Crise suicidaire de l'enfant ou de l'adolescent : pour un suivi rapproché de 6 semaines
Le Dispositif Départemental de Crise pour Enfants et Adolescents (DDCEA) a été créé dans la foulée de la pandémie de Covid pour aider les plus jeunes en proie à des idées suicidaires. Opérationnel dans le département de l'Essonne (Ile-de-France), il permet à une équipe pluridisciplinaire de prendre en charge ces patients de 10 à 18 ans pour un suivi rapproché de 6 semaines.
Des infirmiers, une éducatrice, deux psychologues une psychomotricienne et un médecin : tels sont les professionnels qui composent l'équipe du Dispositif départemental de crise pour enfants et adolescents (DDCEA). Depuis 2021, en Essonne (91), les jeunes de 10 à 18 ans du département en proie à des difficultés psychiques ou à des idées suicidaires bénéficient d'un accompagnement très spécifique : six semaines d'une prise en charge personnalisée, en intégrant au maximum les familles. «A l'époque du Covid, les enfants et les adolescents allaient de plus en plus mal et les Centres Médico-Psychologiques (CMP) ne pouvaient pas répondre à l'afflux de demandes. Ces enfants se retrouvaient sans solution», explique Laurence, infirmière en psychiatrie à l'hôpital Barthélemy Durand, d'Étampe, en poste sur ce dispositif, qui permet d'accueillir 30 enfants ou adolescents simultanément.
Concrètement, une plateforme téléphonique permet, soit aux parents d'un enfant en difficulté (parfois sur conseil de l'infirmière scolaire), soit directement à l'adolescent (mais il faudra nécessairement que les parents appellent par la suite), soit à un foyer, à un psychiatre ou un généraliste... d'adresser une demande. Celle-ci est étudiée collectivement et une réponse est apportée dans les 48h.
Crise ou urgence ?
L'équipe évalue tout de suite s'il s'agit d'une crise ou d'une urgence. «Si la psychologue scolaire nous dit que l'adolescent a envie de se jeter par la fenêtre, il s'agit évidemment d'une urgence. Dans ce cas, on réadresse l'enfant ou l'adolescent vers l'hôpital», explique l'infirmière. Si en revanche les enfants et les adolescents concernés traversent «une crise sans notion d'urgence», c'est à dire «un changement subi de comportement, avec un adolescent qui va commencer à avoir des idées noires, des idées suicidaires, qui va se scarifier, qui ne sort plus de chez lui ou ne va plus à l'école», alors ils sont au bon endroit.
Un premier rendez-vous d'évaluation est proposé. La prise en charge implique alors trois entretiens au cours de la semaine, en individuel ou en groupe : consultation infirmière, médiation (par le jeu, l'activité manuelle...) entretien avec un médecin (avec éventuellement la mise en place d'un traitement), une psychologue, une psychomotricienne. Les enfants et les adolescents sont suivis de façon individualisée.
Crise suicidaire, dépression, entrée dans les troubles psychotiques...
Dans la majorité des cas, l'équipe voit arriver de jeunes patients «avec des idées suicidaires, des idées noires et des scarifications», confie l'infirmière. Viennent ensuite le harcèlement à l'école et les phobies scolaires, le décrochage scolaire et enfin les traumatismes («des adolescents qui ont vécu des choses difficiles qu'ils ont gardé pour eux et qui ressurgissent brutalement. Lorsqu'ils n'en ont pas parlé, ça s'aggrave et ça débouche sur une crise»). L'équipe peut aussi prendre en charge des enfants et des adolescents qui font une entrée dans des troubles psychotiques. Elle n'est en revanche pas compétente pour les troubles du spectre autistique, ou des déficiences intellectuelles, pour de la psychopathie, des addictions ou des troubles alimentaires.
Pourquoi 6 semaines de prise en charge ?
Parce que l'idée est bien de comprendre ce qui se passe pour l'enfant, l'adolescent en crise et de réinscrire ce jeune patient dans un parcours de soins. «Dès le début de la prise en charge, on contacte les Centre Médico-Psychologiques (CMP) pour savoir si les équipes peuvent les prendre en charge après ou à défaut, on accompagne les parents afin qu'ils trouvent un médecin, un psychologue en libéral pour un suivi ultérieur», détaille l'infirmière qui souligne l'importance pour que les choses fonctionnent, de l'adhésion aux soins de la part de l'enfant et de sa famille. Les parents sont d'ailleurs reçus pour des entretiens familiaux, au début, en milieu et en fin de prise en charge pour faire un point.
Notre rôle, c'est de faire en sorte que les patients rentrent dans les soins et que ça continue.
Des jeunes «très phobiques, très anxieux»
Chaque jour connaît ainsi son lot d'appels, avec des jeunes «très phobiques, très anxieux», constate Laurence. Les enfants, les adolescents sont très affectés par l'état de la société et du monde, évoquent pour beaucoup d'entre eux le réchauffement climatique et leur avenir incertain.
«On réalise toujours les entretiens en binôme avec un autre professionnel, pour avoir deux regards différents. Par exemple, si je fais un entretien en binôme avec une éducatrice, ma mission consiste à détecter tout ce qui relève de la symptomatologie psychiatrique», précise Laurence, évoquant ses consultations infirmières. Par ses questions, elle cherche ainsi à déceler des troubles du sommeil, des troubles alimentaires, des scarification, des idées noires, des idées suicidaires, des éléments délirants...
L'infirmière doit pouvoir s'appuyer sur de très nombreux éléments dès le premier entretien d'évaluation. Il faut par exemple qu'elle connaisse le contexte précis de l'enfant ou de l'adolescent : s'il a un traitement, s'il bénéficiait d'un suivi auparavant, et si oui, quand et combien de temps. Par ce recueil très complet de données, la professionnelle balaye la situation de la manière la plus large possible : le contexte scolaire, les relations dans la famille (les parents sont-ils séparés ? Y a-t-il eu des violences ? Y a t-il des frères et soeurs ...)
Les enfants, les adolescents sont très affectés par l'état de la société et du monde. Ils évoquent pour beaucoup d'entre eux le réchauffement climatique et leur avenir incertain.
Enfant ou ado, des prises en charge différentes
Il arrive aussi à l'équipe de se rendre chez les gens, dans le cas où la famille la contacte pour un adolescent qui n'arrive pas à se déplacer à cause d'une phobie de l'extérieur. «Dans ce cas on peut faire une première visite à domicile mais le suivi ne se fera pas à la maison. Si l'adolescent ne parvient pas, malgré notre intervention, à sortir de chez lui, on sera obligé de passer le relais au CMP».
La prise en charge des enfants diffère de celle des adolescents : «On constitue des groupes et on ne met pas un enfant et un ado dans le même, les enjeux sont différents et la prise en charge n'est pas la même, ni la relation aux familles. Quand il s'agit d'un enfant de 10 ans, c'est souvent plus difficile pour les familles de le déposer 3 fois par semaine. Elles ne savent pas trop ce qui se passe parce qu'on ne dévoile pas, sauf si l'enfant est en danger et nous révèle des choses, ce qui se passe en prise en charge thérapeutique».
Amélioration de l'humeur, retour à l'école...
Les jeunes patients se succèdent en consultations. Si tout va bien pendant 6 semaines. Il arrive pourtant que certaines prises en charge s'interrompent avant, soit parce que la famille a privilégié la scolarité, soit parce que le patient le décide. «Pour nous, une prise en charge réussie, c'est de voir arriver un adolescent très déprimé, très mal, avec des idées suicidaires puis, au fil des consultations, un traitement est mis en place et à la fin, et on constate finalement une réelle amélioration sur le plan de l'humeur. Ça peut aussi être la reprise de l'école, pour un adolescent en décrochage scolaire. On connaît malgré tout des échecs malheureusement, avec des patients qui refont une tentative de suicide pendant ou à l'issue de la prise en charge et qui sont alors hospitalisés». Quoi qu'il arrive, les patients suivis 6 semaines ne sont jamais repris en charge. S'ils retapent à la porte, ils sont alors redirigés.
Si l'équipe ne fait pas de coordination à proprement parler (puisque c'est aux familles de trouver des relais extérieurs à l'issue de la prise en charge de leur enfant), celle-ci fait tout pour faciliter le suivi du patient à sa sortie du dispositif : en fournissant des adresses de professionnels de ville, ou en faisant directement le lien avec les CMP, ou encore avec la Maison des adolescents (MDA). «Malgré tout, on n'a pas de baguette magique, des pédopsychiatre en libéral, il y en a très peu donc ça reste compliqué pour les familles de prendre des rendez-vous», regrette Laurence. L'équipe, aujourd'hui hébergée dans un hôpital de jour, a déjà prévu de déménager au mois de mai dans ses propres locaux.