RAPPORT FINAL ONPE 2024, Observatoire National de la protection de l'enfance
État suicidaire de jeunes en structure collective de protection de l’enfance : Quelles ressources partenariales, de prévention et d’intervention pour les professionnels ?
Coordination : Charlène Charles
Équipe : Myriem Auger, Christophe Trombert
presentation https://onpe.france-enfance-protegee.fr/rapport-recherche/etat-suicidaire-de-jeunes-en-structure-collective-de-protection-de-lenfance-quelles-ressources-partenariales-de-prevention-et-dintervention-pour-les-professionnels/
Acces rapport https://onpe.france-enfance-protegee.fr/wp-content/uploads/2024/11/rapport-final-2024-2.pdf
Résumé
Ce travail explore la prise en charge du risque suicidaire des mineurs placés, à la croisée du champ de la santé mentale et de la protection de l’enfance. Il rend compte des pratiques, des dilemmes et des épreuves des professionnels par une approche qualitative (N=74 entretiens), en étant à l’écoute des catégories pratiques et des référentiels théoriques qu’ils mobilisent pour mettre en sens les discours et le vécu suicidaire des enfants et adolescents. Au-delà des enjeux auxquels sont confrontés les professionnels face à ce risque, leurs connaissances, leur implication de première ligne donnent accès à des données précieuses pour saisir les contextes sociaux du risque suicidaire des mineurs en lien avec les institutions qu’ils fréquentent et leurs trajectoires.
En décrivant les quelques caractéristiques repérables dans les cas de suicide ou de tentative de suicide, nous avons mis en avant les propriétés souvent associées à ces gestes (mode opératoire, lieux, sexe, etc.) et rendu compte des grands motifs de suicide perçus par les professionnels.
L’enquête fait apparaître une minimisation du phénomène par les intervenants sociaux de première ligne et la difficile localisation de la souffrance ou de la qualification du degré de risque souvent brouillée par un continuum de conduites à risque. À l’impossible nomination du phénomène suicidaire, vient s’ajouter son périlleux traitement dans les circonstances d’un accueil collectif où les particularités d’attention, la reconnaissance de la vulnérabilité, de la souffrance, entrent souvent en tension avec la gestion du quotidien, du collectif et le mandat éducatif qui vise l’autonomisation. Le refoulement du risque suicidaire s’il peut donner l’impression d’être structurel par manque de formation et dans les conditions d’exercice en foyer, s’impose pourtant comme une réalité qui ne peut plus être déniée au moment des crises.
Dans ce contexte, le surcroît d’inquiétude généré pour les intervenants de première ligne, concomitant au sentiment d'impuissance et de désarroi, marque le désaveu du travail éducatif et semble conduire inéluctablement au besoin impérieux et rapide de la pédopsychiatrie. Comparativement, les professionnels des services et établissements de soin sont mieux formés au repérage, à la qualification de la problématique suicidaire et à sa mise en mots. Leur approche des adolescents est, en outre, plus individualisée. Ils semblent plus à même de rendre compte du point de vue de ces derniers sur ce qu’ils vivent et plus renseignés quant à leur histoire familiale, médicale et même de placement. Pour autant, les prises en charge des soignants n’en sont pas moins marquées par l’épreuve du silence et la difficile verbalisation des mineurs, la non captivité de ce public et la précarité de leur trajectoire de soin qui obligent à trouver des pratiques en dehors des répertoires d’actions classiques, du colloque singulier en face à face. L’autre enjeu central réside surtout dans les difficultés d’accordage entre les professionnels des deux secteurs autour des situations à risque suicidaire. Nous avons ainsi identifié les processus de grippement du travail collaboratif. Ainsi, les tendances (à envisager à l’aune du contexte actuel de pénurie) des professionnels du soin à sous-estimer les limites qui s’imposent aux professionnels de la protection de l’enfance, à faire preuve de défiance vis-à- vis de leurs discours, à minimiser leurs besoins de relais et les tendances, du côté des professionnels de la protection de l’enfance, à se décharger sur les professionnels du soin et à s’illusionner sur leurs moyens.
Enfin, si le risque suicidaire apparaît si difficile à identifier, c’est aussi parce que la souffrance professionnelle et le sentiment d’impuissance agissent comme effet de brouillage. En effet, le risque suicidaire a de fortes répercussions sur les vécus des intervenants de première ligne dont nous avons montré quelques déclinaisons comme la culpabilité, la sidération, l’arrêt des prises en charge ou des carrières. À cet égard, l’enjeu est de taille sur le traitement des risques psychosociaux pour maintenir la stabilité des prises en charge.