Quand les maires doivent annoncer un décès brutal
Publié le 26/04/2022 • Par Sarah Boucault •https://www.lagazettedescommunes.com/*
L'annonce d'un décès brutal, par suicide ou suite à un accident, à des familles de leur commune est sans doute l'une des missions les plus difficiles pour les maires. D'autant qu'ils n'y sont pas préparés. A l'occasion d'une conférence inédite organisée par Saint-Brieuc Armor agglomération et les pompes funèbres intercommunales, de nombreuses recommandations ont été formulées.
Un soir, Laurence Mahé, maire de Saint-Carreuc (1510 habitants, Côtes-d’Armor, Bretagne) reçoit un appel de la gendarmerie, lui annonçant le décès d’un homme d’une quarantaine d’années. En tant qu’élue, elle doit annoncer la nouvelle à ses parents, domiciliés sur sa commune. « Avec les gendarmes, nous avons sonné vers 22 heures, je revois la maman qui ouvre la porte et comprend tout de suite qu’il s’agit d’une mauvaise nouvelle, raconte Laurence Mahé. Comment trouver les mots pour soulager ? Après l’annonce, elle a explosé. Ça a été brutal pour moi, car je ne savais pas comment aider. Je suis rentrée chez moi complètement secouée. »
Ronan Kerdraon, maire de Plérin (14 032 habitants, Côtes-d’Armor, Bretagne) et président de Saint-Brieuc Armor agglomération, se souvient lui aussi d’une annonce très marquante : « J’ai dû annoncer le décès d’une jeune fille de 10 ans à sa maman. Les circonstances étaient horribles car la mort s’est déroulée dans l’école où la maman travaillait. J’étais submergé par l’émotion mais j’ai dû garder un certain calme. On n’a pas de formation pour cela, il n’y a pas d’école pour annoncer un décès. »
L’annonce du décès brutal (souvent par suicide ou accident de la route) fait partie des missions des maires. Si quasiment tous, au moins une fois dans leur mandat, sont confrontés à cette situation, aucun n’est formé. Et beaucoup, surtout parmi les nouveaux et les plus jeunes, ne se sentent pas armés.
Se préparer à l’annonce et ne pas y aller seul
En mars 2022, une conférence inédite a eu lieu à Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), sous l’impulsion du centre intercommunal d’action sociale et des pompes funèbres intercommunales. Objectif : donner des clés aux élus pour mieux appréhender l’annonce du décès brutal. Anne Gicquel, présidente de Jalmalv 22 (l’association – « Jusqu’à la mort accompagner la vie » – accompagne des personnes en fin de vie et les familles endeuillées) a livré plusieurs recommandations : « D’abord, il faut se préparer à l’annonce. Les maires sont des êtres humains et ont le droit d’avoir des soucis. Ils peuvent demander à quelqu’un d’autre d’y aller ».
De même, « mieux vaut annoncer en vrai, pas au téléphone, et y aller à plusieurs ». Une solution privilégiée par de nombreux élus qui a l’intérêt de ne pas faire peser cette annonce sur leurs seules épaules. Certains vont solliciter un autre élu tandis que d’autres se font accompagner par un policier ou un gendarme…
Puis vient le moment de l’annonce à proprement parler. « On ne sait pas quelles seront les réactions, il faut prendre les gens délicatement, les faire s’asseoir, faire attention à ce qu’il y a autour : au moment de l’annonce, un enfant ne doit pas entendre. Il est important de nommer clairement le décès et de dire qu’il faut prévenir les proches avant que l’annonce ne se répande sur les réseaux sociaux. »
Autres conseils dispensés : « il faut aussi dire s’il y a impossibilité de voir le corps et s’assurer que quelqu’un reste auprès de la personne après l’annonce. »
Loïc Raoult, maire de Plourhan (1 987 habitants, Côtes-d’Armor, Bretagne) et président de l’association des maires de France des Côtes-d’Armor, se rappelle d’une annonce difficile : « J’étais en conseil municipal, et j’apprends qu’il y a eu un accident routier sur la commune. En arrivant, je reconnais l’un des décédés. Comme je connais bien la famille, je me dis qu’il vaut mieux que j’y aille seul au domicile, où je suis accueilli non pas comme le maire mais comme un ami. Immédiatement, il faut que je dise la gravité de ma présence. Quand les parents apprennent le décès, c’est l’effondrement total, la colère, les cris. La situation m’échappe un peu car je ne trouve plus les mots. Depuis, je me prépare en amont pour ne pas être une éponge, et je n’y vais plus seul. »
Car pour les maires, l’exercice peut s’apparenter à une véritable épreuve personnelle. « Chaque élu à un deuil à faire également. Un deuil difficile, presque pas autorisé, car la tristesse appartient à la famille. C’est ce qu’on appelle le chagrin non autorisé, souligne la psychologue et membre du collectif de prévention du suicide, Catherine Lenormand. Et c’est encore plus dur quand on connaît la personne, car on rentre dans la sphère affective. »
Trouver les mots face au suicide
Isabelle Oger, ex-maire de Plaine-haute (1 577 habitants, Côtes-d’Armor, Bretagne) se souvient d’une situation particulièrement choquante : « J’ai été confronté à de nombreux cas de suicides mais je garde en mémoire un enfant dont le papa ne vient pas le chercher à la garderie. Je suis appelée pour ramener l’enfant chez lui et stupeur, nous découvrons le papa qui s’est suicidé. Que faire ? Je décide de protéger l’enfant et le confie à une famille. Cette situation, je ne la souhaite à personne. Arriver sur un lieu de suicide avec le propre fils de cette personne est très marquant et je ne pense pas qu’on puisse être préparé à de telles situations. »
« Il est important de dire qu’une personne qui se suicide était en souffrance psychique intense, et la solution qu’elle a pu trouver pour y mettre fin c’était de mettre fin à ses jours », conseille Céline Pestel, infirmière et formatrice à la prévention du risque suicidaire. Lors du débat, la psychologue Catherine Lenormand a rappelé que les réactions sont très différentes selon les familles et qu’il faudra forcément s’adapter : « Certains semblent inertes, comme s’ils n’avaient pas entendu, d’autres sont tristes tout de suite et pleurent, d’autres tombent dans les pommes, d’autres encore refusent d’y croire. »
Le souvenir de l’élue de Plaine-haute renvoie également au cas particulier des enfants. Dans certaines situations, les élus peuvent prendre attache avec les services départementaux de l’aide sociale à l’enfance ainsi que le centre communal d’action sociale. Au commissariat de Saint-Brieuc, une intervenante sociale joue d’ailleurs la courroie de transmission entre les élus et les services sociaux.
Sur le fond, tous les acteurs promeuvent les vertus de la bonne coopération entre services publics locaux face à ces situations très difficiles. Lors du débat, Morgane Caërou, directrice générale des Pompes funèbres intercommunales de Saint-Brieuc a également rappelé que le décès doit être constaté par un médecin et qu’il faut parfois aborder très vite la question des soins de conservation, notamment en cas de pendaison, avant d’ajouter : « Ce qui est essentiel, c’est le travail d’équipe et les interactions dans toute la chaîne d’intervenants. »
A l’issue de la conférence, tous les acteurs de la chaîne sont tombés d’accord sur un point : une formation pour apprendre à annoncer un décès serait bienvenue et s’avèrerait très utile pour les maires.
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