Suicide en prison. Où en est-on de la prévention ?
Nantes - 09 Février http://www.ouest-france.fr/suicide-en-prison-ou-en-est-de-la-prevention-3178548Jean-Louis Terra, professeur de psychiatrie, spécialiste du suicide en prison | Ouest-France.
Par Thomas Heng et Vanessa Ripoche
Les prisons de Nantes ont été touchées par trois suicides en une semaine. Où en est-on de la prévention ? Entretien avec Jean-Louis Terra, professeur de psychiatrie.
Ouvrir une cellule et voir des pieds qui ne touchent pas terre… Il y a cette solitude de celui qui découvre le corps… J’étais à Nantes. Qu’est ce que c’était triste… Ils sont tous très touchés.
À Nantes, cette série noire semble fortuite. Je ne vois aucun lien de causalité entre les trois cas, comme on peut parfois l’observer dans une aile en particulier. Là, cela touche trois bâtiments différents. Mais il faut toujours regarder s’il n’y a pas une éventuelle faiblesse dans la prévention.
À Nantes, la maison d’arrêt est neuve… L’amélioration de l’hygiène, la diminution de la surpopulation ne protège pas ?
Vous savez, Lyon a longtemps été une prison aux conditions très mauvaises sur le plan de l’hygiène. Mais il y avait du bruit, on se croisait. Une forme de vie, avec ses défauts. Aujourd’hui, on est dans des systèmes plus aseptisés, avec des bâtiments très grands, peu de contacts, qui peuvent provoquer une forme de solitude. C’est ce que j’entends dire même si rien n’est démontré en terme de facteur de risque.À Nantes, ce n’est qu’une hypothèse qui mérite d’être regardée de près, la prison est dotée d’installations modernes et d’une équipe médicale de qualité, ce qui n’est pas le cas partout ! Du coup, ils reçoivent beaucoup de détenus d’une certaine lourdeur. Y a-t-il eu des excès ?
La France connaît toujours un taux de suicide en prison très élevé… Pourquoi ?
Nos taux, qui diminuent mais pas assez vite, restent importants relativement aux autres pays européens. Nous avons un problème structurel. Ailleurs, les prévenus ne sont pas enfermés en cellule l’essentiel du temps comme chez nous. Cet isolement est un élément clé, un facteur négatif. Aux États-Unis, où ils ont les suicides ont beaucoup baissé, les détenus mangent ensemble et partagent les activités. Les nuits sont longues mais les jours en communauté. Et quand on est avec les autres, on ne se suicide pas.
Les surveillants dénoncent l’augmentation des détenus qui relèveraient davantage de l’hôpital psychiatrique…
Une étude de l’Inserm montre que le taux de maladies mentales dans nos prisons, telle que la schizophrénie, est très élevé. C’est le premier facteur de risque. Des gens qui souffrent de pathologie ont plus de mal à tenir leur place en prison. Quand la maladie est trop forte, les gens ne sont plus capables de survivre, se défendre, couvrir leurs besoins de base.Et puis, il y a un grave problème. Quel est le pourcentage des personnes ayant un traitement adapté à leur dépression ? En 2003, je m’étais rendu compte d’écarts de 1 à 10 sur cette prise en charge. Dans certains établissements on comptait 3 % de personnes souffrantes contre 33 % dans d’autres. Anormal.
Quels ont été les efforts réalisés dans nos prisons ?
Le suicide n’est pas une maladie, c’est un risque. L’essentiel de l’action est tourné vers la formation des personnels de santé et pénitentiaires sur la prévention. L’enjeu est de faire circuler l’information à travers les cloisons, pour détecter les personnes en souffrance et les protéger « on time ». Il faut évaluer l’état d’une personne à un moment donné et planifier des actions pour diminuer ses souffrances, lui donner les ressources pour s’apaiser. C’est très subjectif : on peut aller très très mal malgré de bons soins.
Il y a la question des addictions, l’alcool, le cannabis, etc. Et aussi les éléments extérieurs : on peut perdre son logement, se voir retirer ses enfants, être rejeté par son quartier, sa famille… Dans le sous-marin de la prison, les travailleurs sociaux ont un rôle de périscope à jouer pour dire ce qui se passe dehors.
Le seul levier est donc la prévention du risque ?
Des cellules dites lisses, sans point d’accroche, ont été créées partout, pour placer les détenus très suicidaires, avant qu’ils ne soient vus par un psychiatre. Ces détenus sont dotés de kit antisuicide (pyjama en papier, etc.). On a aussi « adouci » les conditions du quartier disciplinaire avec la radio, par exemple.Enfin, on expérimente, comme à Angers, le codétenu de soutien. Il s’agit de six ou huit détenus par prison, volontaires, équilibrés, solides, respectés et capables de stratégie. Ils reçoivent la même formation que les personnels pour détecter les détresses. J’appelle ça un brevet de secourisme psychique. C’est un dispositif encourageant même si cela ne représente qu’une petite part de la prévention, de l’ordre de 3 à 5 %.Mais on ne peut pas l’imaginer à Nantes pour le moment. Cela ne peut fonctionner que dans un établissement apaisé, pas juste après une crise comme celle qui vient d’y survenir.