jeudi 26 novembre 2020

Suicide des médecins : quels messages faire passer en attendant des chiffres officiels ?

Medscape POINT DE VUE Suicide des médecins : quels messages faire passer en attendant des chiffres officiels ?

Véronique Duqueroy

Auteurs et déclarations

25 novembre 2020

France ― Un quart des médecins souffrant de burnout ont déjà eu des pensées suicidaires, selon notre dernière enquête Medscape, à laquelle plus de 1000 praticiens français ont répondu. Alors qu’aux États-Unis les médecins affichent un taux de suicide plus élevé que dans toutes les autres professions, qu’en est-il en France ? Quid de l’impact du COVID sur la suicidalité des soignants ? Nous avons interrogé le Dr Guillaume Pataud, psychiatre à l’hôpital Lariboisière, à Paris. 

Medscape édition française : Quelles sont les données actuelles sur la suicidalité des médecins en France ?

Dr Guillaume Pataud : Nous ne disposons pas actuellement de chiffres officiels, c’est-à-dire émanant d’études mandatées par une institution publique. Il est néanmoins estimé que le risque d’idées suicidaires et de suicide serait plus élevé chez les professionnels de santé que dans la population générale. Des études (basées sur des auto-questionnaires) relayées par les syndicats et associations étudiantes, en particulier chez les étudiants en médecine estiment un risque d’idées suicidaires deux fois plus élevé, qui pourrait atteindre 23%. D’autres études réalisées notamment par l’Ordre des Médecins, suggèrent que près de 8% des décès des médecins en activité seraient dus à un suicide, soit deux fois plus que pour la population générale.

8% des décès des médecins en activité seraient dus à un suicide, soit deux fois plus que pour la population générale.

Les médecins âgés de 40-54 ans et les femmes seraient les plus affectés par le burnout. Peut-on établir un profil de risque de suicidalité pour les médecins ?

Dr Pataud : On sait que dans la population générale, les symptômes anxieux, dépressifs et les idées suicidaires sont plus souvent rapportés par les femmes. Mais il existe un biais qui fait que les hommes expriment moins leur souffrance psychique et ont moins recours aux professionnels de santé mentale. Nous n’avons pas de données spécifiques pour les soignants, mais on peut imaginer un profil similaire dans cette population.

Comment les mesures de prévention peuvent-elles être mises en place si on ne peut pas suivre l’évolution de la suicidalité des médecins ?

Dr Pataud : En 2018, un Observatoire National de la Qualité de Vie au Travail des professionnels de santé et du médico-social a été créé à la suite de plusieurs suicides de soignants relayés notamment dans les médias. La mission de cet Observatoire est de contribuer au développement des connaissances par le recueil de données quantitatives et qualitatives, élaborer des avis et préconisations, et organiser des dialogues entre les professionnels de santé. Il y a également des structures mises en place dans les hôpitaux pour soutenir les médecins, ainsi que des numéros d’assistance et d’aide (0800 800 854 ou 0800 288 038.). Avec la crise du COVID et l’aggravation du mal-être des soignants qui en découle, le processus a été formalisé.

Dans notre enquête, 63% des médecins en burnout disent que la crise du COVID a augmenté la sévérité de leurs symptômes. Dans votre pratique, comment avez-vous observé l’évolution de la santé mentale des soignants durant le COVID ?

Dr Pataud : Durant la première vague, une partie des soignants a été très motivée et performante devant le caractère inédit de l’urgence sanitaire, tandis que d’autres soignants ont au contraire été encore plus en difficulté dans l’exercice de leur activité. Avec cette deuxième vague, on retrouve un schéma plus « classique », avec le ressenti d’une grande lassitude, un manque de reconnaissance et une insatisfaction vis-à-vis des conditions de travail. Même si, à Paris, la deuxième vague est gérée différemment de la première ― on a réussi à ne pas déprogrammer en masse et à conserver les filières de soins, les médecins ayant pu conserver une partie de leurs activités ― on voit que c’est plus compliqué dans d’autres régions comme en Auvergne-Rhône-Alpes et en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Des options ont été proposées en soutien aux soignants durant le COVID avec notamment des nouvelles lignes téléphoniques d’écoute qui ont été mises à disposition.

En pratique, lorsque vous recevez des médecins en souffrance, viennent-ils à vous par le biais de ces lignes d’écoute?

Dr Pataud : Parfois, mais le plus souvent, ce sont les consœurs et confrères qui nous alertent directement pour eux ou leurs collègues. Nous essayons ensuite de les recevoir rapidement afin d’évaluer l’intensité de leur souffrance psychique, puis nous proposons un suivi à l’hôpital ou avec nos collègues du libéral, si ces médecins préfèrent ne pas consulter dans l’hôpital où ils travaillent.

Pour certains soignants, c’est l’organisation du système hospitalier et de santé en général qui contribue à leur mal-être . Comment donc considérer qu’ils soient pris en charge par ce même système ?

Dr Pataud : Il s’agit d’une question pertinente et au niveau psychiatrique, il n’y a toujours pas de consensus sur la définition du « burnout ». Les situations varient d’une personne à l’autre : certaines personnes ont une vulnérabilité pré existante et du fait de conditions de travail difficiles, elles vont en effet décompenser sur le plan psychique avec des symptômes anxieux et dépressifs. D’autres n’ont pas de vulnérabilité pré existante, mais du fait de conditions de travail difficiles, elles vont présenter un mal-être en lien avec cet environnement négatif. Il est difficile pour les psychiatres de juger dès le départ si ce sont les conditions de travail ou les vulnérabilités pré existantes qui doivent être mises en cause, car le plus souvent la situation est plurifactorielle. Il s’agit d’un vaste débat sur lequel les spécialistes ne sont pas tous d’accord.

Néanmoins, une meilleure organisation du système hospitalier et de santé en général doit rester un engagement majeur pour les autorités sanitaires afin d’améliorer la qualité de vie au travail des professionnels, et donc leur santé psychique.

Quel est le message pour les professionnels de santé face au risque de suicide ? 

Dr Pataud : Tout d’abord, il est important de prendre conscience que, de par leur métier, les soignants constituent d’emblée une population plus à risque de suicide. Et ce d’autant plus qu’ils sont face à une crise sanitaire majeure.

De par leur métier, les soignants constituent d’emblée une population plus à risque de suicide.

Il faut également que les médecins eux-mêmes apprennent à prendre en charge leur propre santé. Durant leurs études de médecine, ils sont le plus souvent formatés pour ne pas s’écouter, pour ignorer leur propre fatigue et leurs propres difficultés. Apprendre dans des conditions de stress et d’anxiété est considéré comme acceptable, on est alors « un bon médecin ».

Je vois aujourd’hui des consœurs et confrères qui viennent consulter alors qu’ils ne l’auraient pas fait il y a quelques années.

Il y a parfois une mise à distance de la psychiatrie et des patients suivis en psychiatrie dont les symptômes ne sont pas considérés comme de « vrais » problèmes de santé par les autres spécialistes. Mais les temps changent, les idées évoluent, et je vois aujourd’hui des consœurs et confrères qui viennent consulter alors qu’ils ne l’auraient pas fait il y a quelques années. Il faut donc continuer à sensibiliser les médecins sur le fait que les troubles du sommeil, l’anxiété, la dépression et surtout les idées suicidaires sont de réels symptômes qui nécessitent des soins et une prise en charge spécialisée.


LIENS
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https://francais.medscape.com/voirarticle/3606616#vp_1