Auvergne > Clermont-Ferrand 19/03/15 http://www.lamontagne.fr/auvergne/actualite/2015/03/19/une-vie-virtuelle-a-labri-du-regard-des-parents_11369968.html
D’Internet, on obtient le meilleur comme le pire.
De l’information à l’embrigadement, du soutien au harcèlement. Invité
dans le cadre de la Semaine de la santé mentale, à Clermont-Ferrand
vendredi 20 mars, Mickaël Stora, psychologue et psychanalyste et
cofondateur de l’OMSH, Observatoire des mondes numériques en sciences
sociales abordera les enjeux d’Internet et des réseaux sociaux, devenus
incontournables pour les adolescents. Entretien.
Aujourd’hui une forte majorité d’adolescents
se retrouvent sur les réseaux sociaux, quel est le sens de ces
comportements ? Beaucoup d’adolescents actuels lorsqu’ils
étaient pré-ados se sont inscrits en masse sur facebook avec ce
paradoxe un peu inquiétant d’être amis avec leurs parents. On
remarque actuellement, que parce qu’ils sont devenus ados et qu’ils
ne souhaitent plus être amis avec leurs parents – ce qui est
plutôt sain – ils ont résilié leurs parents en tant qu’amis.
Donc ils ont perçu qu’au fond, les parents utilisaient facebook
comme un moyen de surveillance et ils ont besoin d’aller sur
d’autres réseaux sociaux plus cachés, à l’instar de twitter
parce qu’ils ont un pseudo et snapchat où ils postent une photo
qui disparaît au bout de 10 secondes ou afin de dialoguer. Tout ceci
leur donne le moyen d’échanger d’un point de vue un plus
transgressif à travers des mots ou photos à caractère plus intimes
voire à connotation un peu sexuelle. Les réseaux sociaux sont donc
des relais, voire des prolongations des discussions qu’ils ont
durant la journée, car à l’inverse de ce que l’on croyait,
beaucoup d’ados se connaissant dans la réalité, se retrouvent sur
les réseaux sociaux afin de continuer à être ensemble. Au-delà de
la fragilité qui la caractérise, l’adolescence est une période
d’autonomisation, les réseaux sociaux vont donc révéler cette
tendance-là : les jeunes veulent se séparer de la sphère
familiale, s’autonomiser et vont retrouver de manière virtuelle,
sur les réseaux sociaux, leurs paires, à l’abri du regard des
parents.
Quels peuvent en être les effets sur leur
construction ? C’est complexe. L’adolescent est un être à
multiples facettes, en pleine construction. Je dirige la cellule
psychologique de Skyrock.com etatdesante.com et l’on voit que
nombre d’ados ont autant de blogs que de facettes : la facette
sombre, culturelle, la facette liée à la curiosité sexuelle… À
travers les commentaires, clics et like, on voit comment cela vient
confirmer ou infirmer cette quête identitaire. Et beaucoup d’ados
utilisent souvent de manière créative ces espaces-là.À travers un travail de veille sur des sujets inquiétants évoqués sur ces blogs, je peux relater l’exemple de cette jeune-fille qui écrivait dans un style remarquable sur son envie de mourir. Je suis entrée en contact avec elle, et là m’a répondu : « mais faut pas s’inquiéter plus que cela, grâce à ce blog j’ai eu 400 commentaires et 3.000 clics ». Cela signifie qu’il y avait une sorte d’audimat intime pour elle qui venait confirmer peut-être qu’elle savait bien écrire, qu’elle a pu inquiéter. À l’adolescence, la déprime est légitime, puisque grandir c’est mourir un peu et au fond elle a réussi de manière littéraire à exprimer cette souffrance, ce qui ne veut pas dire qu’elle allait le faire. À des niveaux très différents, la mort, la sexualité sont des concepts très présents dans la pensée d’un adolescent. Sur les réseaux, il se met en scène, mise en scène qui équivaut à une création de soi.
A travers les réseaux, les adolescents se construisent une image qu’ils gèrent, une image de soi positive… finalement est-ce si dangereux que cela ?
Pendant longtemps les médias, des associations ont beaucoup mis en avant certaines peurs : les cyber prédateurs, le droit à l’oubli (faire très attention à ce que l’on publie en pensant à l’avenir)… tout cela est un peu excessif. Beaucoup d’ados font leur crise d’adolescence sur la toile, une crise d’adolescence virtuelle. Et l’ado ne va plus prendre le risque de sortir du corps « maison ». Dans le fameux clash qui arrive et dans lequel le jeune va « péter les plombs » et va parfois jusqu’à traiter ses parents de « vieux cons », là va se poser un autre problème. D’abord beaucoup de parents ne supportent pas qu’on les traite de vieux _un jeunisme des parents que les ados supportent mal_ et au lieu de sortir en claquant la porte avec tout ce que cela comporte de symbolique, l’ado va plutôt aller dans sa chambre, ouvrir sa fenêtre Windows et exprimer sa rage sur les écrans mais dans un espace qui est celui de sa chambre d’enfant. Un paradoxe un peu inquiétant car beaucoup d’ados vont ainsi être dans une stratégie d’évitement de l’autre. Internet est un révélateur, un facilitateur et aussi un amplificateur.
C’est pourtant via les réseaux sociaux que les djihadistes recrutent. Quelles failles exploitent-ils chez les ados ? Ils exploitent la faille adolescente : une période pathologique marquée par une perte des repères pour en rechercher de nouveaux. Dans le dialogue sur un réseau, il y a une forme d’amplification car on ne sait pas à qui on parle. La relation avec cet inconnu est « passionnalisée ». C’est un peu comme dans celle avec un psy, on ne le connaît pas, et le transfert va être d’emblée assez fort. Ce recruteur, ce peut être ce père autoritaire qu’on n’a pas à la maison, ce père permissif, accueillant… le père mythique. Dans les témoignages de jeunes, on est face à des situations de crise d’adolescence pathologique. Qu’est-ce que représente pour eux l’islam alors qu’ils ne sont pas tous musulmans… ? Il y a peut-être aussi derrière un désir de purification. La purification à l’adolescence, c’est se débarrasser de toutes ces pulsions agressives, sexuelles… qui encombrent le jeune.
In fine que révèle de notre société toute cette communication numérique ?
Elle vient révéler une société assez implacable où l'on doit toujours être positif, où le fossé générationnel parents/ados n'est pas toujours très présent ; le culte de la performance, et c'est compliqué d'être adolescent là-dedans, A l'inverse de ce que l'on pense, il est important de fluctuer entre une réalité psychique pas toujours évidente et arriver à se libérer de ses parents. On n'est pas dans une société facile pour les adolescents.
Michèle Gardette