide indispensable à leur prise en charge curative, à leur suivi professionnel et à la prévention ultérieure du burnout dans leur entreprise.
Nous, médecins du travail, réaffirmons qu'un des outils importants dans la prévention du burnout est la régularité des visites des salariés. Les modifications envisagées récemment concernant les acteurs médicaux de la prévention ne permettront pas à des confrères non formés, non prévenus, ne connaissant pas les milieux de travail, de dépister à temps des signes avant-coureurs de surinvestissement et d'épuisement professionnel.
Par conséquent, signataires de cet appel, professionnels de la médecine du travail et de la santé mentale, nous demandons que l'épuisement professionnel soit reconnu au tableau des maladies professionnelles.
Nous vous remercions, madame la Ministre de la Santé, monsieur le Ministre du Travail, mesdames et messieurs les Députés, de votre attention et de votre diligence à examiner favorablement cette proposition.
*Premiers signataires : Bernard Morat, Gérard Mailliez, Roger Pillore, Annick Carre, Henri Philippe, Bernard Salengro, Bernadette Le Noach, Annette Buisson, Pierre Strady, Elisabeth Grimaldi, Gilles Levéry, Marie-Christine Soula, Martine Keryer, Karine Vaxelaire, Catherine Huguet, Marie-Dominique Metzger, Camille Piatte, Jacques Baugé, Martine Breteau, Chistian Expert, Agnès Martineau, Henri Kirstetter, Anne-Michèle Chartier, Alain Canton, Jean-Marc Plat, Frédéric Thiollet, Jean Guinnepain, Jean-Charles Delespaux, Sylvain Pereaux, Pascale Soenen, Caroline Meresse, Anne Dymny-Lemaire, Murielle Lucchesi, Jean Binder, Francine Bougaud, Alain Comte, Paul Gros, Danielle Demars, Claudine Casagrande, Samira Boulbetateche-Talai...
>>> Retrouvez la liste intégrale des signataires sur leur site accessible en cliquant ici.