« En France, le taux de suicide, bien qu’en diminution depuis trente ans, reste supérieur à la moyenne des pays européens »
Fabrice Jollant Le Monde (site web)
mercredi 18 mai 2022
Le psychiatre Fabrice Jollant salue, dans une tribune au « Monde », le nouvel élan donné à la stratégie nationale de prévention du suicide, mais pointe trois faiblesses : le manque de discussions avec les associations bénévoles et d’avis extérieurs sur l’ensemble du programme, ainsi que la grande misère de la psychiatrie en France.
La France vient enfin de se doter d’une véritable stratégie nationale de prévention du suicide, nous ne pouvons que nous en féliciter ! Seuls une quarantaine de pays dans le monde en ont une. Rappelons que le taux de suicide en France, bien qu’en diminution depuis trente ans, reste supérieur à la moyenne des pays européens. Près de 9 000 personnes décèdent de suicide chaque année dans notre pays, laissant plus de 100 000 personnes endeuillées, et plus de 150 000 personnes tentent de se suicider. Le coût économique des conduites suicidaires en France a été estimé à 10 milliards d’euros en 2009.
Le programme national de prévention du suicide – conduit et financé par la direction générale de la santé et mis en œuvre par les agences régionales de santé – comprend une série de mesures importantes, dont la formation des professionnels de santé (pour améliorer la prise en charge des crises suicidaires) et de « sentinelles » (pour mieux identifier ces crises, en milieu professionnel par exemple), un numéro national, le 31 14 (pour savoir à tout moment où obtenir de l’aide), un dispositif de rappel téléphonique après une tentative de suicide (pour éviter les récidives à court terme), un programme de communication éthique sur les cas de suicide (pour éviter un effet de contagion), et d’autres mesures à venir.
De manière générale, il est attendu que cette stratégie favorise la libération de la parole des personnes en souffrance et la demande d’aide, améliore l’évaluation et la prise en charge des crises suicidaires, et stimule un travail en réseau au niveau local. Comme tout programme de prévention, il s’agira d’assurer le maintien de ce formidable élan initial. Sur ce point, trois faiblesses me semblent devoir être soulignées et corrigées pour assurer la pérennité du dispositif.
Un défaut de méthodologie
Tout d’abord, le programme n’a pas bénéficié à ce jour d’un indispensable regard extérieur. Cet audit pourrait facilement être réalisé par des experts internationaux en santé publique et suicidologie qui se feraient un plaisir de venir faire le point (et pour pas cher). Il ne s’agit pas seulement de juger de la stratégie elle-même mais également du rôle des associations, des sociétés savantes, des représentants des patients et des familles.
Outre son caractère multimodal, la prévention du suicide repose depuis longtemps sur de nombreux intervenants d’horizons variés – professionnels et bénévoles – qui doivent trouver leur place dans le nouveau dispositif.
Ensuite, le deuxième point faible concerne les indicateurs de suivi, et notamment le plus sensible, celui des décès par suicide. Le principal souci est le terrible retard actuel de quatre ans à l’obtention de ces données, ce qui est problématique en matière de guidage et d’évaluation. Ces données sont disponibles dans l’année au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, dans le mois au Japon (grâce à une collaboration avec la police).
Inventer de nouvelles prises en charge
A ce rythme, ce qui est fait aujourd’hui ne pourra être évalué qu’en 2026. Il est notamment indispensable de généraliser rapidement les certificats médicaux de décès électroniques, certificats encore largement manuscrits !
Enfin, une grande partie du plan national de prévention du suicide s’appuie sur le système de soins, et notamment la psychiatrie. La maladie mentale est un facteur de risque suicidaire majeur, un risque fortement réduit par des soins appropriés.
Or, ce n’est pas un secret, le système de soins en santé mentale est en grande difficulté et cela ne s’arrangera pas tout de suite. Il sera également difficile de s’appuyer sur les médecins généralistes dont le nombre diminue. Il est donc nécessaire et urgent d’inventer de nouvelles prises en charge tout en préservant la qualité des soins.
Fabrice Jollant est professeur de psychiatrie, à l’université Paris Cité et GHU Paris psychiatrie et neurosciences, unité Inserm Moods, Paris-Saclay ; membre de l’Observatoire national du suicide et membre du Groupement d’étude et de prévention du suicide (GEPS). Cet article est paru dans Le Monde (site web)