jeudi 18 juin 2020

ETUDE RECHERCHE USA Risque de suicide pour les médecins et chirurgiens : repérer l’épuisement professionnel

Selon une enquête nationale menée aux États-Unis, le taux d'épuisement professionnel des médecins est passé de 46 % en 2011 à 54 % en 2014.Parmi les médecins, des sous-groupes spécifiques de professionnels encourent un risque accru. Les médecins qui consacrent moins de 20 % de leur semaine de travail à une activité qu'ils jugent importante ont un taux d'épuisement plus élevé que leurs pairs (53,8 % versus 29,9 %). Or, l'épuisement professionnel est associé au risque de suicide. Cette étude américaine s’est proposée d’évaluer les facteurs de risque de suicide pour trois catégories de professionnels de santé (chirurgiens, médecins non chirurgiens et dentistes) par rapport aux autres professionnels de la santé et à la population générale. Les données du National Violent Death Reporting System ont été passées au crible afin d'identifier toutes les personnes décédées par suicide aux États-Unis entre le 1er janvier 2003 et le 31 décembre 2016.
0,5 % des suicidés étaient des médecins et des dentistes
Au total, 170 030 personnes sont décédées par suicide entre 2003 et 2016. Parmi elles, 767 (0,5 %) étaient des professionnels de santé (âge moyen [ET], 59,6 [15,6] ans ; 675 hommes [88,0 %] ; 688 blancs [89,7 %]). Le reste de l'échantillon (95,5 %) se composait de la population générale (âge moyen [ET], 46,8 [31,5] ans ; 77,7 % d'hommes ; 87,8 % de blancs). Quatre cent quatre-vingt-cinq professionnels de santé (63,2 %) étaient médecins non chirurgiens, 179 (23,3 %) étaient dentistes, et 103 (13,4 %) étaient chirurgiens.
Quelques facteurs de risque
Par rapport à la population générale, les facteurs de risque de suicide chez les professionnels de santé comprennent : le fait d'être originaire d’Asie ou des îles du Pacifique (Odds Ratio OR, 2,80 ; intervalle de confiance à 95 % IC à 95 % : 1,96-3,99 ; p< 0,001) (Les Asiatiques constituent 6 % de la population américaine, mais représentent 17,7 % du « corps chirurgical », la prévalence la plus élevée de médecins asiatiques de sexe masculin se trouvant parmi les chirurgiens) ; les problèmes professionnels (OR, 1,79 ; IC à 95 %, 1,49-2. 17 ; p < 0,001) ; les problèmes juridiques au civil (RC, 1,61 ; IC à 95 %, 1,15-2,26 ; p = 0,006) et les problèmes de santé physique (OR, 1,40 ; IC à 95 %, 1,19-1,64 ; p < 0,001) ; le fait de suivre un traitement pour une pathologie mentale (OR, 1,45 ; IC à 95 %, 1,24-1,69 ; p< 0,001).
Moins de suicides chez les Noirs, les femmes et les célibataires
Par rapport à la population générale, les professionnels de la santé présentaient un risque de suicide plus faible s'ils étaient d'ascendance noire (OR, 0,55 ; IC 95 %, 0,36-0,84 ; p < 0,001) ou s'ils étaient des  femmes (OR, 0,44 ; IC 95 %, 0,35-0,55 ; p< 0,001) ou célibataires (OR, 0,36 ; IC 95 %, 0,31-0,42 ; p< 0,001). Les professionnels de la santé décédés par suicide étaient également moins susceptibles d'avoir des problèmes avec leurs partenaires intimes (OR, 0,71 ; IC 95 %, 0,60-0,86 ; p< 0,001) ou de consommer de l'alcool (RC, 0,58 ; IC 95 %, 0,45-0,73 ; P < 0,001) que la population générale.
Plus de suicide chez les chirurgiens hommes, âgés et mariés
Les chirurgiens présentent un risque de suicide plus élevé que la population générale s'ils sont plus âgés, de sexe masculin, mariés, d'ascendance asiatique ou des îles du Pacifique, s'ils suivent un traitement pour une pathologie mentale ou s'ils rencontrent  des problèmes liés à leur travail ou à l’alcool.
L'association entre l'âge avancé et un risque de suicide plus élevé est inquiétante
Des études indiquent que les chirurgiens font état de niveaux élevés de satisfaction professionnelle et se sentent très respectés dans la communauté, ce qui peut être associé au fait de travailler plus longtemps avant la retraite. Or, dès la retraite, la perte de lien avec les collègues et la perception d'une perte de pertinence après une carrière bien remplie pourraient favoriser les niveaux élevés de détresse chez les chirurgiens…
Outre le fait qu’une retraite doit se préparer, ces résultats dont on ne sait dans quelle mesure ils sont extrapolables en France, peuvent être utiles pour améliorer la détection de l'épuisement professionnel et le développement des interventions de prévention du suicide chez les professionnels de la santé.
Dr Bernard-Alex Gaüzère