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Suicide, le chemin de la parole (12 septembre 2017)
- Par Karine Boppdupont
- Publié le sur la1ere.francetvinfo.fr/*
Itinéraires
aborde le thème du documentaire en Nouvelle-Calédonie où 30 personnes
meurent de suicide chaque année. Le suicide est la deuxième cause de
mortalité chez les jeunes. Pourtant le sujet est presque souvent encore
trop tabou.
Poser des mots sur le suicide, poser des mots sur le mal-être, sont peut-être les premiers pas du chemin vers le bien-être et la prévention des actes suicidaires. Dans ce film, nous suivons les chemins de parole. Les slams nous invitent à écouter les maux, à sortir du silence et à cheminer de l’ombre vers la lumière, du mal-être vers le bien être.
Les familles témoignent. Les spécialistes partagent des outils de prévention. Un film qui invite chacun de nous à devenir acteur dans la prévention du suicide. Un film qui pose au final la question de la capacité de notre société à créer du bonheur.
Interview des réalisatrices Dominique Roberjot et Christine Della-Maggiora(réalisée par la production Latitude 21 Pacific)
COMMENT EST NÉ LE PROJET DE CE FILM ?
Nous pensons que l’un des rôles primordial du film documentaire est d’interroger la société, de parler de sujets qui sont parfois tabous, qui font peur, avec pour objectif d’ouvrir un espace d’échange, de réflexion.
Il existe plusieurs sortes de films documentaires: des films de découverte, de divertissement… Mais le documentaire c’est aussi poser des questions, interroger le public, être acteur à notre mesure des changements de société sur des sujets sensibles…
Le suicide est un sujet douloureux… terrible… Une personne meurt toute les 40 s dans le monde. Il interroge la capacité de nos sociétés à créer du bonheur.
Le suicide fait partie de ces sujets (il y en a d’autres) sur lesquels on a du mal à poser des mots… On en parle peu ou pas… Ce silence est lié à beaucoup de choses: la pudeur, la difficulté d’exprimer le mal-être, la peur de la stygmatisation, le tabou…
La Nouvelle-Calédonie fait partie des pays fortement touchés selon les chiffres de l’OMS. Qui n’a pas connu un proche où une personne plus lointaine qui a essayé de passer à l’acte, ou qui est décédée par suicide sur notre Caillou… Qui ne s’est pas retrouvé un jour face à une personne en mal-être en se demandant comment l’aider ?
Cela fait un moment déjà que nous voulions traiter ce sujet, mais “COMMENT” en parler?
Il nous a fallu plusieurs années avant de nous lancer dans ce projet, le temps de murir une approche filmique qui puisse porter le propos, donner la parole sans être intrusives, porter un message d’espoir.
VOUS ÉVOQUEZ LE “COMMENT EN PARLER”. QUELLE APPROCHE FILMIQUE AVEZ VOUS CHOISIE ?
Notre propos n’était pas de faire une enquête sur le suicide. Notre propos était de nous tourner vers l’humain, vers les familles touchées par le suicide, afin qu’elles témoignent et partagent leur vécu avec le public calédonien. Nous voulions également donner des clefs aux spectateurs pour qu’ils puissent identifier, aider des personnes en mal-être. Et comme le suicide touche beaucoup la jeunesse, nous voulions que ce film puisse capter leur attention, même si c’est un sujet douloureux.
Nous avons choisi une écriture filmique qui nous immerge dans 3 mondes différents… Trois mondes complémentaires.
Il y a la réalité des personnes touchées par le suicide et qui témoignent.
Il y a les interviews posées des spécialistes, qui apportent des informations, des clefs sur le suicide et sur les outils de prevention
Il y a le slam… les mots posés sur la mal-être… la danse… Un chemin d’expression qui vient rapeler tout au long du film que parler ne doit jamais être un tabou… Des slams qui demandent à être écoutés… pour rapeler aussi qu’être bienveillant envers l’autre c’est avant tout l’écouter, lui offrir un espace d’expression.
COMMENT AVEZ VOUS APPROCHÉ LES FAMILLES POUR TÉMOIGNER FACE À LA CAMERA ?
Approcher les famille a été un long chemin… Ce n’est pas facile de demander à des personnes en souffrance de témoigner. Nous sommes passées par les acteurs de la prevention suicide pour établir les premiers liens: les enquêteurs de l’étude START du CHS, l’association Plein Soleil… Nous avons également fait fonctionner le bouche à oreille.
Certaines familles ont dans un premier temps accepté de participer, puis la force leur a manqué.
Il nous a fallu 6 mois pour pouvoir trouver des familles assez fortes psychologiquement pour témoigner. Nous voulons les remercier…
Si elles ont témoigné, c’est par ce qu’elle ont compris que notre film est un espace d’expression et de partage. Leur idée n’était pas de se poser en victim face au malheur qui a touché leur famille… Elles voulaient surtout témoigner pour aider d’autres familles, aider les jeunes et les moins jeunes dans des situations de mal-être.
Au départ, nous leur avons laissé le choix de témoigner floutés ou à visage découvert car nous ne voulions pas être intrusives. Mais la questions que nous avons abordé avec eux à chaque fois étai t: quel message envoyons nous si vous témoignez floutés ? si vous témoignez à visage découvert ?
La réponse était toujours la même. Témoigner flouté revenait à envoyer le message que parler du suicide est tabou… Or le propos des familles est tout l’inverse… Il faut en parler, il faut briser le silence pour développer la prévention.
C’est donc un choix délibéré et courageux de ces familles qui font preuve de beaucoup de force et de courage face à la douleur, et qui veulent à travers leurs témoignages sensibiliser les familles, la société en général.
Nous devons aussi ajouter qu’au départ, nous voulions intégrer dans le film des témoignages de jeunes qui ont fait des tentatives de suicide et qui vont beaucoup mieux aujourd’hui… Mais dès les repérages, nous avons compris que cela serait difficile, voir impossible. En effet, nous avons découvert que ces jeunes ont peur d’être stigmatisés, comme si parler de leurs moments de faiblesse était quelque chose d’inavouable, de honteux. Cela nous a beaucoup interpellées car cela nous montre à quel point encore aujourd’hui il y a un immense travail à faire pour chacun de nous, pour être dans une écoute qui ne juge pas, une écoute bienveillante… C’est un véritable problème de société !
C’est lorsque nous avons pris conscience de cette difficulté, de l’impossibilité pour certaines personnes de mettre des mots sur leur douleur, sur leurs pensées suicidaires que nous avons décidé d’inclure du slam dans le film, pour DIRE, pour CLAMER ces mots qui restent enfermés dans les coeurs des personnes en souffrance… Et pour les encourager à parler, eux aussi, pour changer cette société qui reste encore sur une vision selon laquelle l’Homme doit être fort pour avoir sa place dans la société et ne doit pas avoir de fragilités… Alors que nos fragilités ne sont elles pas la valeur même de notre humanité ?
PARLEZ NOUS DES SLAMS ?
Nous voulions que ces slams interpellent le spectateur…
Notre intention de réalisation était de dire aux uns
“Écoutez… écoutez les mots des autres… écoutez les maux des autres… soyez bienveillants”
et de dire aux autres
“Parlez, ne restez pas cloîtrés, la vie vaut la peine d’être vécue, vous êtes des êtres de lumières, ayez confiance !”
Pour que ces slams collent à la réalité, nous avons demandé à des collégiens de nous aider. Nous avons sollicité plusieurs établissements scolaires pour demander aux enseignants de faire des ateliers de slams avec leurs classes autour de la thématique du mal-être et du suicide. C’était en fin d’année (2016) et pas tous les collèges ont répondu à l’appel, mais nous remercions le collège et les élèves de Hienghène, qui nous ont envoyé de nombreux textes. Ils nous ont aidé à mieux comprendre les mots que la jeunesse pose sur cette thématique et leur ressenti. Cela a été précieux pour l’écriture des slams.
Ces slams racontent une histoire… Ils évoluent de l’obscurité vers la lumière, c’est un message d’espoir.
Yohan Ouchot, Izraela Sanchez et Siman Wenethem ont accepté d’interprêter les slams.
Le travail que nous avons fait ensemble a été très fort. Il y ont mis leur savoir, leur Coeur… Ils ont vraiment pris à coeur le sujet et ont voulu à travers leur art être acteurs aussi de ce film dans le sans profond du mot ACTEUR…
COMMENT FAIRE UNE PRÉVENTION EFFICACE ?
Nous avons essayé de donner des clefs sur la prévention dans notre film. Nous préférons laisser le film répondre à cette question à travers les mots des spécialistes et des familles.
Ce que l’on peut dire, c’est que l’une des réponse est dans le titre du film… Il nous a fallu 8 mois avant de trouver le titre définitif de ce documentaire… Il fallait qu’il fasse sens… Et le sens que nous avons trouvé après ces quelques mois au contact des personnes touchées par le suicide et des spécialistes… C’est LA PAROLE… Elle est au centre de toutes les réflexions
Nous sommes dans une société dite de communication… Mais communiquons nous vraiment ?… Il suffit de prendre un peu de distance à une table et d’écouter les gens parler… Une personne parle d’elle… L’autre rebondit pour parler de SON expérience On reste superficiel… il y a les joutes de ceux qui savent mieux que les autres… Mais où est la communication ? A quel moment arrêtons nous de nous écouter parler, parler avec des mots qui sont trop souvent les masques volontaires ou involontaires de notre réalité.
Peut-être que nos sociétés se sont réduites à une communication de façade… De la “COM”, comme on dit.
Peut-être que nous devrions apprendre ou réapprendre à parler de nous, de qui nous sommes et surtout apprendre à écouter les autres, à écouter qui ils sont, sans juger ou vouloir imposer notre réalité… Ce sont les chemins de la parole, des chemins différents des grandes autoroutes, que pour beaucoup nous avons peur d’emprunter…
Je ne sais pas si cela fait sens à votre question du “Comment faire une prévention efficace”, c’est une réponse vaste mais qui fait écho à chacun de nous, à la famille, à nos interactions en société…
DANS LE FILM, PLUSIEURS FAMILLES MÉLANÉSIENNES TÉMOIGNENT ET PARLENT DE TABOU… PENSEZ VOUS QUE LES MENTALITÉS ÉVOLUENT ?
On peut dire que le tabou est très présent dans les cultures mélanésiennes… Mais il est présent dans toutes les cultures, il prend juste une forme différente. Cela peut être un tabou lié à la coutume, à la religion, à la hiérarchie, à la pudeur, au caractère très intime du mal-être et de la douleur provoquée dans les familles qui ont subi un suicide… Cela peut être économique, sociétal…
Une personne par exemple voulait témoigner de ses pensées suicidaires pour le film et s’est désistée par peur d’être jugée par sa hiérarchie, à son travail…
Le tabou est partout. Prenons comme exemple l’homosexualité… Combien de jeunes se suicident car ils ne trouvent pas l’espace pour dire à leur famille, à leur entourage, qu’ils on une orientation sexuelle différente de la norme établie ?
Honnêtement, nous ne savons pas si les mentalités évoluent, nous l’espérons… Ce film est réalisé en ce sens… Nous avons mis dans les slams les paroles de la très belle chanson de BARBARA: “PERLIMPINPIN” pour évoquer cela… L’interdit que l’on pose sur soi ou les autres, le jugement … Ce sont des formes de violence qui tuent comme des couteaux… C’est à chacun de nous de travailler sur cela… C’est un problème individuel, communautaire et sociétal….
UNE NOTE POSITIVE POUR FINIR …
Ce film est un film positif !
Son message au delà de la douleur est de dire que nous sommes tous des êtres qui avons une place dans ce monde, que la vie est merveilleuse et que la douleur est passagère… Comme disait Jacques Brel (pour rebondir sur la chanson française, car le slam, la danse, l’Art de manière générale sont des outils d’expression):
“Il nous fait regarder ce qu’il y a de beau
le ciel gris ou bleuté
les filles au bord de l’eau
l’ami qu’on sait fidèle
le soleil de demain
le vol d’une hirondelle
le bateau qui revient”
Ce film est sur la même vibration que cette chanson… Oui, ce film est un message d’espoir et notre souhait le plus cher en tant que réalisatrices, c’est qu’il allège les coeurs lourds !
Dans le générique de début et de fin, nous avons symbolisé cette intention de réalisation par les bulles de savon, légères, colorées, rayonnantes dans la lumière, magiques, qui éveillent en nous l’insouciance de l’enfance… Des bulles pour alléger nos pensées et nos coeurs.