Retours sur Séminaire sur la médiatisation du suicide pour une diffusion plus appropriée du 11 FEVRIER 2015 http://blogdinfosuicide.blogspot.fr/2015/01/tunisie-seminaire-sur-la-mediatisation.html
Fatma Charfi (pédopsychiatre): "Il faudrait communiquer autrement sur les conduites suicidaires" Ajouté le 23 Février, 2015 - http://www.espacemanager.com/fatma-charfi-pedopsychiatre-il-faudrait-communiquer-autrement-sur-les-conduites-suicidaires.html
Dans le cadre d’un séminaire sur la médiatisation du suicide organisé par le CAPJC en partenariat avec l'UNICEF et le Ministère de la Santé Publique, le Docteur Fatma Charfi, pédopsychiatre à l’hôpital Mongi Slim, était l’une des conférenciers qui a expliqué aux journalistes et professionnels le rôle actif de l’homme de médias dans la prévention du suicide.
Après le séminaire, Docteur Fatma Charfi a accepté de nous donner cette longue interview dans laquelle elle a analysé de façon pointue ce phénomène.
Face à une personne suicidaire, chacun peut faire quelque chose. Quel rôle peut avoir le journaliste ?
D’abord face à tous les comportements suicidaires d’une manière générale, le journaliste devrait trouver le bon équilibre pour en parler. Il s’agit de parler de comportements suicidaires quand c’est nécessaire et de manière appropriée en proposant aussi des solutions aux personnes qui se trouvent en détresse.
Il est aussi recommandé d’avoir de la « retenue » si cette information peut avoir des effets négatifs. Enfin, comme cela a été recommandé par l’Organisation Mondiale de la Santé, il est très important de vérifier les sources des informations qui portent sur le suicide, surtout quand il s’agit de données statistiques, il faut vérifier au préalable la fiabilité de ces données.
Lors d’un séminaire, vous avez indiqué qu’après la médiatisation d’un cas, le taux de suicide augmente. Expliquez à nos lecteurs ce phénomène d’imitation ?
Ce phénomène d’imitation ou de « contagion » a été décrit par un sociologue américain au cours des années soixante-dix, sous le nom d’effet « Werther » en référence à un roman de Goethe qui été suivi d’une vague de suicide en Europe. Il s’agit d’une augmentation significative des taux de suicide (par rapport à des données antérieures) qui survient à la suite d’une médiatisation excessive de cas de suicide notamment de personnes célèbres.
Cette augmentation significative a été vérifiée par plusieurs études faites par des scientifiques depuis plus d’une vingtaine d’années dans plusieurs pays, et survient de manière proximale dans le temps et dans l’espace, essentiellement des les deux à quatre semaines qui suivent la médiatisation de tels cas.
Les lecteurs vulnérables qui ont accès à ce type d’information peuvent s’identifier à la victime s’ils ont des caractéristiques communes, par exemple issus d’une même région ou ayant le même âge, et peuvent ainsi passer à l’acte par mimétisme, surtout si le suicide a été décrit en terme positif (suicide « réussi »,..).
Comment expliquer qu’un enfant puisse mettre fin à ses jours? Peut-on parler de suicide chez les enfants ?
Le suicide chez l’enfant est un comportement qui reste très exceptionnel, aussi bien en Tunisie, qu’ailleurs. Il faut rappeler que ces rares cas d’enfants suicidés ont malheureusement concerné nos jeunes et ce depuis plusieurs années, mais ceci était un sujet tabou. Je tiens à souligner que, malgré les situations rapportées récemment, cela reste extrêmement rare, puisqu'en Tunisie, à l’instar de ce qui est retrouvé dans les autres pays, le suicide touche essentiellement l’adulte jeune. Les conduites suicidaires chez l’enfant sont souvent la conséquence d’un état dépressif, ou un autre trouble mental.
Qu'est-ce qui pousse une personne à se suicider ?
C’est un comportement qui survient suite à l’accumulation de plusieurs facteurs. Une souffrance psychologique où une maladie mentale est très souvent en cause associée à des facteurs d’environnement : des évènements de vie négatifs, ou un contexte de vie difficile. Le suicide est un phénomène complexe et multifactoriel et ne peut être expliqué par un seul facteur de stress, et survient après un échec de plusieurs tentatives de recherche d’aide. Toutefois, chez les adolescents, les tentatives de suicide peuvent être impulsives, survenant rapidement après un facteur de stress.
Le FTDES parle de 153 cas de suicide en Tunisie pour la seule année passée et une cinquantaine de tentatives. Vous estimez que le chiffre est trop élevé ? Comment peut-on prévenir ?
Ces chiffres ne sont pas le fruit d’une enquête sur le terrain ni de statistiques fiables, l’auteur s’est référé uniquement à des cas médiatisés. Ce travail n’étant pas basé sur une méthodologie scientifique, on ne peut pas interpréter ces résultats. Seule une comparaison statistique avec des données fiables des années précédentes peut nous donner une tendance, car il faut rappeler que le suicide a toujours existé en Tunisie. D’ailleurs, les premières études concernant la population tunisienne en matière de suicide remontent aux années soixante-dix réalisées à l’époque par le Professeur Sleim Ammar.
Le même rapport indique que le mois de février 2014 a connu un pic avec 31 cas suivi de décembre et de janvier. Est-ce qu’il y a des périodes privilégiées pour les suicidés?
Ce résultat comme je viens de le préciser, n’est pas issu d’une enquête nationale, donc difficile à affirmer. Si cette tendance se précise, ce pic peut refléter un effet « contagion » lié à une médiatisation excessive et malheureusement non conforme dans plusieurs cas aux recommandations internationales établies par l’OMS et par plusieurs associations de professionnels dans le journalisme et la communication dans le monde.
En effet, la plupart des cas rapportés ont eu recours à la même méthode, ce qui est le cas quand il s’agit d’effet « Werther ». Dans un premier temps, il faudrait communiquer autrement sur les conduites suicidaires, et continuer à sensibiliser les professionnels de la santé, l’éducation nationale, etc sur le dépistage des personnes ayant des souffrances psychiques.
Comment l’entourage peut-il réagir face à une tentative de suicide ?
Face à une tentative de suicide, il faut éviter de banaliser cet acte, prendre en compte la souffrance psychique sous-jacente et tenter de comprendre les facteurs ayant précipité ce passage à l’acte. Une prise en charge psychologique ou même psychiatrique est indiquée, ou même une consultation avec médecin de première ligne afin de faire un diagnostic d’un éventuel trouble psychiatrique. Ceci permettra de mettre en œuvre des mesures nécessaires pour éviter la récidive.
Comment comprendre ce phénomène chez les personnes âgées ?
Les personnes âgés sont aussi soumises à des facteurs de stress et peuvent souffrir de dépression qu’il est important de diagnostiquer et de prendre en charge. La dépression du sujet âgé peut se manifester de manière insidieuse et parfois atypique, et rester longtemps méconnue par l’entourage.
Au cours de la crise suicidaire, existerait-il des signaux qui peuvent être sentis ou envoyés à l'entourage ?
En effet, au cours de la crise suicidaire, qui peut durer des semaines, il existe des signaux d’alerte, comme des propos faisant allusion à la mort, un isolement social, un désinvestissement des activités habituelles, des crises de colère excessives ou une tristesse ou même des réactions agressives peuvent être des signes avant-coureur.
Ne trouvez-vous pas que la multiplication des cas de suicide en Tunisie nécessite la mise en place d’un plan d’action urgent visant à lutter contre ce phénomène ?
Un comité dont la mission est d’établir une stratégie de lutte contre le suicide à court, moyen et long terme au niveau national a été mis en place par le Ministère de la Santé depuis fin décembre 2014. Ce comité vise notamment à systématiser les actions de prévention à l’échelle du pays, car il a y eu plusieurs actions précédentes locales et circonscrites dans le temps. A titre d’exemple, les multiples sessions de formation dans ce domaine à l’attention des médecins scolaires et de première ligne, ont été réalisées dans le passé par le Ministère de la Santé, de même les actions de sensibilisation sur la dépression, etc. Dans, l’avenir, il est question de former plusieurs professionnels en dehors de la santé sur cette problématique.
Propos recueillis par Cheker Berhima