APRÈS LES SERVICES D'ACCÈS AUX SOINS PSYCHIATRIQUES, DES "SMUR PSY"?
PARIS, 12 décembre 2024 (APMnews) - Des dispositifs de type Smur psychiatrique sont l'une des suites logiques de la mise en place des services d'accès aux soins (SAS) psychiatriques, selon les promoteurs de ces dispositifs interrogés par APMnews.
Cet article a été réalisé dans le cadre d'un dossier APMnews sur les SAS psychiatriques, qui comprend aussi une dépêche sur le fonctionnement et la régulation permise par ces dispositifs (cf dépêche du 12/12/2024 à 09:45), une sur le "club des SAS psy" (cf dépêche du 12/12/2024 à 09:45),
et un entretien avec l'agence régionale de santé (ARS)
Bourgogne-Franche-Comté qui va lancer un appel à manifestation d'intérêt
(AMI) pour créer un SAS psychiatrique (cf dépêche du 12/12/2024 à 09:47). |
"Le SAS psy est un projet dynamique. Une fois qu'on a ouvert la boîte de Pandore, on s'aperçoit qu'on est obligé de continuer à décliner", souligne la Dr Eve Bécache, psychiatre au Vinatier-Psychiatrie universitaire Lyon Métropole (ex-CH du Vinatier) et chef de service de "Live", nom du SAS psy du Rhône.
Déjà, APMnews a pu observer auprès des promoteurs interrogés que nombre de dispositifs ne se résument pas à la seule régulation psychiatrique au sein du Samu.
Ainsi, le Live du Vinatier comprend aussi une ligne téléphonique d'information et d'orientation ouverte à tous, grand public et professionnels, pour tous les sujets de santé mentale. Créée en mars 2020 pendant le premier confinement lié la crise sanitaire (cf dépêche du 01/04/2020 à 15:05), Live a ensuite intégré le Samu du Rhône au sein du SAS tout en conservant cette ligne.
A Bordeaux, le vaste projet Pégase du CH spécialisé en psychiatrie Charles-Perrens vise à "l'amélioration de la gestion des urgences psychiatriques en pré-hospitalier", ainsi que le résume le Dr Kévin Rossini, psychiatre au CH et responsable notamment de Régul'Psy, le SAS psy de la Gironde.
Pégase porte donc en son sein Régul'psy, mais aussi Questions Psy, une ligne téléphonique d'information, d'orientation et de conseil, elle aussi héritée de la période Covid (cf dépêche du 01/04/2020 à 15:05), Réponse Psy, une consultation déclenchable si aucune solution d'aval n'est trouvée pour le patient dans le temps voulu, et un programme de formations gratuites sur les enjeux psychiatriques, "d'abord créé à destination du Samu, des forces de l'ordre, des pompiers, de l'ARS [agence régionale de santé], des maires, des médecins généralistes, et ouvert désormais à tous les professionnels qui s'intéressent aux questions de santé mentale".
Pour rappel, le Pégase est l'une des "pépites" promues par le ministère de la santé dans le cadre du Fonds d'innovation organisationnelle en psychiatrie (Fiop), pour être généralisée dans d'autres établissements (cf dépêche du 19/06/2024 à 10:04).
Et au-delà de l'existant, les SAS psy interrogés ont des idées de développement plein leurs cartons.
"Est-ce que ces dispositifs vont, à terme, s'occuper du taux d'occupation des lits de psychiatrie à l'échelle d'un département? Dans notre salle de régulation, j'ai bien l'espoir qu'un jour, on fasse comme la périnatalité…", imagine ainsi le Dr François Ducrocq, responsable des urgences médico-psychologiques au Samu de Lille, qui accueille un SAS psy baptisé Prisme.
A Lyon, l'équipe de Live veut creuser le sillon des soins non programmés. "Il y a quand même une partie des appels au SAS psy qui sont renvoyés aux urgences, alors qu'on pourrait, si on avait la possibilité de programmer un rendez-vous à deux ou trois jours, éviter ce passage", estime le directeur de la politique générale du Vinatier, Piero Chierici. "Nous allons essayer de développer [cette offre], en articulation avec les structures existantes du secteur, les CMP [centres médico-psychologioques]."
Mais, surtout, la "mobilité" revient sur toutes les lèvres.
"Comment sortir à deux?"
"On pense à un Smur psy", avance ainsi le Dr David Travers, responsable de l'unité de psychiatrie Samu/SAS urgences liaison au CHU de Rennes, relayant les réflexions de quasiment tous les interlocuteurs d'APMnews.
"Les unités mobiles de soins intensifs en psychiatrie existent, mais elles interviennent pour des patients déjà évalués. Et leur réactivité se compte dans les 24h ou les jours qui viennent. Il manque ce chaînon d'intervention à domicile dans l'heure. C'est cela que l'on veut essayer de monter", décrypte-t-il.
Deux questions préalables doivent être posées, prévient-il. "D'abord, il faut bien réfléchir au maintien à domicile, à la typologie de situations où l'on peut se dire qu'en y allant et en y passant une ou quelques heures, on évite un transfert aux urgences." Dans ce cadre, aujourd'hui, "à chaque appel au SAS psy, on se demande si on serait sortis; nous essayons ainsi d'établir un thesaurus des situations, et de voir ce que l'on pourrait faire, ou pas".
Ensuite, "comment sortir à deux?", complète-t-il. "Faut-il un binôme infirmier, un binôme infirmier-médecin?" Et comment trouver les ressources supplémentaires, puisqu'"il est hors de question" de déshabiller la régulation du 15?
Ils en rêvent tous; le SAS psy du Rhône commence à le faire -depuis septembre, et Vinatier-Psychiatrie universitaire Lyon Métropole a fait une demande au Fiop pour le financer-, et surtout, le Samu psy de Paris, dont l'équipe mobile est en action depuis 2023.
"Le Dr Gaëlle Abgrall [cheffe du pôle psychiatrie du Samu de Paris] avait d'emblée pensé le dispositif [SAS] comme étant accompagné d'un volet de mobilité", raconte le Dr Julien Katz, psychiatre coordonnateur du Samu psychiatrique de Paris. "On n'a pas pu le mettre en place tout de suite car il a fallu attendre que l'équipe soit suffisamment nombreuse, l'idée étant bien sûr de ne pas abandonner la régulation" là aussi, les infirmiers qui partent sur les interventions étant précisément ceux qui assurent aussi la régulation.
Concrètement, l'équipe mobile du Samu psy ressemble à n'importe quelle équipe Smur: "On part toujours à deux au minimum, avec un binôme infirmier-médecin, en tenue Smur, en véhicule léger estampillé 'Samu', et avec la possibilité d'utiliser le gyrophare deux tons en cas de nécessité de présence immédiate sur les lieux", décrit Julien Katz.
"On a un sac à dos d'intervention, avec tous les documents dont on pourra avoir besoin, comme du papier à entête à nos noms pour faire un courrier médical, des arrêts de travail, des documents d'accidents du travail, des ordonnanciers, des médicaments -des psychotropes de l'urgence, donc essentiellement des anxiolytiques, des sédatifs-, et de quoi prendre les constantes", détaille-t-il.
Trois indications d'interventions pour le Samu psy mobile de Paris
A noter au préalable une particularité parisienne: "Le Samu 'de base' ne part pas sur les urgences psychiatriques", rappelle Julien Katz. "Pour les urgences psychiatriques immédiates, le Samu envoie les pompiers seuls, ou avec la police s'il y a des troubles du comportement."
Dans ce cadre, "soit nous partons seuls pour évaluer plus finement de quoi il retourne, ou, si les pompiers et/ou la police sont envoyés pour sécuriser une situation quand il y a des troubles du comportement, de l'agitation, nous partons avec eux pour médicaliser leur intervention", synthétise-t-il. "On donne un traitement pour apaiser la personne et permettre son transport en toute sécurité vers un service d'urgence, et on fait un premier certificat de soins sans consentement", par exemple.
"On s'est bien coordonnés avec les pompiers", se réjouit-il. "On les a rencontrés pour [se présenter] et travailler sur les interactions. Même pour des appels au 18, ils peuvent faire appel à nous, soit pour les aider à l'évaluation téléphonique, soit pour demander notre présence sur place pour une intervention conjointe."
Dans le détail, les sorties du Samu psy mobile représentent 3,6% des appels traités par le Samu psy. Au 27 novembre, 122 ont été réalisées en 2024, pour trois grands types d'interventions différentes.
D'abord, "les interventions à visée de gestion de crise et de maintien du patient à domicile", comme "les attaques de panique, les crises suicidaires sans indication d'hospitalisation immédiate", expose Julien Katz. Sur ces situations, "on peut donc aller d'emblée sur place seuls, pour 'anxiolyser' le patient, établir un arrêt de travail, une première ordonnance de traitement, et avec lui, prendre un rendez-vous sur son CMP, un centre d'accueil de crise, ou un psychiatre libéral".
Le deuxième type d'intervention consiste à "transporter le patient vers un service d'urgences ou directement une unité d'hospitalisation quand on peut avoir une place".
"On peut intervenir seul pour faire une première évaluation si on arrive à obtenir l'accord du patient, et dans un deuxième temps, demander une ambulance rapide du Samu pour pouvoir accompagner le patient aux urgences ou dans l'unité d'hospitalisation, soit demander un véhicule de pompiers, voire la police quand il y a un risque hétéro-agressif et une indication de soins sans contentement", explique-t-il.
L'intervention d'emblée avec les pompiers et la police s'inscrit également dans ce deuxième type d'intervention.
La troisième possibilité d'intervention consiste en "des interventions programmées ou sans critère d'urgence immédiate, où il n'y a pas de troubles du comportement, pas de risque suicidaire", pour des situations signalées par, "soit des familles de patients, soit des CMP informés de situations qui se délitent au domicile et qui n'ont pas la possibilité d'aller voir sur place".
"Aller vers les patients permet de renforcer l'adhésion aux soins." De plus, parce qu'une assistance sociale est intégrée à l'équipe, "on peut également réaliser des interventions médico-sociales". A noter au passage qu'au sein du pôle de psychiatrie du Samu, trois agents, dont l'assistante sociale, travaillent à la fois sur le Samu psy, la cellule d'urgence médico-psychologique (Cump) et le numéro d'urgence de la crise suicidaire 3114, rapporte l'une de ces chargées de mission transversales, Véronique Istria.
Un gain réel pour les indications de consultation d'urgence
Si la régulation téléphonique au sein du Samu permet de réduire les arrivées aux urgences, ainsi que l'affirment tous les promoteurs de SAS psy interrogés par APMnews (cf dépêche du 12/12/2024 à 09:45), le constat est le même pour les interventions à domicile de l'équipe mobile parisienne.
"Ce que l'on sait, c'est que les interventions où on se déplace avec une indication de consultation d'urgence, notamment les situations d'attaques de panique non résolutives au téléphone et les crises suicidaires avec un besoin d'apaisement immédiat sans indication d'hospitalisation, finissaient auparavant aux urgences", résume Julien Katz.
De plus, "quand on transporte un patient aux urgences, on l'accompagne systématiquement jusque [dans le service], on fait des transmissions directes à l'équipe, pour qu'il n'y ait pas de perte d'informations, et quand on rédige, par exemple, un certificat de soins sans consentement, on le transmet de la main à la main à l'équipe de psychiatrie des urgences", décrit-il. "Cela améliore l'accueil de ces patients et facilite le travail des équipes de psychiatrie des urgences, qui nous le disent", fait-il valoir.
Et selon lui, l'intérêt de cette mobilité va au-delà d'une meilleure orientation aux urgences. "Dans les situations pour lesquelles les patients sont ambivalents aux soins, quand ils ont du mal à aller d'eux-mêmes vers les soins, le fait d'aller vers eux permet de travailler le lien et l'adhésion", insiste Julien Katz.
Et il y voit un intérêt aussi pour d'autres territoires: "Dans les endroits où, par exemple, l'offre est très centralisée, avec un gros hôpital psychiatrique, […] le fait d'aller vers des patients qui auraient une heure de trajet pour aller consulter, de les rencontrer au plus près, de voir leur environnement immédiat, peut vraiment aider."
vl/ab/APMnews