Au centre hospitalier du Rouvray, une unité spéciale pour les détenus
Publié le 05/10/2014 http://www.paris-normandie.fr/detail_article/articles/1584555/des-prisonniers-aux-petits-soins#.VDQm3xaqKiU
Santé. Il y a deux ans ouvrait au centre hospitalier de Saint-Etienne-du-Rouvray la première unité recevant des détenus souffrant de troubles psychiatriques. L’opération est concluante, mais elle n’est pas pour autant étendue à d’autres établissements.
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D’un coût total de 1,13 million d’euros, l’unité Badinter a été financée par l’Agence régionale de santé (photo Boris Maslard)
Elle a été inaugurée en septembre 2012, par Robert Badinter. Cette unité spéciale, qui accueille les personnes détenues au centre hospitalier du Rouvray, porte depuis le nom de l’ancien ministre de la Justice. Elle est toujours la seule de ce type en France. « Nous y recevons des détenus de la prison Bonne Nouvelle ou du centre de détention de Val-de-Reuil qui souffrent de troubles psychiatriques et traversent une phase aiguë, explique le docteur Pasquier, responsable de l’unité. C’était déjà le cas avant, mais les malades étaient confinés dans des chambres d’isolement. L’unité Badinter permet de les accueillir dans des conditions très proches de celles d’un centre d’hospitalisation classique ».
« L’unité a permis d’éviter des suicides en prison »
Si les détenus ne sont plus enfermés 24 heures sur 24 dans une chambre, et s’il n’y a pas de garde policière, les règles sont strictes et le régime, pénitentiaire : visites limitées voire interdites, téléphones portables non autorisés, sorties sous contrôle et horaires restreints. « Mais cela leur permet de souffler, ajoute Eric de Falco, président du conseil de surveillance de l’établissement, et de les sortir du domaine pénitentiaire ».
Huit places, qui accueillent aussi bien des femmes et des hommes, cela peut paraître peu en regard de la population pénitentiaire (650 places à Bonne-Nouvelle, environ 800 à Val-de-Reuil). D’autant que « les détenus souffrent dix fois plus de troubles psychiques que le reste de la population, précise le Dr Pasquier. Parce qu’ils sont en détention, parce qu’ils souffraient de troubles psychiques avant, parce qu’ils ont souvent vécu des parcours de marginalisation après des enfances difficiles ». Mais, « même si on aimerait parfois disposer d’une capacité plus importante », ces huit places paraissent suffisantes. « Les malades restent en moyenne 17 ou 18 jours, poursuit le docteur Pasquier. Mais la durée d’hospitalisation ne peut durer que deux ou trois jours, ou au contraire s’étaler sur plusieurs mois. 200 détenus (pour 333 séjours) ont été hospitalisés en deux ans ».
Trois grandes catégories de malades sont soignées au sein de l’unité Badinter : « un tiers d’entre eux présente des comportements suicidaires marqués, un autre tiers des syndromes dépressifs, le tiers restant est en décompensation psychotique », détaille le médecin. « Ce n’est bien entendu pas quantifiable, mais il est certain que l’unité Badinter a permis d’éviter nombre de suicides en prison », assure Eric de Falco. Paradoxalement, le ministère de la justice n’était à l’origine pas très favorable à la création de l’unité Badinter. « Comme tout ce qui fait intervenir un partenaire extérieur ». Aujourd’hui, tout le monde s’en félicite. « Nous sommes très satisfaits de la création de cette unité, explique Agnès Bidaud, directrice adjointe à Bonne-Nouvelle. Avant, les détenus, qui ne supportaient pas les chambres d’isolement du CHR revenaient très vite. Aujourd’hui, la durée de leur séjour est adaptée ». D’autant que de retour à Bonne-Nouvelle, les malades peuvent, si leur état le nécessite, intégrer une unité spéciale créée à l’intérieur de la maison d’arrêt. « Ils bénéficient alors d’une cellule individuelle, d’un suivi médical particulier et d’activités adaptées ». Enfin, les équipes du centre hospitalier et de la maison d’arrêt sont en relation permanente.
« Et ça fait des économies, ajoute la CGT au centre hospitalier. Car il n’y a pas de surveillants avec les soignants, comme à Lyon ». Elle dénonce quelques agressions « chaudes » qui se sont soldées par des accidents du travail. « Un infirmier a aussi été rendu injustement responsable d’une « évasion », souligne la syndicaliste. Évasion entre guillemets, car le détenu est revenu au bout de deux heures. Mais l’infirmier a été muté ».
À ces réserves près, l’expérience semble donner satisfaction. Elle n’a pas pour autant été reconduite dans d’autres établissements. Faut-il y voir l’effet de la concurrence des UMD (unités pour malades difficiles), qui accueillent parfois des détenus ? Ou plus encore des UHSA (unités hospitalières spécialement aménagées) qui fonctionnent de la même façon que l’unité Badinter mais qui sont plus importantes et où le gardiennage est assuré par du personnel pénitentiaire ? Depuis 2010, il en existe 7 en France (bientôt 8), pour près de 440 places. Une seconde tranche d’une dizaine d’établissements devait débuter en 2014, mais elle fait encore l’objet d’études.
« C’est peut-être une histoire de volonté et de politique locales », suggère Agnès Bidaud. Si l’unité Badinter est née, c’est grâce, entre autres, à l’initiative de l’ancien directeur de l’Agence régionale de santé de Haute-Normandie, qui avait auparavant exercé des responsabilités au sein de l’administration pénitentiaire...
Gilles Lamy