France/Monde " Risque de suicide accru chez les anesthésistes "
18/03/2014 sur http://www.lanouvellerepublique.fr/France-Monde/Actualite/Sante/n/Contenus/Articles/2014/03/18/Risque-de-suicide-accru-chez-les-anesthesistes-1834538
Épuisement, stress, isolement… « Quand on bosse entre 45 et 80 heures par semaine, le risque de burn out et de syndrome dépressif peut croître très vite. » Prudent, le docteur Yves Rébufat (CHU de Nantes), président du Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes réanimateurs (SNPHARE), ne préjuge pas de ce qui a pu pousser la jeune anesthésiste à se donner la mort à l'hôpital de Châteauroux, mais pointe la généralisation des horaires à rallonge, la pression, les problèmes d'organisations qui sont le lot de nombre de services d'anesthésie en hôpital.
Selon une étude américaine courant sur ces quinze dernières années, « le pourcentage de risque de suicide est accru de 2,4 fois chez les femmes anesthésistes et de 1,5 fois chez les hommes », souligne le docteur Max-André Doppia (CHU de Caen), vice-président du Collège français des anesthésistes-réanimateurs (Cfar). « On évoque souvent la fragilité de la personne, mais c'est une manière d'évacuer les véritables questions », estime-t-il.
Des conditions de travail de plus en plus contraintes
Selon une enquête menée en 2009 par la Société française d'anesthésie et de réanimation, au moins un élément signale un risque de burn out « élevé » pour 63 % des praticiens. Le risque pris pour le patient, auquel les anesthésistes, comme les chirurgiens, sont particulièrement exposés « est un facteur de risque, mais pas le principal », précise le docteur Doppia. Sur la foi de témoignages recueillis par l'Observatoire de la souffrance au travail du SNPHARE, les modes d'organisation du travail sont le plus fréquemment cités comme facteurs de mal-être. « Ça inclut le rythme de travail, les manques de moyens, le décalage entre l'investissement et les conditions d'exercice, la reconnaissance… », détaille-t-il.
La réduction des crédits accordés aux hôpitaux publics et le manque récurrent de médecins ont exacerbé les difficultés ces dernières années. « A cause des contraintes organisationnelles, nous avons de moins en moins de temps pour échanger, de manière formelle ou informelle », illustre le docteur Doppia. Conflits internes, entre collègues, avec la direction… « Beaucoup se sentent très isolés », estime-t-il. Quand « le collectif de travail joue énormément dans la prévention du suicide », rappelle le docteur Rébufat, surtout pour une profession qui se soigne peu (80 % des médecins n'ont pas de médecin traitant) et s'autorise rarement à s'épancher. « C'est la culture médicale… On apprend très vite à renoncer à beaucoup de choses – des horaires de sommeil et de repas réguliers, les week-ends, les fêtes, une vie de famille " normale "… C'est un engagement, un devoir, mais un décalage se crée si en face il n'y a ni moyens, ni reconnaissance, insiste le docteur Doppia. Le fait que cette anesthésiste ait attendu d'avoir terminé sa garde avant de s'injecter le produit qui allait la tuer en trois minutes n'est pas anodin, non ? »
Mariella Esvant