Par Sylvain Rolland | 28/09/2017 www.latribune.fr*
Le coût du mal-être en entreprise est de 12.600 euros par an et par salarié en 2016 dans le secteur privé. Un gaspillage que les startups du collectif HappyTech veulent réduire grâce à des outils favorisant le bien-être en entreprise. (Crédits : DR)
Encore un anglicisme pour désigner un sous-secteur obscur de la tech en quête de notoriété ? Un peu, mais pas seulement. Malgré leur appellation un brin triviale, les HappyTech s'attaquent à un véritable enjeu de société : le mal-être au travail, source de nombreuses dépressions, stress, burn-out et d'une perte de productivité qui impacte la performance des entreprises et donc l'ensemble de l'économie française.
Favoriser le bien-être, de la simple bonne gouvernance financière ?Depuis quelques années, de plus en plus de startups se lancent donc dans le business du bien-être en entreprise. Leur credo : la technologie pour retisser les liens entre la direction et les salariés, et entre les salariés eux-mêmes. Un positionnement en phase avec une volonté de plus en plus forte, notamment chez la nouvelle génération des Millennials, d'avoir un travail qui fait à la fois sens et dans lequel on se sent bien. L'arrivée du bio dans les cantines, les expérimentations de télétravail, les événements de "team building" inspirés de la culture d'entreprise des startups, participent à ce mouvement de fond.
Ainsi, les Comeet, Workwell, BoostYourFit, Hu.Di, MonMartin ou encore Cocoom, toutes membres du collectif, tentent de convaincre les grands groupes et les PME avec un argumentaire simple : dépenser un peu maintenant, récolter beaucoup plus tard, tout en évitant des coûts inutiles comme les arrêts maladie pour burn-out ou dépression. "C'est logique : plus l'employé se sent bien, plus il s'implique, moins il est absent, plus il reste longtemps dans l'entreprise et plus sa productivité et la qualité de son travail sont importantes", décline Samuel Metias, le fondateur et Pdg de Comeet, également à l'origine du collectif HappyTech.
D'après les estimations basées sur l'activité des dix-neuf startups membres, une démarche "outillée et structurée" de bien-être au travail permettrait à une entreprise de 500 salariés d'économiser "près d'un million d'euros" par an. Une somme calculée sur la base d'une baisse de 3 jours du taux d'absentéisme, de 2% du taux du taux de fidélisation et une augmentation de 5% de la productivité.
"Prendre soin de ces salariés, ce n'est pas seulement faire preuve de bienveillance, c'est aussi purement et simplement de la bonne gouvernance financière. Un mauvais management du travail entraîne de la souffrance et donc un coût pour l'entreprise", plaide Florence Feve-Vallot, la déléguée générale de HappyTech.
Les entreprises françaises, bonnet d'âne du bien-être en EuropeProblème : on est encore très loin du compte. Et surtout en France. D'après une étude récente du cabinet Technologia agréé par le ministère du Travail, 3,2 millions d'actifs français sont considérés "à risque élevé de burn-out". Quid des autres ? Ils ne sont pas plus motivés pour autant. Le baromètre QVT (pour "qualité de vie au travail") de l'institut Gallup pointe que 89% des salariés français sont "activement désengagés" [sic] de leur travail, ce qui constitue un record en Europe.
Le groupe de prévoyance Apicil et le cabinet Mozart Consulting ont également mesuré le coût du mal-être en entreprise. Il est salé : 12.600 euros par an et par salarié en 2016 dans le secteur privé. Ce montant est certes en légère baisse par rapport aux années précédentes, mais il reste toujours très élevé. Et si 2.500 euros sont des coûts "incompressibles" (problèmes de santé personnels, non liés au travail), 10.100 euros pourraient être économisés si seulement les entreprises se dotaient d'une politique interne de bien-être, dans le cadre de leur démarche RSE par exemple.
Entre 1 et 3 points de PIB en plus grâce au bien-être ?Dans ce contexte, pourquoi le bien-être au travail reste-il si peu pris en compte en France ? Pourquoi est-il même considéré comme trivial par de nombreuses directions d'entreprise, qui ne l'abordent que comme un effet de mode gadget ? Car si les conséquences du mal-être commencent à être connues, les bénéfices du bien-être sont difficiles à mesurer, explique Alexandre Jost, le fondateur de La Fabrique Spinoza, un "think tank" spécialisé dans le bonheur en entreprise:
"Les impacts positifs du bien-être sont certains car les entreprises pro-actives en vantent les mérites, mais il est impossible de chiffrer au milliard d'euros près le gain de performance. En revanche, les premières estimations laissent penser que le gain de croissance pourrait s'élever entre 1 et 3 points de PIB"Entre 2013 et 2015, les dépenses des entreprises sur le segment spécifique du bien-être au travail ont représenté 43 milliards de dollars dans le monde (36,7 milliards d'euros), avec une croissance de 6,4% en deux ans. Les employeurs européens ont représenté près du tiers de cette dépense, soit 16 milliards de dollars (13,6 milliards d'euros). Mais ces investissements, certes significatifs, n'ont concerné que 9,5% des effectifs.
Assistant personnel par tchat, plateforme ouverte de partage d'informations structurantes, appli de loisirs entre employés...Les startups de la HappyTech y voient donc une opportunité. Pour l'heure, le collectif accueille 19 membres, dont une quinzaine de startups. Celles-ci fournissent quatre grands types de services aux entreprises : la mesure du bien-être grâce à l'explosion des données, la mise en relation entre collègues via l'organisation d'activités, l'optimisation du temps entre la vie privée et la vie professionnelle, ou encore des conseils santé.
Ainsi, la startup Quatre Epingles fournit un assistant personnel par tchat pour permettre à l'employé de mieux organiser sa vie personnelle et sa vie professionnelle, avec des services comme une conciergerie par exemple. Tsoh-Activities permet à chaque collaborateur de proposer et de participer à des activités de loisirs entre collègues, ciment de l'amélioration du vivre-ensemble. Workwell, portée par la jeune entrepreneure Marie Schneegans, 24 ans, est une plateforme qui regroupe sur une même application l'accès aux services à proximité de l'entreprise (réservation de restaurants, cours de sport, co-voiturage, conciergerie...). MonMartin propose des ateliers de bien-être (sophrologie, nutrition, ostéopathie) sur-mesure. Il y a aussi Cocoom, une plateforme qui "rapproche les dirigeants et les collaborateurs" en facilitant le partage "d'informations structurantes" pour l'entreprise, afin de mieux diffuser l'information au sein des équipes et donc travailler sur l'implication de chacun autour d'un objectif commun.
Un tout petit secteur en quête de légitimitéLa quinzaine de startups du collectif, pour la plupart jeunes, revendiquent "quelques centaines de milliers d'euros" de chiffre d'affaires. Autrement dit, pas grand-chose, du moins pour l'instant.
Que manque-t-il aux HappyTech pour exploser ? De la notoriété tout d'abord, que le regroupement en association devrait faciliter. Le collectif espère attirer toutes les startups du secteur (une centaine en France) d'ici à la fin de 2018 et porter à 3 millions le nombre d'actifs qui bénéficient de leurs solutions.
De la légitimité ensuite. "Si le bien-être au travail attirait davantage les scientifiques, cela contribuerait à gommer l'image gadget", estime Alexandre Jost, de La Fabrique Spinoza.
Enfin, il faudrait surtout qu'un changement des mentalités s'opère dans les entreprises. "On connaît tous quelqu'un qui est ou qui a été en souffrance au travail, mais ce phénomène est très sous-estimé par les entreprises", déplore Thomas Coustenoble, le co-fondateur et président d'HappyTech. Pour Valérie Mellul, la présidente de Nexity Conseil et Transaction, la prise de conscience doit avoir lieu à tous les niveaux, des employés qui peuvent imposer "d'en-bas" ces nouvelles solutions aux sommets de l'entreprise.
"La direction générale doit comprendre que le bien-être rend aussi l'entreprise plus attractive dans la guerre pour attirer les talents. Surtout les cadres qui ont un taux de chômage de 3,5% contre plus de 9% pour l'ensemble de la population. Aujourd'hui, les grands groupes crèvent de voir les talents privilégier d'autres types d'entreprises plus innovantes sur la gestion des ressources humaines".
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