Dépression et suicide chez les professionnels de la santé
Selon
l’Organisation Mondiale de la Santé, la dépression est un trouble mental
courant se caractérisant par une tristesse, une perte d’intérêt ou de
plaisir, des sentiments de culpabilité ou de dévalorisation de soi, un
sommeil ou un appétit perturbé, une certaine fatigue et des problèmes de
concentration (OMS, 2015). Environ 60% des personnes qui souffrent de
cette maladie commettent le suicide au Canada (Statistique Canada,
2012). Les méthodes employées sont la pendaison, l’empoisonnement et les
armes à feu. Les professionnels de la santé sont-ils plus à risque ?
Dépression
Au Canada, 9% des infirmiers ont souffert
de dépression comparée à 7% des femmes et 4% des hommes exerçant un
autre emploi (Statistique Canada, 2006). De plus, les études réalisées
aux États-Unis prouvent que les médecins qui se spécialisent dans des
domaines de premiers soins (par exemple les médecins de famille, les
généralistes et ceux qui travaillent à l’urgence), ont un plus grand
risque d’épuisement professionnel, comparativement au reste de la
population américaine. Quarante-deux pour cent d’entre eux n’arrivent
pas à avoir une vie équilibrée, contre seulement 23.2% de la population
américaine en général. Un constat similaire est fait lorsque les mêmes
chercheurs ont comparé les personnes ayant un diplôme secondaire à ceux
ayant un doctorat (Tait et al, 2012). Le stress affecte également les
aides-soignants. À ce sujet, la Commission de la santé mentale du Canada
(2015) a récemment amorcé un rapport soulignant que 16.5% des personnes
âgées de 15 ans et plus qui ont fourni des soins palliatifs à un membre
de la famille, ont des niveaux de stress très élevés. Le rapport
complet sera disponible à l’automne prochain. Par ailleurs, dans une
période de crise (par exemple la menace d’un virus), les professionnels
de la santé ne se différencient pas significativement en termes de
symptôme d’anxiété, de dépression ou de fatigue. Néanmoins, ceux qui ont
un contact direct avec un patient souffrant d’Ebola par exemple,
travaillent en isolation et ressentent le besoin de réduire les heures
de travail (CDC, 2015).
En ce qui concerne les sources de stress,
les résultats diffèrent selon les disciplines de la santé. Au Pakistan
par exemple, les plus importantes sources de stress chez les médecins
sont le manque de sommeil, la charge de travail, les conditions du
travail et les demandes irréalistes des patients (Hassan et al, 2014).
Quant aux ergothérapeutes, la cause du stress est un faible détachement
de leur travail même après leurs heures de travail. Ils sont aussi
insatisfaits de leur salaire et éprouvent de la difficulté à dire non
lorsqu’ils ont moins de 10 années d’expériences (Poulsen et al, 2014).
Les sources de stress sont aussi différentes en fonction du genre. Les
femmes qui travaillent dans le domaine de la santé souffrent non
seulement des attentes de la grossesse, du conflit avec leur rôle de
mères, mais aussi du manque de modèles et de support, lorsqu’elles
atteignent un âge avancé (Robinson, 2003). Toute cette accumulation de
stress n’est pas sans conséquence.
Suicide
Le taux de suicide de la population
canadienne est de 10.8 pour chaque 100.000 personne (Commission de la
santé mentale du Canada, 2015). Le taux de suicide des médecins au
Canada est inconnu. Celui des États-Unis est de 400 cas par an. Les
études de divers pays d’Europe ont tous démontré que le suicide était la
seule cause de mortalité dont le taux est plus élevé chez les médecins
par rapport au reste de la population (McDonald, 2012). Aux États-Unis,
les hommes sont 4 fois plus susceptibles de réussir un suicide,
comparativement aux femmes. Il n’y a cependant pas de différence au
niveau du genre en ce qui concerne le taux de suicide des médecins, bien
que les femmes médecins possèdent plus de connaissances pour le réussir
(Robinson, 2003). Reste que le taux de suicide d’un médecin de sexe
masculin est 70% plus élevé que celui des hommes exerçant d’autres
professions (Fondation Américaine pour la Prévention du Suicide, 2015).
En outre, l’origine de ce taux élevé de
suicide est multifactorielle. Il n’y a pas de lien causal direct entre
le stress au travail et la hausse du taux de suicide des médecins
(Fondation Américaine pour la Prévention du Suicide, 2015). Le taux de
suicide des médecins serait plus élevé car ils sont compétitifs,
possèdent peu d’amis proches, ont accès aux substances dangereuses et
ont parfois abusé des drogues dans le passé (McDonald, 2012). Aussi, 75%
des médecins ne font pas recours aux traitements face aux
manifestations de la dépression et préfèrent plutôt demander des
médicaments à un collègue. Le stigma, le manque de confidentialité,
l’impact anticipé sur la carrière et la licence sont des raisons qui
expliquent cette réticence. Le manque de temps est une autre excuse
donnée par 48% des médecins (McDonald, 2012).
Solution
De tout ce qui précèdent, il apparaît que
la dépression et le taux de suicide des professionnels de la santé ne
doivent plus être ignorés. Des efforts sont effectivement faits pour
réduire ces maux. L’adaptation centrée sur la tâche est associée à une
diminution importante de l’épuisement professionnel tandis que
l’adaptation centrée sur les émotions s’est révélée nuisible aux
médecins d’urgence, aux infirmiers et au personnel de soutien (Howlett
et al). En Ontario, le programme PARO offre de l’aide par téléphone à toutes les heures de la journée (McDonald, 2012). Aussi, le programme PHP
(en français, Programme pour la santé des médecins) de l’Association
médicale de l’Ontario aide les médecins et leurs familles à faire face à
des problèmes de toxicomanie et autres problèmes personnels (Kaufmann,
2000). D’autres suggestions seraient de clarifier la relation
médecin-patient et d’encourager les professionnels de la santé à suivre
leur propre recommandation : adopter de saines habitudes de vies.
Faut-il remettre en question la notion d’empathie face a un tel
désintérêt de soi?
Référence :
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