Équipes mobiles en psychiatrie, un livre pour comprendre…
Les équipes mobiles en psychiatrie et le travail de disponibilité, Lise Demailly, Olivier Dembinski et Catherine Déchamp-Le-Roux, Editions John Libbey, 2014, 128 p., 28 €.
La centaine de pages qui compose ce livre éclaire un aspect peu connu du « secteur », cette (r)évolution des années soixante née dans l’euphorie des trente glorieuses. Un secteur, entre nous, qui peine toujours à s’imposer dans le monde compliqué de nos quarante laborieuses… Le sujet du jour est donc la mobilité en psychiatrie.
Les « équipes mobiles » plus
précisément, une notion dont la genèse est décrite en début d’ouvrage.
Après (entre autres) une évocation de la préhistoire (le « patronage à
domicile pour les aliénés convalescents » en 1864), un survol de la
médecine sociale des années 30 (« aller au-devant de la population »,
tout ça tout ça…), les auteurs nous conduisent aux portes radieuses du
secteur sus-évoqué et à cette fameuse mobilité qui en est la
quintessence.
Le sujet, qui est tout sauf une
science exacte, est abordé sous différents angles. Après avoir
philosophé sur le concept, nous voyons comment il est organisé au
quotidien. Pour cela, petit détour dans trois secteurs du Nord de la
France (en haut, après la Picardie, juste avant le cercle polaire). Ceci
afin de comparer les pratiques des uns et des autres. Mais chacun
fonctionnant à sa manière, et ayant par ailleurs des objectifs qui lui
sont propres (adolescents en crise, monsieur et madame tout le monde…),
l’exercice pose plus de questions qu’il n’en résout. Dans tout ça on
retient toutefois la notion phare de « disponibilité » qui semble
résumer à elle seule la quête de toute la profession. Suivie de près par
sa petite sœur, la « réactivité. »
Comme dans l’ouvrage précédent,
on fait aussi un peu de tourisme européen : l’Angleterre, la Suisse, les
Pays-Bas… toujours cette histoire d’herbe plus ou moins verte. Là-bas,
les pâturages ont un peu la même couleur, mais ils se nomment «
psychiatrie communautaire » ou « psychiatrie d’urgence »…
Bref, c’est un livre dense,
rempli d’informations sur cette démarche qui prétend soigner en dehors
des murs si rassurants de l’institution. L’ouvrage demande une attention
soutenue de la part du lecteur, car il est à la fois très technique et
très interrogatif (le livre, pas le lecteur). Mobilité, diversité de
l’offre, prise en compte du demandeur… il n’est pas facile de tout
concilier. En effet, de quel droit intervenir lorsque la demande n’est
pas formulée ? L’urgence existe-t-elle en psychiatrie, ou n’est-ce pas
plutôt une exigence de la société ? Ne faut-il pas (un peu) décaler la
réponse au lieu de se précipiter ventre à terre ?…
La psychiatrie qui se pose déjà
des tas de questions en temps normal, s’en pose encore davantage
lorsqu’elle est mobile. D’autant plus qu’elle est tiraillée entre les
réformes d’en haut qui soufflent le chaud et le froid, et les
expérimentations de la base qui avancent en terrain inconnu. L’époque
n’arrange rien, non plus. Les deux dernières décennies ont vu les
urgences psychiatriques exploser, avec une gestion de la chose très
variable en fonction des hôpitaux. Car la réponse dépend directement des
moyens disponibles, ainsi que des personnes prêtes à mouiller la
chemise en s’impliquant personnellement. L’articulation avec le social –
ce fameux travail en réseau – reste par ailleurs un défi (une
diplomatie ?) à réinventer au quotidien. Quant à l’hospitalisation à
domicile (déjà si peu développés en soins somatiques), n’en parlons pas…
Vient se greffer aussi le débat
sur la mission elle-même de la psychiatrie : doit-elle s’occuper en
priorité des conduites addictives, des jeunes (et moins jeunes) dans la
précarité, des comportements violents, des risques de suicide… Doit-elle
chercher le « client » pour le ramener dans le bercail de
l’institution, ou bien au contraire le soigner à tout prix à domicile ?
Quadrature d’un cercle qui finirait presque par tourner en rond : la
difficulté, l’impossibilité (?) d’évaluer l’efficacité du système en
termes d’économies sonnantes et trébuchantes.
Bref, en conclusion, un public
généraliste risque d’être un peu désorienté en lisant ce bouillonnement
neuronal. Symbole de cette perplexité annoncée, les sigles barbares
(ERIC, MARSS, EMDPG…) qui jalonnent les pages et dont la mémorisation
provoque un début de migraine. Par contre, les professionnels déjà au
fait du sujet – et curieux d’en savoir plus – feront leur miel de cet
ouvrage très fouillé. Dans ce cas, il ne me reste plus qu’à vous
souhaiter bon voyage dans le labyrinthe de la psychiatrie…
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Didier MORISOT Infirmier, auteur didier.morisot(AT) laposte.net