Burn-out : un syndrome difficile à diagnostiquer. En psychiatrie, ce terme n'existe pas
LE PLUS. Des députés veulent que le burn-out soit reconnu comme maladie professionnelle prise en charge par l'entreprise. Pour cela, encore faudrait-il pouvoir mettre un nom sur cette pathologie. Le syndrome d'épuisement professionnel reste encore aujourd'hui très difficile à identifier, comme nous l'explique le psychiatre Antoine Pelissolo.
Édité par Rozenn Le Carboulec
Un salarié sur quatre serait touché par un problème psychologique lié au travail (SIPA)
Pourtant, nous voilà ici devant un diagnostic connu du grand public et même revendiqué par beaucoup, mais sans définition médicale consensuelle. Le burn-out en tant que tel n’existe pas dans les classifications psychiatriques, alors que des députés demandent sa prise en charge comme une maladie professionnelle.
Un concept qui s'est étendu à l'ensemble des travailleurs
Le syndrome d’épuisement professionnel, nom français du burn-out, concernait initialement des travailleurs très investis dans des métiers d’aide très prenants (soignants auprès de toxicomanes, médecins urgentistes, enseignants, etc.) qui finissent exténués par un manque de résultats ou de reconnaissance sociale. Ils deviennent dépressifs, avec un fort sentiment d’échec, et perdent leurs qualités d’empathie envers les autres et toute estime envers eux-mêmes.
Progressivement, ce concept a été étendu à l’ensemble des situations de stress professionnel majeur aboutissant à un "craquage" moral et physique, avec pour conséquence des arrêts de travail à répétition voire une incapacité professionnelle.
Les médias relatent alors malheureusement aussi des suicides violents, sur le lieu de travail parfois, chez des policiers par exemple.
Un diagnostic difficile à établir pour les psychiatres
Le problème est que les troubles psychiques sont nettement plus difficiles à cerner que la plupart des maladies physiques : beaucoup de symptômes sont présents dans différents troubles, sans grande "spécificité", et chaque personne exprime les choses à sa façon selon sa personnalité et son histoire.
Il n’existe par ailleurs, pour l’instant, aucun examen biologique ni radiologique permettant de poser des diagnostics ou de définir une maladie psychique.
Le travail des psychiatres a cependant permis, depuis une quarantaine d’années environ, de poser des repères aboutissant à des diagnostics relativement consensuels dans le monde entier, au-delà des variations sociales et culturelles.
Il n'y a pas de "marqueur" pour identifier le burn-out
Ainsi, un syndrome dépressif est une affection bien définie, de même que la schizophrénie ou que les troubles obsessionnel-compulsifs par exemple. Cela veut dire que la plupart des cliniciens pourront aboutir aux mêmes diagnostics chez un patient donné, avec de bonnes chances d’en prédire l’évolution et aussi les traitements adéquats.
Mais ces définitions sont particulières en ce qu’elles ne reposent sur aucune hypothèse de causalité : on décrit les symptômes d’un trouble, sans en fixer les causes, car celles-ci sont en général multiples et individuelles.
Contrairement à ce modèle, le burn-out n’est pas un syndrome univoque. Il s’agit en fait d’un syndrome dépressif plus ou moins étendu, avec quelques particularités (fatigue, mésestime de soi, découragement) qui n’en sont pourtant en rien spécifiques.
Il n’y a pas de "marqueur" psychologique, et encore moins physique, permettant de différencier à coup sûr un burn-out d’une dépression classique ou d’un état de stress sévère dans un contexte de pression professionnelle intense.
Le lien entre le travail et la pathologie est difficile à établir
Le lien de cause à effet entre ce facteur professionnel et l’état de la personne est aussi très délicat à établir de manière certaine. Dans bien des cas, un épisode pathologique est attribué initialement à un événement de vie (divorce, licenciement, deuil, etc.), mais évolue ensuite pour son propre compte, indépendamment du contexte déclenchant.
Les hypothèses scientifiques actuelles expliquent la plupart des troubles psychiques par la conjonction de facteurs de stress, d’une histoire personnelle particulière, et d’un "terrain" vulnérable. Ceci n’exclut bien sûr pas que, au cas par cas, des phénomènes très réactionnels puissent être évidents chez certaines personnes.
Une autre question non résolue au sujet des burn-outs est leur évolution : combien de temps peuvent-ils durer, quels sont les traitements possibles, est-ce que la simple suppression du stress professionnel suffit à régler le problème ? Toutes ces questions méritent des études scientifiques, non réalisées jusqu’à présent ou seulement partiellement faute de définitions claires.
La nécessité d'une double expertise, professionnelle et psychiatrique
Dans un domaine aussi sensible que la législation du travail, avec des conséquences financières importantes, il n’est pas possible de ne pas appuyer des décisions administratives sur un cadre médical précis. Dans l’état actuel des choses, un diagnostic de burn-out nécessiterait une double expertise très précise et très complexe, psychiatrique sur les symptômes de la personne, et professionnelle sur son environnement de travail.
Toute dépression et toute plainte subjective sur un stress jugé comme excessif par la personne elle-même ne devrait pas rentrer dans ce cadre, au risque sinon de le dévaloriser. Cela ne veut pas dire bien sûr que les autres types de souffrance ne doivent pas être pris en compte, mais ils doivent l’être autrement.
Cette situation est très similaire à celle que nous avons connu il y a environ 20 ans autour de la question du harcèlement moral, qui est passé d’une plainte assez floue à une entité juridique très codifiée.
Un cas particulier et différent, évoqué rapidement dans la tribune des députés, serait en revanche plus facile à cerner car très bien défini dans les classifications psychiatriques : l’état de stress post-traumatique. Il s’agit d’un syndrome anxieux et souvent dépressif survenant dans les suites d’un événement violent ayant provoqué un choc émotionnel majeur, qui peut évoluer vers un handicap social et personnel majeur.
Finalement, mon propos n’est pas du tout de nier l’intérêt de la prise en compte du burn-out dans la législation du travail, mais d’en souligner la complexité ; et donc la nécessité de développer des travaux de recherche pour mieux l’analyser, et surtout de mettre en place des politiques de prévention, avec un objectif essentiel de santé publique.