Suicides, épuisement moral, surmenage : le gouvernement se penche sur la détresse des internes en médecine
Face à leur détresse et à la mort de cinq de leurs camarades depuis le début de l'année, le ministre de la Santé les a rencontrés avec tous les autres étudiants de santé promettant une «tolérance zéro» et la mise en place d'un groupe de travail.
Ils s'appelaient Valentin, Tristan, Quentin, Florian... Tous étaient internes et se sont donné la mort depuis le début de l'année 2021, épuisés par leur condition de travail. «Un interne, ce sont des journées sans fin, deux gardes de 24 heures par semaine et une pression de dingue car on a la vie des gens entre nos mains», témoigne Quitterie*, interne en pédiatrie à Lille. Depuis cinq ans, elle arpente jour et nuit les couloirs blanchâtres du CHU lillois, voguant tous les six mois entre les services de réanimation, les urgences et la pédiatrie générale. Si elle a «tenu bon», c'est grâce à ses amis et sa famille mais plusieurs fois, elle a «hésité à tout arrêter». «Je ne dormais plus, j'étais en permanence épuisée, je n'avais plus le goût de rien».
Comme elle, sur 30.000 internes en France, ils sont plus de 66 % à présenter des signes anxieux, 28% des symptômes de dépression, 26% des idées suicidaires, selon l'étude de l'Intersyndicale nationale des Internes (ISNI) de 2017. «Un chiffre encore plus élevé avec l'arrivée de la pandémie», complète auprès du Figaro Gaëtan Casanova, président du syndicat et interne en anesthésie-réanimation à Paris.
Une situation à laquelle ont réagi conjointement les ministres de la Santé et de l'Enseignement supérieur constatant que «ces situations de mal-être perdurent et que la parole peine à se libérer». Pour lutter contre cette omerta, Frédérique Vidal appelle tous les directeurs d'ARS, les directeurs d'université de prendre des mesures adéquates quitte à «suspendre un terrain de stage où des actes de maltraitances ont été observées».
La lutte contre le mal-être et le harcèlement des étudiants en santé est une priorité du @gouvernementFR. Nous avons adressé un courrier à l'ensemble de la communauté universitaire et hospitalière pour leur rappeler notre mot d'ordre : #ToléranceZéro et #EngagementTotal. pic.twitter.com/6RqX2LhiAH
— Frédérique Vidal (@VidalFrederique) May 18, 2021
De son côté, Olivier Véran a tenu mardi 18 mai une réunion de concertation avec l'ensemble des étudiants de santé déjà épuisés et fragilisés par la crise. Après une heure de discussion, le bilan est mitigé pour Morgane Gode-Henric, présidente de l'Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF). Interrogée par Le Figaro au lendemain de cette réunion rassemblant tous les syndicats d'étudiants hospitaliers, elle note que des points importants ont été abordés. Le ministre s'est engagé à renouveler la «tolérance zéro» et à ouvrir un groupe de travail pour trouver des solutions adaptées afin d'améliorer les conditions de vie «inacceptable du jeune personnel soignant». Morgane Gode-Henric attend maintenant «des actes» car pour la jeune externe niçoise «si les médecins, les recteurs des universités et les chefs de service s'accordent, des solutions simples peuvent être trouvées». «On ne veut pas d'un coup de com', il y a de vraies questions, de vrais problèmes qui sont le reflet d'un hôpital à bout de souffle», défend Gaëtan Casanova.
Épuisement physique et moral
«Je suis toujours fatiguée, souffle Angélique*, interne en réanimation à Nice. Je travaille plus de dix heures par jour, parfois sans pause déjeuner.» L'étudiante de 26 ans a choisi cette spécialité par passion, mais elle ne «s'attendait pas à ce que ce soit si difficile». Journées de travail sans fin, gardes de 24 heures, stress permanent... Depuis presque six ans, elle «n'arrête pas».
Les semaines s'enchaînent, les nuits s'écourtent et ses vacances
s'annulent. Elle se souvient de cette semaine du mois de février durant
laquelle elle a dépassé les 80 heures de présence à l'hôpital. «J'ai enchaîné les blocs, les intubations, les soins, les comptes-rendus, égrène-t-elle. J'arrivais à l'hôpital, il faisait nuit, je repartais, il faisait nuit». Un épuisement qui se ressent non seulement dans ces services de soins intensifs, boudés ces dernières semaines en raison de la pandémie, mais aussi dans les autres étages des hôpitaux.
D'après une étude de l'ISNI datant de 2020,
les internes sont très loin d'effectuer les 48 heures hebdomadaires
réglementaires mais dépassent les 58 heures, voire 90 heures pour
certaines spécialités comme les chirurgiens. «Il faut que cette limite soit respectée, demande Gaëtan Casanova, c'est une nécessité» car «au-delà on est dangereux pour soi-même et pour les patients». Ces dernières sont souvent bafouées car «il y a du travail, du personnel absent et on n'a pas le choix».
Une pression ressentie par la majorité des internes, venue des chefs de
service qui n'hésitent pas à solliciter leurs étudiants. 90% d'entre
eux subissent un harcèlement moral, selon le syndicat. «Tous les jours je suis stressé, j'ai peur de mal faire, de faire une faute»,
se répète Théophile, interne en chirurgie. Tous les jours, le jeune
Lyonnais côtoie la mort, l'angoisse, les pleurs, les annonces tragiques
aux familles ... Et doit y faire face seul.
Des jeunes seuls et désemparés
«On n'a pas le temps de nous écouter, de discuter de ce que l'on vit, il faut avancer»,
déplore l'interne en chirurgie. Face à de nombreuses responsabilités,
les étudiants en médecine sont souvent appelés à prendre des décisions
tout seul. «En garde, un chef reste parfois disponible mais pas
toujours. J'ai déjà passé des nuits entières en étant le seul médecin
présent», relate-t-il en notant qu'il est encore en formation et «ne pas tout savoir». Des supérieurs parfois insensibles aux craintes des plus jeunes qui débutent, regrette de son côté Gaëtan Casanova. «Ils répètent que c'était pire avant mais c'est faux. Si le nombre d'heures était lui plus important, la charge était moindre.»
Le président du syndicat national demande un meilleur suivi des internes et des chefs de service pour «un management plus humain». Finie la culture médicale où il est normal de se laisser faire et accepter de telles conditions de vie, «il faut que cela cesse». Et chacun peut apporter sa pierre à l'édifice, espère Gaëtan Casanova. «Moins d'administratif et plus de soin» est une de ses principales requêtes. «On
n'est pas contre travailler beaucoup, c'est un métier qu'on fait avec
passion mais on a besoin d'être avec nos patients, de les soigner, pas
d'avoir les mains dans des dossiers.» Les internes ne sont pas les seuls à critiquer la part prise par l'administratif sur les soins. «Le malaise n'est pas propre aux jeunes, il est global dans la profession», soutient le Conseil national de l'Ordre des médecins dans son étude
sur la santé des jeunes soignants. Un mal-être d'autant plus étrillé
avec la pandémie qui a bouleversé l'organisation de tous les services
hospitaliers, des infirmiers aux médecins en passant par internes les
rendant plus vulnérables. L'ISNI a donc lancé une enquête nationale pour
établir avec précision les conséquences du Covid-19 sur le moral de ces
étudiants. Les premiers résultats devraient être communiqués dans
deux-trois semaines.
*Leurs prénoms ont été modifiés à leur demande