jeudi 18 février 2016

La dépression des seniors l'experience de hôpital d’Epernay des ateliers mis en place (51)

La dépression des seniors : l’urgence de lever le voile sur un tabou
sur jobvitae.fr* 11/02/2016

La population française vieillit : un phénomène qui, statistiquement, peut expliquer en partie l’explosion des chiffres liés à la dépression, aux troubles du sommeil et au suicide, chez les seniors. Il n’empêche : la démographie seule ne permet pas d’expliquer ce phénomène en constante augmentation. Et de plus en plus de médecins gériatres alertent aujourd’hui les pouvoirs publics sur ce qui, selon eux, devrait absolument devenir une priorité nationale.
Curieusement, quand on cherche à consulter les études et les rapports de recherches réalisés sur la dépression après 70 ans, on s’aperçoit que la France est très loin derrière les pays anglo-saxons et germanophones, qui, eux, ont depuis assez longtemps levé le tabou. L’une des études les plus intéressantes provient ainsi d’Allemagne, où des scientifiques ont enquêté auprès de quelques 2.500 citoyens âgés de plus de 75 ans, afin d’établir le pourcentage de dépressions dans cette tranche d’âge, et de déterminer les facteurs de risque mais aussi les explications du développement des troubles dépressifs chez cette catégorie de la population. Conclusion de l’étude : « plus l’âge augmente, plus le risque de dépression augmente aussi, tout simplement parce que les personnes âgées sont plus souvent confrontées à la perte, à la solitude et aux problèmes physiques et fonctionnels », écrivent ainsi les chercheurs. Un phénomène européen et même mondial, mais dont la prise en charge varie énormément d’un pays à l’autre : en France, les lacunes restent encore criantes, pour beaucoup de spécialistes.

« La solitude, la routine, leurs donnent le sentiment de ne plus servir à rien. Ils se sentent seuls, beaucoup ont perdu leur compagnon ou leur compagne, la télévision devient leur seule compagnie. Souvent, un cap est aussi franchi psychologiquement quand ils arrêtent de conduire, c’est un passage assez violent pour eux, sans transition, car souvent cela se produit après un accident ou une grosse frayeur. Soudain, ils basculent vraiment dans le quatrième âge, et l’arrêt de la conduite va souvent de pair avec une très forte diminution des relations sociales, dont une aggravation du phénomène de routine et de la sensation de solitude. C’est un cercle vicieux », explique le professeur Armin von Gunten, spécialiste de la question de renommée mondiale, et chef du service universitaire de psychiatrie de l’âge avancé au CHU de Genève, en Suisse. Dans de plus en plus de pays, la prise en charge est donc adaptée pour répondre à ce besoin de vie sociale et enrayer ainsi l’aggravation des troubles mentaux qui conduisent à la dépression, puis au suicide. Mais en France, les initiatives qui vont dans ce sens sont encore rares. Comme si la dépression des personnes âgées était considérée comme une fatalité, contre laquelle on ne peut pas faire grand-chose.

A l’hôpital d’Epernay, dans la Marne, le personnel soignant a pourtant mis en place une expérience qui semble porter ses fruits, auprès des personnes âgées dépressives : des ateliers, organisés plusieurs après midi par mois, et qui réunissent des seniors isolés et considérés comme « à risque », par rapport à la dépression. Des agents hospitaliers viennent chercher les participants chez eux, en voiture, et les ramènent chez eux en fin de séance. Pendant l’atelier, chacun se fait aider, pour mettre des mots, sur sa souffrance et sa douleur. Les soignants développent aussi le sens du contact : « on se serre la main, par exemple, pendant que l’on se parle, et ils se sentent soudainement rassurés, écoutés, plus soutenus. Le contact leur fait du bien. On ne se rend pas compte, mais quand on est âgé, isolé, seul chez soi, cela manque beaucoup, le sens du toucher, avec l’autre », explique la thérapeute cet après midi là. Les thèmes des séances tournent autour de notions comme l’estime de soi, le bien être, l’amitié… Autour de la table, à chaque atelier, une quinzaine d’hommes et de femmes, âgés de 65 à plus de 90 ans.

« La souffrance des personnes âgées reste extrêmement tabou dans notre société française, c’est vrai. Mais notre culture fait aussi que, souvent, on se refuse soi même à voir se dont on souffre, à l’accepter. Il y a des choses en soi que souvent, on ne veut pas voir, ou que l’on n’ose pas voir. Ce sont autant de portes à ouvrir, et quand on les ouvre, cela fait du bien, et les gens sont heureux et se servent de cela pour aller de l’avant », analyse Florence Bauchet, psychologue dans l’établissement. Car le suicide chez les plus de 65 ans est une réalité : 3000 personnes mettent fin à leurs jours dans notre pays chaque année, dans cette catégorie de la population. Des chiffres globalement sous-estimés, car de nombreux décès, dus à une overdose médicamenteuse volontaire, sont considérés comme naturels et non comme des suicides. Il est donc important d’agir dès les premiers symptômes de la dépression.

« La personne âgée ne va pas obligatoirement s’en plaindre, de sa solitude, de sa détresse psychologique, de sa souffrance morale, et peu de monde dans l’entourage va alors s’en rendre compte. Les proches mais aussi trop de soignants, mettent encore cela sur le compte de l’âge », explique le docteur Anne Parent, gériatre au centre hospitalier d’Epernay. « Les signes précurseurs de la dépression doivent être mieux connus, l’entourage des personnes âgées doit être mieux sensibilisés, et les personnels de santé doivent aussi être mieux formés à ces symptômes, qui ne trompent pas, quand on les connaît. La tristesse, la perte d’intérêt d’une personne âgée, sont encore trop souvent banalisés. Il y a aussi des moyens simples pour prévenir ce phénomène, quand on le prend très tôt : faire un compliment, par exemple. Cela peut sembler insignifiant, mais pour une personne âgée qui souffre de son déclin physique et mental, qui se sent de plus en plus inutile dans une société où tout va à toute vitesse et où même les personnes doivent être « rentables » dans la vie sociale et économique, et bien un compliment c’est extrêmement important, cela peut être un déclic pour se reprendre et rebondir. Il suffit souvent de leur renvoyer une image positive d’eux même pour qu’ils se sentent mieux ».

Ainsi, Evelyne, 83 ans, participante régulière de l’atelier d’Epernay, parvient aujourd’hui plus facilement à mettre des mots sur son mal de vivre : « j’avais beaucoup de mal à positiver, et j’aurai encore du mal pendant un certain temps, mais ces ateliers m’ont redonné l’espoir d’une amélioration, et c’est déjà beaucoup ». Marc, 74 ans, raconte aussi : « L’échange, ça compte beaucoup. De ne pas s’isoler, de se permettre d’oser, de s’exprimer, de rencontrer des amis, aussi. Pendant les ateliers, on dessine, on se prend en photo ensemble ou séparément, on pleure un peu, mais on rigole aussi. On noue des liens, ça fait du bien. Cela remonte le moral ». Parler reste encore l’un des meilleurs moyens de lutter contre la dépression. Une préconisation que les médecins aimeraient voir diffuser plus largement auprès du grand public, en France.
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