Prévention du suicide : les médecins sont divisés sur les antidépresseurs
Auteur:
Véronique Bertrand
Une étude vient de montrer un lien entre l'augmentation de la consommation d'antidépresseurs dans les pays européens et la baisse du nombre de suicides.
Les docteurs Richard Meyer, psychiatre et directeur de l'EEPSSA, et
Christian Petel, psychiatre et directeur pédagogique de Fractale, nous
donnent leur point de vue.
Dr Richard Meyer : « Cette étude va inciter les médecins à prescrire des antidépresseurs »
« Logiquement, les antidépresseurs sont des médicaments faits pour guérir la dépression, qui est une des causes de suicide. Il est donc normal qu’ils aient un effet positif, explique le Dr Meyer, qui dirige l'Ecole européenne de psychothérapie socio- et somato-analytique (EEPSSA).Dans le même temps, on sait que les femmes, plus que les hommes, se suicident principalement avec des médicaments. On peut donc se poser la question si, en leur prescrivant des antidépresseurs, on ne leur donne pas le moyen de faire une tentative de suicide.
On constate bien une baisse des suicides. Et c’est vrai qu’il est tentant de faire le lien avec les antidépresseurs, dont la France est championne en matière de consommation.
Même s’ils sont partiellement justes, les propos tenus dans cette étude peuvent être dangereux. Ils vont inciter les médecins à prescrire des antidépresseurs, car c’est une solution de facilité. Aujourd’hui, les généralistes prescrivent. Ils le font bien souvent sur la demande du patient auquel ils obéissent, de crainte, s’ils refusent, d’être attaqués pour “mauvais soins”. Les psychiatres, eux, sont réduits à en faire le sevrage ! Effectivement, ces derniers donnent beaucoup moins d’antidépresseurs car ils en connaissent les effets secondaires.
Aujourd’hui, on a d’autres moyens pour sortir d’une dépression. Il y a de plus en plus de personnes qui suivent une psychothérapie, qui se font aider par un coach de vie, ou qui utilisent les médecines douces, la méditation, ce qui est probablement la vraie cause de la diminution du taux de suicides. »
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Dr Christian Petel « Le mieux est de ne jamais donner d'antidépresseurs lors de la première consultation »
« La dépression mérite d’être bien diagnostiquée et bien traitée. Et en France, c’est le cas, estime le Dr Christian Petel. D’un point de vue de la Sécurité sociale, les patients n’ont pas d’accès direct au psychiatre. Dans un premier temps, ils consultent leur généraliste. Certains savent très bien prendre en charge la dépression, mais d’autres sous-estiment les symptômes ou donnent trop rapidement des antidépresseurs.Le mieux est de ne jamais donner d’antidépresseurs lors de la première consultation. Il faut au moins que le médecin ait eu deux ou trois entretiens avec le patient, afin de le connaître suffisamment avant d’engager le traitement. Et ce dernier doit toujours être accompagné d’un suivi psychothérapeutique. Chez des patients déprimés sensibles à l’angoisse, on peut associer, les premières semaines de traitement par antidépresseurs, un anxiolytique. On sait, effectivement, que lors des quinze premiers jours de traitement par antidépresseurs, il existe un risque suicidaire accru, car il y a une résurgence de l’angoisse avant que le traitement ne la régule.
Toutefois, le suicide n’est pas toujours la conséquence d’une dépression. Il y a une part mystérieuse dans cet acte avec d’autres causes à prendre en compte : sociale, pathologie mentale…
De plus, le risque de suicide diminue d’autant que la qualité de la prise en charge du patient est bonne. Elle repose sur la bonne relation entre le patient et son médecin, et la disponibilité de ce dernier. Il faut que la souffrance du patient soit reconnue, ce qui le met en condition de sécurité. Il faut aussi lui expliquer le fonctionnement des antidépresseurs, le laps de temps avant qu’ils ne soient efficaces et rester disponibles pour eux, même ne serait-ce qu’au téléphone.
Ensuite, classiquement, le traitement par antidépresseurs dure six mois, temps nécessaire pour limiter tout risque de récidive. Parfois, il est nécessaire de le prolonger.
Quant à la dépendance aux antidépresseurs, elle est quasi nulle, contrairement à celle aux anxiolytiques. En trois à quatre semaines, et quelques paliers dégressifs, un patient est sevré. »