TikTok, Instagram, Twitch... Les nouveaux cabinets psy des ados
Clémence Bauduin Aujourd'hui en France , dimanche 10 janvier 2021
« Aujourd'hui c'est la première fois que je me dis Je m'aime et que j'y ai cru. Ça fait tellement de bien. » La petite phrase n'est pas volée derrière la porte d'un cabinet de psychologie, mais accessible à quiconque possède un compte TikTok, le média favori des 12-25 ans. Elle est signée « Alan », qui se présente sur ce réseau social comme un adolescent de 15 ans, et qui réagit là à un post de Marc, plus connu sur cette plateforme sous le pseudo de MentalBoost.
Sur son compte, MentalBoost prodigue ses conseils au format TikTok - des vidéos courtes, qu'il arrange chaque fois de la même identité visuelle. Chacune d'elles aborde tantôt la confiance en soi, tantôt la santé mentale au temps du confinement ou encore le rapport aux parents. Après cinq mois d'existence, son compte, qui ne fait mention d'aucun diplôme, est suivi par plus d'un million d'abonnés.
Si l'expertise de ce mentor nouvelle génération peut laisser les acteurs de la santé mentale dubitatifs, les retours des abonnés, eux, sont souvent dithyrambiques. « T'es tellement apaisant c'est un truc de ouf », « tu sers à quelque chose sur TikTok, je t'apprécie beaucoup », réagissent tour à tour « It's Jeremy Honey » et « Gluxp ». Sa vidéo la plus visionnée dépasse les 4 millions de vues.
Crise sanitaire oblige, la psychologie trouve un nouvel écho sur les canaux de communication privilégiés des ados, et MentalBoost est loin d'être seul sur ce créneau. « Il y a un vrai mouvement de fond autour de la santé mentale sur les réseaux sociaux, observe le docteur Jean-Victor Blanc, psychiatre à l'hôpital Saint-Antoine, à Paris. Une communauté se développe, composée de patients, de psy, de coachs en développement personnel, mais aussi de comptes plus militants ou politiques. »
Sur Instagram, difficile de connaître précisément l'âge d'un utilisateur à moins que celui-ci ne le renseigne sur son profil, mais qu'importe : pour Jean-Victor Blanc, cette tendance relève plus de la génération que de l'âge. « On distingue de moins en moins les ados des jeunes adultes, notamment parce que le cerveau achève son développement vers 25 ans, explique le médecin. Sur les réseaux, on touche un public allant de 13 à 30 ans qui correspond à une génération plus anxieuse, mais aussi plus concernée par sa santé mentale, que les générations précédentes. »
Le phénomène a déjà éclos sur le nouveau géant du streaming vidéo Twitch. Depuis plusieurs mois, des streamers stars - des personnes qui animent leurs propres vidéos en ligne et en direct - se prêtent au jeu du divan devant leurs abonnés. Face à eux : des experts de la santé mentale comme Alok Kanojia, un psychiatre enseignant à l'université de Harvard qui se fait appeler « Dr K » en ligne.
Ce dernier « reçoit » virtuellement des vedettes de la plateforme, à l'instar de la streameuse Amouranth, et le tout est relayé en direct, au vu et au su de tous leurs - majoritairement jeunes - abonnés. Les vidéos atteignent, là encore, rarement moins d'un million de vues.
Si cette mode s'est pour l'heure surtout fait une place aux Etats-Unis, la France n'est pas en reste sur le plan des confidences en ligne à la manière des radios libres d'une autre époque, en témoigne la streameuse française Jeel. Cette dernière anime l'émission Docteur Jeelou, au cours de laquelle elle invite d'autres streamers pour parler problèmes de coeur, tout en répondant aux questions des personnes qui les regardent.
Lever des barrières
Moins geek, mais tout aussi virtuel, Instragram recèle de nombreux comptes axés sur la psychologie. Le docteur Houda Hjiej, pédopsychiatre à Casablanca, au Maroc, a lancé son comptependant le premier confinement, au printemps dernier. « J'ai été sollicitée par des jeunes gens ou par des mamans qui avaient besoin de communiquer par rapport à la situation », se souvient-elle.
Le docteur Hjiej se lance alors dans les lives, des échanges directs avec son nouveau public, qu'elle voit comme « un prolongement » de son métier. « Cette période a donné des idées aux praticiens, ça a levé des barrières », estime-t-elle.
Ce nouveau moyen de découvrir la psychologie a contribué à lever l'appréhension de la consultation et à casser des tabous tenaces. « À l'hôpital, je ne vois que les personnes qui font l'effort de dépasser leurs préjugés pour venir consulter. Les réseaux sociaux, eux, drainent une population qui n'est pas toujours prête à franchir ce pas », se réjouit Jean-Victor Blanc.
« Le fait d'être derrière un écran démystifie l'angoisse du pédopsychiatre, complète Houda Hjiej. Les jeunes et leurs parents se rendent compte qu'on est un humain avant tout. »
Lever des barrières oui, mais sans tout mélanger. Entre le cabinet dans lequel il reçoit ses patients à Saint-Antoine et son compte @culturepopandpsy, Jean-Victor Blanc marque une frontière bien délimitée. « Quand j'utilise des musiques ou des gifs sur mon compte Instagram, j'aimerais bien que ça soigne, mais ça ne remplace pas une consultation, sourit le médecin. C'est en revanche un très bon outil pour changer les mentalités. »
Exit les représentations archaïques des maladies psychiques : celles-ci sont désormais décrites sous un jour plus rassurant. @culturepopandpsy dédramatise les maladies mentales en évoquant les vedettes qui en souffrent ou en connaissent les rouages. Sur ce plan, l'actualité est riche. « De Selena Gomez à Gringe en passant par Kanye West, tous les mois des personnalités prennent la parole sur ces questions », explique le médecin, auteur du livre « Pop & Psy » consacré à la même thématique.
Une vigie des pensées suicidaires
Face à des marqueurs de souffrance pédopsychiatrique alarmants et à la recrudescence des tentatives de suicide chez les jeunes, les réseaux sociaux ont parfois même un rôle de vigie. « Cela dépasse ce qu'on peut être en mesure de faire en cabinet », estime Jean-Victor Blanc.
Sur Twitter et Instagram, le programme Papageno travaille à promouvoir l'écoute et l'accès aux soins en privilégiant les canaux de communication contemporains. Il lancera au printemps prochain un projet baptisé Elios, pour « Équipe en ligne d'intervention et d'orientation pour la prévention du suicide » : une équipe de webcliniciens joignable directement sur les réseaux sociaux. Ce dispositif est une première en France.
« Beaucoup de jeunes n'ont pas accès aux soins par les canaux traditionnels y compris le téléphone, fait remarquer Charles-Edouard Notredame, psychiatre de l'adolescent et membre actif du programme Papageno. Les réseaux sociaux peuvent être une formidable porte vers une démarche auprès d'un praticien. »
Si le rôle salvateur de ces nouvelles plateformes a déjà fait ses preuves, attention toutefois à l'absence de cadres. « Parfois, je tombe sur des vidéos délétères pour les jeunes, regrette Houda Hjiej. On voit des gens intervenir sur le plan médical pur sans qu'ils soient aptes à le faire. Ils s'adressent à des mineurs qui ont accès sans contrôle à ces vidéos, alors que les consultations classiques, elles, sont cadrées. » Sans parler des contenus sponsorisés dont le but est de vendre tel ou tel produit miracle pour se sentir mieux.
La démocratisation de l'écoute psychologique ou psychiatrique est à double tranchant. « La parole est accessible à tous et par conséquent, le conseil aussi, conclut Charles-Edouard Notredame. Il faut que les professionnels de la santé mentale se saisissent eux-mêmes des réseaux sociaux, au risque d'être dévoyés par des gens qui ne s'y connaissent pas. » Cet article est paru dans Aujourd'hui en France (site web)