Par Sylvie Riou-Milliot
Les trajectoires de vie présentent des moments de vulnérabilité psychique au cours desquelles certaines personnes peuvent être fragilisées.
Entre 55 et 85
ans, près d’une personne sur cinq est en souffrance psychologique. Et 40 à 60 %
de ces cas ne sont pas diagnostiqués.
NUMÉRIQUE. Cet article est extrait du magazine Sciences et
Avenir n°817, en vente en mars 2015. Le magazine est également disponible à
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DÉPRESSION. Si elle peut
survenir à tout âge, la dépression frappe tout particulièrement
à quatre moments précis de la vie. Ces périodes au cours
desquelles les personnes les plus fragiles sont susceptibles d’être
exposées à la maladie sont l’adolescence, la grossesse, l’apparition
d’une maladie chronique grave au pronostic incertain altérant la
qualité de vie (cancer, maladies neurologiques évolutives et
invalidantes…) et l’avancée en âge. Autant de phases à risque, toutes
marquées par la banalisation et le déni, deux freins à la
consultation spontanée et à une demande d’aide.
Raison de plus pour être particulièrement attentif aux
changements d'humeur au cours de ces périodes. En fait, en
matière de dépression, "il est un paradoxe bien connu,
pointe le Dr Adeline Gaillard, psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne
(Paris). Les vrais déprimés n’ont pas accès aux traitements car
ils ne sont pas repérés alors que d’autres, atteints de déprime
légère, reçoivent des traitements alors qu’ils pourraient
s’en passer." Pour que le diagnostic de dépression
légère à modérée soit posé, au moins 5 à 7 des 9 symptômes caractéristiques doivent
être présents presque tous les jours depuis au moins quinze
jours. Au-delà de huit symptômes, on parle d’épisode dépressif majeur
(EDM).
Une détection précoce pour une meilleure prise en charge
Mais les masques de ce trouble sont multiples. Résultat, à
l’heure actuelle, "un déprimé sur deux n’est pas ou mal pris
en charge", poursuit la psychiatre. Distinct de la déprime
passagère, du léger blues ou du simple vague à l’âme, l’EDM touche en
profondeur l’environnement familial et social du dépressif. 10 à 20 %
de la population peut ainsi présenter un EDM à un moment de son
existence et les femmes sont deux fois plus touchées, sans que l’on
sache encore en expliquer réellement les raisons. Or, rappelons que
la dépression est la première cause de suicide, 70 % des passages
à l’acte survenant chez des déprimés non repérés. Une détection
précoce permet donc une meilleure prise en charge, que celle-ci
soit médicamenteuse ou non. L’objectif du traitement étant de réduire
les symptômes mais aussi de limiter le risque de récidive.
1 Adolescence : ne pas confondre avec la fameuse "crise"
"Les adolescents sont des homards pendant la
mue", estimait Françoise Dolto, sans carapace pour faire face
aux aléas de la vie, ce qui peut se révéler périlleux pour certains.
On estime ainsi qu’un adolescent sur huit souffre d’une dépression
qui, dans un cas sur trois, conduit à une tentative de suicide. Cet
état dépressif est à distinguer de la "déprime" passagère,
typique de la "crise d’adolescence" et
souvent sans retentissement relationnel et scolaire graves. Il faut
ainsi être attentif à différents signes cliniques pour repérer les
symptômes associés : irritabilité, agressivité, troubles du
sommeil, troubles de la pensée (enchaînement illogique des
idées, difficulté à formuler une réponse, etc.), perte de plaisir… Avec,
cette fois, des conséquences au quotidien comme le désinvestissement
scolaire ou les idées suicidaires.
8% des adolescents entre 12 et 18 ans concernés
"À
cet âge, les messages émis sont brouillés car les adolescents ont du
mal à exprimer leurs émotions", précise le Dr
Adeline Gaillard, psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris.
Résultat, la dépression peut ne pas être identifiée par des parents
confrontés à un enfant avec qui le dialogue est devenu difficile. "Il
ne faut pourtant pas hésiter à poser franchement des questions qui
visent à rechercher d’éventuelles idées noires. Parler du suicide ne
provoque pas le passage à l’acte", poursuit la spécialiste. Les
médecins généralistes, en première ligne, sont bien placés pour
effectuer ce repérage. Pour les y aider, la Haute Autorité de santé
(HAS) a d’ailleurs publié des recommandations en décembre dernier. Il
est donc important de parvenir à convaincre un adolescent en
difficulté d’accepter de consulter. Concernant la prise en charge
thérapeutique, la HAS est formelle : les médicaments ne doivent
jamais être donnés en première intention. Une psychothérapie de
soutien doit d’abord être privilégiée. L’objectif à court terme étant
de protéger l’adolescent et, à long terme, de l’aider à dépasser ses
vulnérabilités.
2 Maternité : un risque méconnu pour la femme et l'enfant
Bien connu des praticiens et des jeunes
mères, le "baby blues", qui concerne une femme sur deux et
intervient dans les jours qui suivent l’accouchement, ne constitue
pas un épisode dépressif grave. En revanche, la dépression périnatale
reste méconnue. "Survenant plutôt au troisième trimestre de
grossesse", explique le Dr Romain Dugravier, pédopsychiatre à
l’Institut de puériculture (Paris), elle concerne 15 % des femmes
enceintes. Preuve que les hormones, longtemps considérées comme
bénéfiques pour le psychisme, ne protègent pas de la dépression. "Toute
la difficulté consiste à repérer cet épisode",
poursuit l’expert. Il est en effet souvent impossible pour les
futures mères, culpabilisées, de mettre en mots leur souffrance et
leurs appréhensions durant cette période censée être un moment de
bonheur intense. "C’est encore plus vrai pour les plus
fragilisées d’entre elles, celles qui sont peu entourées, en
situation de précarité. C’est aussi tabou pour les soignants",
pointe le Dr Dugravier. Fatigue et troubles du sommeil font
souvent écran, masquant l’angoisse profonde de ces femmes
persuadées qu’elles ne pourront pas faire face à leur maternité. "Elles
sont irritables, se disent débordées", détaille le Dr
Dugravier.
Pourtant, des outils simples de repérage existent comme
des auto-questionnaires lors de l’entretien périnatal mais qui ne
sont pas systématiquement utilisés. Une prise en charge
thérapeutique est en effet indispensable car les conséquences, tant
pour la mère que pour l’enfant, sont nombreuses. "Au-delà du
risque d’accouchement prématuré ou d’une dépression qui devient
chronique, on sait que les enfants nés de mères déprimées présentent
plus souvent des troubles dits de l’attachement, voire des troubles
anxiodépressifs", poursuit le spécialiste. Les
antidépresseurs classiques peuvent être proposés, sans risque
pour le foetus, mais aussi des thérapies individuelles ou au sein
de groupes de parole.
3 Maladies chroniques : quand souffrances physiques et morales s'additionnent
Souffrir à la fois d’une maladie chronique grave
évolutive… et d’une dépression. Une association pas si facile à
mettre en évidence. Car la douleur physique occupe souvent le devant
de la scène, rendant malaisé le repérage de la souffrance morale.
Pour preuve, une étude parue dans la revue The Lancet à
l’été 2014, menée sur plus de 20 000 personnes atteintes d’un cancer, montrait que
les trois quarts des malades atteints de dépression n’étaient ni
dépistés ni traités. "En cancérologie, pour les patients comme
pour les équipes soignantes, la dépression est souvent
considérée comme une conséquence quasi inéluctable de la maladie.
D’où sa banalisation", explique Hélène de La Ménardière,
psychologue à l’hôpital Cochin, à Paris.
Un
manque de prise en charge regrettable car si 50 % des patients
peuvent traverser une période marquée par l’anxiété, la peur et la
tristesse, on estime que 5 à 10 % d’entre eux présentent un épisode
dépressif majeur. "Face à la gravité du diagnostic, les
soignants et l’entourage peuvent parfois être tentés de rationaliser
de façon excessive les troubles de l’humeur", remarque la psychologue. Plusieurs
éléments peuvent en effet se télescoper. Ainsi, la fatigue peut être
due à la maladie ou aux effets secondaires des traitements, mais
aussi à la dépression.
En outre, les troubles dépressifs sont rarement rapportés
spontanément car "ce qui prévaut aux yeux de tous, soignés
comme soignants, c’est “d’avoir le moral” pour assurer au mieux une
guérison". En raison du manque de formation et de temps,
les soignants sont également peu attentifs à poser ce diagnostic lors
de consultations de courte durée, déjà denses et délicates. La prise
en charge, médicamenteuse ou non, mais idéalement toujours
multidisciplinaire fait donc défaut. Pourtant, les risques sont
réels. Outre le risque de passage à l’acte suicidaire, les dépressifs
peuvent être amenés à une moindre observance des traitements.
4 Vieillesse : un taux de suicide record
Sous-estimation, banalisation, déni des troubles par
le patient, ses proches et les médecins… La liste des obstacles à
la prise en charge de la dépression des personnes âgées est
longue. Avec des résultats dramatiques : près d’un suicide sur
trois concerne un senior en France. Et le taux augmente avec l’âge.
Ainsi, chez les plus de 85 ans, il atteint 40 pour 100 000, soit deux
fois plus que chez les 35-44 ans ! "La dépression des personnes
âgées est un problème de santé publique, dénonce le Pr
Frédéric Limosin, chef de service à l’hôpital Corentin- Celton
(Issy-les-Moulineaux). Entre 55 et 85 ans, près d’une
personne sur cinq est en souffrance psychologique. Or, 40 à 60 %
de ces cas ne sont pas diagnostiqués."
Retraite mal vécue, isolement social ou familial,
maladies, deuils… Les raisons de déclencher un épisode dépressif sont
nombreuses et peuvent parfois se cumuler. Or, en repérer les
symptômes est difficile. En effet, le manque de dynamisme ou la
tristesse peuvent être mis sur le compte du vieillissement
physique. Les seniors et leur entourage doivent donc être attentifs à
tous les signes évocateurs complémentaires, comme une forte
anxiété ou des plaintes somatiques multiples (douleurs diverses,
fatigue).
La prise en charge thérapeutique reste "classique",
avec soutien psychologique et antidépresseurs en cas de dépression
sévère. (Rappelons que la consommation de ces médicaments n’est
pas associée à un risque de maladie d’Alzheimer.)
Une particularité : leur délai d’action est rallongé, passant de
quinze jours à trois à quatre semaines en raison d’un
métabolisme ralenti. "Il ne sert donc à rien d’arrêter ou de
changer de traitement trop tôt, note le Pr Limosin. Mais
trop peu de recherches sont encore menées dans cette
classe d’âge", pointe le spécialiste. Qui poursuit : "L’offre
de soins en gérontopsychiatrie n’est surtout pas assez structurée et
nous manquons d’établissements de proximité pour repérer et
anticiper."
***
Dépression : les gènes, un facteur de vulnérabilité
Par Elena Sender
Publié le 23-03-2015 http://www.sciencesetavenir.fr/sante/20150318.OBS4900/depression-les-genes-un-facteur-de-vulnerabilite.html?xtor=RSS-26
Des chercheurs suédois et australiens ont établi un lien entre notre ADN et notre vulnérabilité à la dépression.
Le chromosome
17 (3e ligne à partir du haut, 5e colonne à partir de la gauche) est porteur
des gènes impliqués dans la voie de la sérotonine, un régulateur de l'humeur. ©
CAVALLINI JAMES / BSIP / AFP
NUMÉRIQUE.
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Les gènes seraient responsables pour 40 % de notre vulnérabilité à la
dépression. Du moins si l’on en croit des travaux suédois et australiens
réalisés sur des paires de jumeaux. "Cette part génétique apparaît
relativement basse comparée à celles de la schizophrénie (80 %) ou du trouble
bipolaire (90 %)", souligne Nicolas Ramoz, chercheur au Centre de
psychiatrie et neurosciences, Inserm U894, de l’hôpital Sainte- Anne (Paris). L’environnement (stress, alimentation, alcool...) influe sur l’expression de l’ADN"
GÈNES. Quels sont les gènes impliqués ? Les plus étudiés jusqu’à présent ont été ceux de la voie de la sérotonine, portés par le chromosome 17 en cause dans les troubles de l’humeur. Le gène TPH2 codant pour l’enzyme de synthèse de la sérotonine a des variants associés à la dépression. Mais aussi le gène 5HTT, qui code pour le transporteur de recapture de la sérotonine et les récepteurs du neuromédiateur. Deux formes (allèles) du gène 5HTT existent, une forme longue (L) et une forme courte (S). Des travaux ont montré que les personnes qui développent davantage de dépression et d’idées suicidaires après des stress précoces dans l’enfance sont celles qui possèdent deux formes courtes (SS) du 5HTT. Les porteurs de forme longue (LL) semblent plus résistants. Mais ces gènes de l’ADN ne font pas tout."L’environnement (stress, alimentation, alcool...) influe sur l’expression de l’ADN, souligne Nicolas Ramoz. Ce sont les facteurs dits épigénétiques. Les recherches dans ce domaine sont très récentes." Ainsi, en juillet 2014, des chercheurs de l’université McGill (Montréal) ont établi que les cerveaux de personnes suicidées avaient une expression
des gènes différente de celles des cerveaux de témoins. Et cette expression se modifie chez des malades répondant au traitement antidépresseur.