vendredi 15 janvier 2021

STRUCTURE RESSOURCE Seine-Saint-Denis : Le tribunal de commerce de Bobigny propose depuis mercredi, avec l’appui du Medef, une aide psychologique aux patrons en «souffrance aiguë»

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Seine-Saint-Denis : Medef et tribunal de commerce s’inquiètent des risques de suicide chez les patrons

Le tribunal de commerce de Bobigny va proposer dès ce mercredi, avec l’appui du Medef, une aide psychologique aux patrons en «souffrance aiguë». Une initiative qui s’inscrit dans un contexte de crise économique et sanitaire, et des perspectives plutôt sombres.

Par Nathalie Revenu Le 12 janvier 2021 https://www.leparisien.fr/*

Parce qu'il a connu un redressement judiciaire, Bastien Brunis sait ce que la détresse psychologique des dirigeants d'entreprise veut dire. Élu en novembre président du Medef 93-94, il veut placer son mandat sous le signe de « l'aide aux entreprises en difficulté ».

C'est donc sans hésiter qu'il a accepté de soutenir le dispositif Apesa (Aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aiguë) destiné aux chefs d'entreprise présentant un risque suicidaire. Il est lancé ce mercredi par le tribunal de commerce de Bobigny et sera pleinement opérationnel fin janvier. Il proposera cinq consultations chez des psychologues aux chefs d'entreprise au fond du gouffre.

«Le sentiment de passer de héros à zéro»

Des dispositifs d'aide aux dirigeants existent déjà (procédures de conciliation du tribunal de commerce, centre d'information sur la prévention des difficultés des entreprises…) mais peu d'entre eux aborde de front l'aspect psychologique. Bastien Brunis n'a lui jamais plongé et fort heureusement Solicom, son agence de communication, a été sauvée. Mais en période de pandémie et de turbulences économiques, il pressent le désarroi des petits patrons et des commerçants à l'assise financière déjà fragile.

Lors de sa prise de fonction, il avait livré un témoignage personnel très fort sur ce passage à vide : « J'ai d'abord eu le sentiment de passer de héros à zéro. Annoncer à mes salariés, mes clients, mes partenaires, ma famille, la réalité d'une situation que je ne maîtrisais plus ne m'a pas soulagé, mais fait sentir coupable, honteux de ne pas avoir su l'anticiper. Moi qui réussissais tout, cette fois j'avais merdé ».

«L'Apesa, c'est le dernier stade avant la mort»

II sait que pour mettre Apesa sur les rails, il faudra surmonter des écueils. « Les chefs d'entreprise parlent très rarement de leurs difficultés, explique-t-il. Et cela s'accompagne d'un fort sentiment de culpabilité, voire d'un déni. Car ils ont toujours l'impression qu'ils sont responsables de ce qui leur arrive. C'est le cercle vicieux des 3 D : dépôt de bilan, divorce, dépression ou décès. Apesa, c'est le dernier stade avant la mort », résume sans pincettes le patron des patrons de Seine-Saint6denis et du Val-de-Marne.

Me Patrick Roulette, président de la commission entreprise au barreau de Bobigny, veut aussi balayer certains préjugés à l'égard des entreprises à travers ce projet : « Toutes ne sont pas riches et elles ne sont pas en difficulté à cause de malversations de leurs dirigeants ». « Nous ne pouvons pas rester insensibles à leur détresse », ajoute-t-il.

«Venir au tribunal de commerce ne doit pas être vécu comme une infamie»

Francis Griveau, président du tribunal de commerce, cheville ouvrière du dispositif et siège de l'association, espère qu'avec cette main tendue, le tribunal « ne sera plus perçu comme le fossoyeur des entreprises mais comme une aide. Venir au tribunal de commerce ne doit pas être vécu comme une infamie ».

Il anticipe néanmoins des heures difficiles pour certains patrons et salariés « à partir des mois de mars-avril, quand les entreprises ou les commerces placées sous perfusion pendant la crise du Covid vont devoir rembourser les cotisations à l'Urssaf ». Le tableau dressé par

Bastin Brunis est tout aussi sombre. « Beaucoup de patrons ont déjà complètement décroché. Ils n'ont pas été présents sur les dispositifs d'aide de l'Etat, le chômage partiel ou les remises de loyer ». Il est impossible pour l'instant de les quantifier mais il estime déjà que « 65 % des boîtes n'ont pas consommé leur PGE (prêt garanti par l'Etat) ».


Déjà des signes avant-coureurs se manifestent. Le second tribunal de commerce de France a enregistré en 2020 trois fois plus de procédures de prévention, une mesure déclenchée avant le redressement judiciaire. En revanche les procédures collectives ont baissé de 43 %. Un chiffre trompeur.

2022, année critique

« Cela tient au fait que l'Urssaf n'assigne plus en ce moment les entreprises qui ne peuvent plus payer leurs charges pour leur donner un peu d'oxygène », explique Francis Griveau, qui pronostique une année 2022 très critique, lorsqu'il faudra rembourser tous les prêts. « C'est 3 à 400 PME qui vont se retrouver à la barre du tribunal », indique-t-il.

Face à ce constat préoccupant, les juges consulaires, le Medef, les avocats du barreau de Bobigny et les experts-comptables vont se muer en « sentinelles » chargées de détecter les dirigeants en souffrance. « Nous allons aller au charbon, explique Bastien Brunis. Ces sentinelles seront recrutées dès ce mois-ci. Toutes entretiennent un lien de confiance avec les entreprises. Leur rôle sera d'aller les chercher pour mettre fin à leur solitude et les adresser ensuite à des psychologues ».

La Seine-Saint-Denis sera un terrain d'expérimentation fertile. Les petites structures — les plus fragiles — y sont nombreuses, mais « il y a un esprit de résilience et la solidarité plus forts qu'ailleurs », analyse Bastien Brunis. 

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