mardi 23 février 2016

Comment la crise suicidaire est-elle prise en charge aux urgences ? Focus sur les urgences du CHU de Toulouse et le centre de thérapie brève (CTB

PSYCHIATRIE La prévention à l'épreuve du suicide
23.02.16 sur .infirmiers.com

Comment la crise suicidaire est-elle prise en charge aux urgences ? Au-delà, comment prévenir sa récidive ? Quel est le rôle infirmier en la matière ? Focus sur les urgences du CHU de Toulouse et le centre de thérapie brève (CTB) qui y est rattaché, une structure de crise qui accueille pour un suivi ambulatoire intensif certains des suicidants après leur passage aux urgences.

La prise en charge de la crise suicidaire se base essentiellement sur des entretiens répétés et le traitement des pathologies associées...

Symptôme d’une souffrance intense, la crise suicidaire est d’origine multifactorielle et est le plus souvent un processus qui s’étale sur 6 à 8 semaines a indiqué le Dr Christophe Delmas, médecin psychiatre au CH G. Marchant de Toulouse en préambule d'une table ronde organisée le 5 février dernier dans le cadre de la 20e Journée nationale de prévention du suicide en Midi-Pyrénées sur le thème de La prévention à l'épreuve du suicide 1.
Évaluer la crise suicidaire et orienter aux urgences

Les urgences demeurent le premier lieu de prise en charge de la crise suicidaire. Dans un temps limité et avec des situations très disparates, la prise en charge repose d’abord sur l’évaluation - primordiale - de cette crise, et ce, via un entretien avec le patient et si possible secondairement avec ses proches. Différentes grilles et échelles peuvent être utilisées, notamment la grille RUD - risque (facteurs de risque/facteurs de protection)/urgence (évaluation clinique de la probabilité de passage à l’acte)/dangerosité (létalité du scénario envisagé), a poursuivi le médecin. Les multiples entretiens cliniques (infirmier, psychiatre, médecin...) doivent permettre d’amorcer un lien, d’engager le patient dans un processus thérapeutique, de replacer la personne en tant que sujet et non objet unique de diagnostic, d’identifier les barrières au traitement... a renchéri de son côté Julien Benezech, infirmier pendant 8 ans aux urgences psychiatriques du CHU de Toulouse qui estime par ailleurs que plus qu’une réelle volonté « d’arrêter de vivre » la personne suicidaire veut surtout « cesser de souffrir ».

L’orientation du patient est ensuite décidée en tenant compte des critères d’hospitalisation (geste violent, prémédité, patient refusant de l’aide, très isolé, regret de non aboutissement…) sachant que les bénéfices/risques de la sortie comme de l’hospitalisation sont systématiquement évalués. En pratique, le patient peut être hospitalisé (structures privées, publiques, d’HAD…), reprendre des suivis antérieurs s’il en avait ou être orienté soit vers le centre médico-psychologique (CMP) du secteur dont il dépend, soit en accueil de jour intersectoriel réactif2 (AJIR) ou encore vers le centre de thérapie brève3 (CTB), a ajouté le Dr Delmas.


Les multiples entretiens cliniques (infirmier, psychiatre, médecin…) doivent permettre d’amorcer un lien, d’engager le patient dans un processus thérapeutique, de replacer la personne en tant que sujet et non objet unique de diagnostic, d’identifier les barrières au traitement…
Aider et accompagner en prévention secondaire

Effectif depuis fin 2009 et rattaché au CHU de Toulouse (site de l’hôpital Purpan), le CTB accueille chaque année près de 500 patients, dont 60 en suivi hebdomadaire. Le passage par les urgences – préalable indispensable –, l'absence de toxicomanie active, la réalité d'une situation de crise (perte, rupture…), l'absence d'un suivi (sauf si malmené), la possibilité de retourner dans un milieu sécurisé (exigence d’un environnement de qualité pour fonctionner en ambulatoire), et avoir plus de 18 ans font partie des critères pour accéder à ce dispositif urgento-centré qui repose sur un suivi ambulatoire intensif de post-urgences immédiat et qui s'étale sur 2 mois et demi en moyenne. À noter : 2 à 3 entretiens par semaine (1h) sont planifiés entre le patient et son infirmier référent et associés à un suivi avec un psychiatre référent. Objectifs de cette structure qui s'inscrit dans la prévention secondaire du risque suicidaire : éviter l'hospitalisation, restaurer un équilibre individuel avec interaction de l'écosystème du patient, et permettre à ce dernier "d'affronter" les stress futurs de façon plus confortable a expliqué Julien Benezech, désormais un des quatre infirmiers membre de l’équipe.

Dans une approche systémique, l’entourage est aussi impliqué et reçu en consultation pluridisciplinaire4, l’occasion d'obtenir un éclairage différent vis-à-vis du patient et de sa dynamique interpersonnelle, de favoriser la communication, l’infirmier étant en soutien de la parole du patient. Pour autant, a prévenu Corinne Sinet-Portelli, la psychologue psychothérapeute de l’équipe, il ne s’agit pas d’une thérapie de couple ou de famille […] mais de rétablir du lien et d’ouvrir des pistes de travail tout en faisant en sorte que le patient reste acteur de sa prise en charge. […] Il importe d’accueillir l’entourage5 pour écouter, informer, accompagner, témoigner du changement…. Si un problème social est détecté, une(des) rencontre(s) avec le travailleur social est(sont) également instaurée(s). Enfin, avant de "se séparer" les référents (médecin et IDE) accompagnent le patient dans le choix d’un soin le plus adapté à ses besoins. Car, comme l’a souligné le Dr Delmas en conclusion de son propos, la prise en charge de la crise suicidaire se base essentiellement sur des entretiens répétés et le traitement des pathologies associées (dépression par exemple).

Notes
Journée organisée par Prévention du suicide en Midi-Pyrénées (PSMP) qui rassemble 7 associations (ASP Deuil, Alma 31, Arpade, SOS Amitié, Unafam…) : preventionsuicide.mp@laposte.netwww.infosuicide.org
Il s'agit d'une alternative ou suppléance à une hospitalisation complète (CH G. Marchant). La prise en charge y est individuelle mais aussi groupale en fonction des objectifs thérapeutiques, à la différence du CTB qui, lui, ne propose qu'une prise en charge individuelle.
Il en existe deux en France, un à Toulouse, l'autre à Vénissieux, rattaché à l’hôpital St Jean-de-Dieu (69). Un
Au total, l’équipe est composée de 4 IDE, 4 médecins, 2 internes, 1 psychologue, 1 assistante sociale et 1 secrétaire.
Si l’entourage est parfois en demande de rendez-vous ou en attente d’être sollicité, il peut aussi être en difficulté à venir en entretien voire pas du tout se sentir concerné.

Hospitalisations pour tentative de suicide en médecine et chirurgie en France

En 2013, près de 80 000 patients ont été hospitalisés en services de médecine, chirurgie, obstétrique (PMSI-MCO) après une tentative de suicide (TS), ce qui représente 90 094 séjours sur l’année, soit un peu moins de la moitié de l’ensemble des TS en France (environ 200 000 TS chaque année, soit 20 fois plus que le nombre de suicides).

Dans son 2e rapport* remis début février à la ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, Marisol Touraine, l'Observatoire national du suicide observe toutefois que le taux d’hospitalisation pour tentative de suicide diminue depuis 2010 – il est passé de 17,5 pour 10 000 habitants en 2008 à 15,7 pour 10 000 en 2013 – et s’explique essentiellement par un recul du taux d’hospitalisation chez les femmes. L’Observatoire précise cependant que cette analyse est circonscrite aux TS hospitalisées dans les services de médecine et chirurgie, incluant les séjours brefs en unités d’hospitalisation de courte durée (UHCD) faisant partie des services des urgences et ne prend pas en compte les patients suicidants non hospitalisés après un passage aux urgences ni ceux hospitalisés directement en psychiatrie sans passage préalable dans un service de médecine.

À noter : les taux d’hospitalisation les plus élevés concernent les jeunes filles âgées de 15 à 19 ans (en moyenne 42 pour 10 000), les femmes entre 40 et 49 ans (30 pour 10 000), et les hommes entre 40 et 44 ans (22,5 pour 10 000). En métropole, les régions du Nord et de l’Ouest, à l’exception de l’Ile-de-France et des Pays de la Loire, présentent des taux de plus de 20 % supérieurs au taux national en 2013.

* "Suicide : connaître pour prévenir: dimensions nationales, locales et associatives", 2e Rapport de l'Observatoire national du suicide, fév. 2016, fiche 4 : 433-39

Valérie HEDEF Journaliste valerie.hedef@orange.fr

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