Drogues psychédéliques "classiques": nouvelles pistes thérapeutiques ?
Ces résultats, qui font écho à ceux publiés par des chercheurs norvégiens en 2013, sont issus d’une cohorte de plus de 190 000 adultes américains dont 13,6 % ont consommé ce type de drogues tout au long de leur vie [1]. Au vu de ces données, les auteurs se livrent un véritable plaidoyer en faveur de la réhabilitation de ces substances, leur attribuant un potentiel thérapeutique immense et encore largement inexploré en dépit d’une petite recrudescence de la recherche au cours des dernières années.
Effet protecteur sur la santé mentale
Très en vogue au cours des années 1960 avant d’être très largement décriées, certaines drogues psychédéliques (DMT, LSD, psilocybine et mescaline) reviennent sur le devant de la scène, du moins dans le domaine de la recherche médicale. Dans cette étude, les chercheurs ont recherché les liens entre une utilisation tout au long de la vie des drogues précitées avec des paramètres de santé mentale comme la détresse psychologique et les pensées et attitudes suicidaires. Pour ce faire, ils ont recherché chez 191 382 participants de l’étude américaine NSDUH – portant sur les utilisateurs de drogues - ceux qui rapportaient une consommation au long cours de substances hallucinogènes. Ils en ont trouvé 27 235 (soit 13,6 %), essentiellement dans la tranche 25-64 ans, plutôt chez des hommes, blancs non hispaniques, qui avaient un niveau d’éducation et des revenus les plus élevés, étaient divorcés/séparés et plus à même d’avoir des comportements à risque.
Des modèles de régression statistique multivariée ont permis d’établir que la consommation régulière de substances hallucinogènes a été associée, après ajustement sur de nombreux critères, à une probabilité moindre :
- de détresse psychologique au cours du mois précédent (OR = 0,81 [IC95% 0,72-0,91], p = 0,0002) ;
- de pensées suicidaires (OR = 0,86 [IC95% 0,78-0,94], p = 0,001) ;
- de planification du suicide (OR = 0,71 [IC95% 0,54-0,94], p = 0,01) ;
- de tentatives de suicide (OR = 0,64 [IC95% 0,46-0,89], p = 0,008).
A l’inverse, la consommation d’autres substances illicites (cocaïne, autres stimulants, sédatifs, tranquillisants, héroïne, analgésiques, marijuana, ecstasy, etc) sur toute la durée de la vie était, quant à elle, largement associée à une probabilité augmentée de détresse psychologique et de pensées ou de gestes suicidaires. Des résultats cohérents avec des données indiquant que la consommation de drogues non psychédéliques constitue un facteur de risque de suicide.
L’étude n’est pas sans présenter un certain nombre de limites : la plus évidente pour les auteurs étant liée au fait que les pratiques ont été rapportées par les participants eux-mêmes. Difficile aussi de contrôler tous les facteurs confondants possibles dans une étude de population et il est clair que corrélation ne veut pas dire lien de causalité. Enfin, les chercheurs signalent que les utilisateurs de drogues hallucinogènes sont plus enclins à le faire pour des raisons spirituelles, à rechercher une ouverture de la conscience, à évoquer la curiosité. Bien que ces effets soient le résultat de la consommation de drogues, il peut aussi s’agir de caractéristiques de la personnalité qui « protègent » de tendances suicidaires, suggèrent-ils.
L’hypothèse sérotoninergique des drogues hallucinogènes « classiques »
Toutes les drogues hallucinogènes ne se valent pas. Les drogues dites « classiques » ont une origine naturelle et sont connues et utilisées depuis la nuit des temps pour des expériences spirituelles à l’occasion de séances mystiques, de rites chamaniques, etc… Les principales sont le DMT ou diméthyltryptamine, présent à l’état naturel dans de nombreuses plantes, le LSD, diéthylamide de l'acide lysergique, la psilocybine, substance hallucinogène tirée des champignons et la mescaline, drogue hallucinogène tirée du cactus peyotl. Toutes ces substances ont en commun d’agir comme des agonistes des récepteurs 5-HT2A. On sait qu’une densité augmentée de ces récepteurs est associée avec des facteurs de risque du suicide (dépression majeure) et une attitude suicidaire. Cette régulation à la hausse pourrait être une réaction de compensation en réponse à un dysfonctionnement de la transmission sérotoninergique. L’utilisation de ces drogues classiques pourrait réguler à la baisse les récepteurs 5-HT2A du cortex préfrontal, et en retour, normaliser l’hyperactivité limbique associée aux perturbations d’ordre affectif, expliquent les auteurs. |
Pas d’optimisme béat de la part des chercheurs : « nous ne pouvons exclure la possibilité que l’utilisation de drogues psychédéliques classiques n’ait pu être délétère au niveau individuel » et « exacerber la schizophrénie ou d’autres désordres psychotiques », mais une vraie volonté de réhabiliter des drogues d’origine naturelle, dont l’usage, selon eux, « a fait la preuve de ses bénéfices ».
Ce travail vient confirmer les résultats de deux auteurs norvégiens, Teri S. Krebs, PhD, and Pal-Orjan Johansen, PhD, (Département de neurosciences, Norwegian University of Science and Technology) qui avaient créé la surprise en 2013 en montrant, non seulement, l’absence de lien entre la consommation de drogues psychédéliques et une flopée de pathologies psychiatriques, mais que l’utilisation tout au long de la vie de ces substances était associée à des taux moins élevés de problèmes psychologiques sévères [3].
Au final, les auteurs se livrent à un véritable plaidoyer en faveur de ces drogues millénaires, non addictives, qui offriraient des espoirs pour le traitement de la dépression.
Victimes de leur réputation et de certains abus dans le courant des années 1960, elles ont été rendues illégales. Mais leur statut mériterait, selon Matthew Johnson, dernier auteur du papier, d’être reconsidéré afin de faciliter la recherche scientifique [3]. Et le chercheur, de délivrer un message à contre-courant de la pensée dominante : « l’impression très largement partagée est que ces drogues rendent les gens fous ou sont nocives pour leur santé mentale, alors que nos données mettent en exergue les bénéfices psychologiques potentiels de ces substances », avec l’espoir qu’elles constituent à terme des thérapeutiques révolutionnaires en matière de neuropsychiatrie [3].
REFERENCES :
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Hendricks PS, Thorne CB, Clark CB et al. Classic psychedelic use is associated with reduced psychological distress and suicidality in the United States adult population. J Psychopharmacol. 2015 Mar;29(3):280-8. doi: 10.1177/0269881114565653
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Krebs TS, Johansen P-Ø. Psychedelics and Mental Health: A Population Study. PLoS ONE, 2013, 8(8): e63972. doi:10.1371/journal.pone.0063972
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Psychedelic Drug Use Could Reduce Psychological Distress, Suicidal Thinking. Johns Hopkins Medicine. 9 Mars 2015.