mardi 9 février 2016

POINT DE VUE CLINIQUE : Pourquoi est-il si difficile de prendre en charge les sujets « bordeline » ?

Pourquoi est-il si difficile de prendre en charge les sujets « bordeline » ?
Article d'Aude Lecrubier sur francais.medscape.com*
04 février 2016
Paris, France-- Lors d’une session consacrée au trouble de la personnalité borderline (TPB) présentée au congrès de l’Encéphale 2016, le Dr David Gourion (psychiatre, hôpital Sainte-Anne, Paris) a expliqué pourquoi la prise en charge du TPB, aussi appelé, « état limite », était particulièrement difficile [1]. Il a insisté sur l’importance de maintenir un lien avec les patients en dépit des difficultés rencontrées.
Pour le psychiatre, l’hétérogénéité des présentations cliniques d’une part mais aussi les troubles de l’attachement très spécifiques à cette pathologie sont au cœur du problème.
Les troubles de l'attachement couvrent un ensemble de problèmes de comportements adaptatifs qui s'observent fréquemment chez les enfants qui n'ont pas reçu réponses à leurs besoins de protection et les soins nécessaires à leur assurer un sentiment de sécurité pendant les premières années de leur vie :
abandons, maltraitance, maternage insuffisant ou excessif, figure d’attachement régulièrement instable, indisponible…
Le paradoxe est que le patient souffrant de trouble de la personnalité borderline demande de l’aide, souhaite être sauvé alors qu’au fond de lui, il pense que personne ne peut l’aider.
« C’est un vrai trouble, il faut le prendre en charge même si c’est difficile. Le paradoxe est que le patient souffrant de trouble de la personnalité borderline demande de l’aide, souhaite être sauvé alors qu’au fond de lui, il pense que personne ne peut l’aider. Il s’attend à ce que vous, médecin, finissiez par être une mauvaise personne, à ce qu’encore une fois, il soit abandonné, déçu [comme il l’a été dans l’enfance]…», a commenté l’expert.
Trouble de la personnalité borderline : une présentation protéiforme
Le trouble de la personnalité borderline est caractérisé par une impulsivité majeure et une instabilité marquée des émotions, des relations interpersonnelles et de l'image de soi. Il est au moins aussi fréquent que les troubles bipolaires et fait partie des 3 pathologies psychiatriques à plus haut taux de suicide.
« Nous sommes dans un trouble qui est difficile à évaluer, à prendre en charge, relativement hétérogène et protéiforme dans sa présentation et dans son évolution », a précisé le Dr Gourion.
Les 5 principales dimensions du trouble sont :
-la désinhibition comportementale : risque suicidaire, comportement social inapproprié, perte des convenances ou de politesse, actes impulsifs, irréfléchis, voire imprudents … ;
-la dysrégulation/hyperréactivité émotionnelle :accès de colère ou crises clastiques tels la destruction ou le lancer d'objets, agressivité envers soi ou les autres, et menaces de se tuer;
-les troubles de l’attachement (très spécifiques, voir encadré) ;
-les troubles de l’identité :sentiment chronique de vide, sentiment d’être méchant, de ne pas savoir qui on est;
-la perturbation cognitive, dans les formes sévères.
Il existe des facteurs de vulnérabilité mais aussi, des facteurs précipitant au moment de l’adolescence
Les facteurs prédisposants sont d’ordre :
- biologiques : facteurs génétiques et épigénétiques, hyperréactivité axe hypothalamo-hypophysaire, opioïdes endogènes et récepteurs endocannabinoïdes, voies mono-aminergiques, anomalies de la sécrétion d’ocytocine ;
- socio-environnementaux : pauvreté, précarité, exclusion, stigmatisation, scolarité inadaptée, harcèlement scolaire ;
- psychologiques : univers familial instable, invalidant, ambivalent, punitif et rejetant ;
- les abus sexuels, maltraitances ;
- les abandons à répétition ;
- le tempérament impulsif, colérique.
Les facteurs précipitants sont l’alcool et le cannabis, les abus sexuels, les relations sentimentales destructrices, les relations familiales toxiques, l’influence négative des pairs, l’isolement social.
Maintenir la relation médecin-patient
Après une phase d’idéalisation, le lien médecin-patient est « attaqué » car le patient revit ses problématiques d’attachement.
Les patients qui consultent pour un trouble de la personnalité borderline sont jeunes, dans la grande majorité des femmes (ratio 4 :1), ont des situations de vie extrêmement difficiles, ont eu une histoire difficile...
La prise en charge est très ardue en raison des schémas parentaux précoces (maltraitance, abandons, instabilité...). Le patient pense que les personnes qui sont censées l’aider finiront toujours par le rejeter et le maltraiter…et le médecin n’y échappe pas.
« Après une phase d’idéalisation, où le médecin est perçu comme un sauveur, ce qui est d’ailleurs très valorisant pour lui, le lien médecin-patient est « attaqué » car le patient revit ses problématiques d’attachement, il devient agressif vis-à-vis du médecin, ce qui met le thérapeute en grande difficulté », indique le Dr Gourion.
« Nous avons envie d'aider mais plus on aide, plus on se retrouve en situation de difficulté. Or si on rejette le patient, on l'aggrave puisque se rejouent les problématiques d'abandon », précise le psychiatre.
Pour le Dr Gourion, bienveillance, souplesse, compréhension, associées à un certain nombre de limites, de cadre, sont les mots d’ordre pour prendre en charge au mieux ces patients.
« Même si, à un moment donné, la patiente décide d'arrêter, je lui dit que c'est son choix, que je le comprends, que ce n'est pas forcément très grave, que ma porte est ouverte et qu'elle peut me rappeler quand elle aura envie de revenir. Je ne suis pas dans une situation de rejet », commente le médecin.
En deux ans de prise en charge, le taux de tentatives de suicide ou d’automutilations passe de 80% à 20%.
Arriver à maintenir le lien sur la durée peut mener à une très bonne évolution, d’après le psychiatre.
« Il faut vraiment tenir le cap des 2 ans. Une étude publiée en 2015 dans le JAMA Psychiatry a montré qu’en deux ans de prise en charge, le taux de tentatives de suicide ou d’automutilations passe de 80% à 20% chez des patients de 18 à 25 ans », souligne le Dr Gourion.
Pour cela, il ne faut pas hésiter à s’aider de tous les moyens disponibles : prise en charge des familles, réseau de soins, interventions de psychoéducation, pharmacologie
(voir l’article : Troubles de la personnalité borderline : quelle place pour les médicaments ? )…

Le Dr Gourion a des liens d’intérêt avec les laboratoires Servier, Lundbeck et Janssen.
REFERENCE :
1. D Gourion. Fuir les soins de peur qu’on ne me sauve-psychopharmacologie du trouble de la personnalité borderline. Congrès de l’Encéphale. Mercredi 20 janvier 2016.
http://francais.medscape.com/voirarticle/3602118_2