Suicide des chefs d'entreprise : un dispositif pour éviter que les petits patrons craquent
Publié le 30/11/2013 à 06h00 | Mise à jour : 30/11/2013 à 17h52
Par Emmanuelle Chiron, e.chiron@sudouest.fr
Par Emmanuelle Chiron, e.chiron@sudouest.fr
Pour les artisans et petits entrepreneurs, le passage au tribunal de
commerce signifie la fin brutale d’une carrière, d’un rêve de réussite
et d’indépendance, mais aussi la culpabilité, le déshonneur, la
solitude. (PHOTO EMMANUELLE CHIRON)
« Quand on parle de chef d’entreprise, on a l’image d’un homme solide.
Mais les personnes que nous recevons n’ont pas le profil des patrons du
CAC 40 », confie Roland Tevels, le président du tribunal de commerce de
Saintes. En audience, le tribunal se trouve régulièrement confronté à
des drames personnels.
Les entrepreneurs engagés dans des procédures collectives vivent cette situation comme un échec. Stress, désespoir, crises de larmes et même, parfois, propos suicidaires : les professionnels de justice font face des situations qui dépassent leurs champs de compétences.
Pour ces petits artisans et commerçants, ces procédures signifient la fin brutale d’une carrière, d’un rêve de réussite et d’indépendance, mais aussi la culpabilité, le déshonneur, la solitude. À ce moment-là, ils décrochent.
Pour les aider, le tribunal de commerce a mis en place un plan de prévention du suicide des chefs d’entreprise. Une première en France.
« Nous ressentons de plus en plus de détresse. On parle beaucoup de la situation des salariés en perte d’emploi, mais pas du tout de ces petits chefs d’entreprise en souffrance », raconte Marc Binnié. Dans son bureau, le greffier associé auprès du tribunal de commerce de Saintes entend des mots habituellement étouffés dans ce milieu, “idées noires”, “sans issue”.
Un réseau déjà installé
Face à ce constat désarmant, Marc Binnié a initié ce dispositif. En juin 2012, il s’est rapproché de Jean-Luc Douillard à l’occasion d’un colloque au tribunal de grande instance de Saintes. Le psychologue est le coordinateur du programme régional de prévention du suicide pour le sud de la Charente-Maritime.
« Le chef d’entreprise en difficulté n’était pas reconnu comme catégorie à risques par les dispositifs de prévention. Or, le risque - nous le voyons tous les jours au tribunal - est réel », poursuit le greffier.
Les bases du projet se sont ensuite posées très simplement. Un comité de pilotage a été créé. Il regroupait le procureur de la République, le président du tribunal de commerce, le greffier et les membres du réseau Territorial 17 (psychologue, médecin psychiatre, médecin et infirmière psychiatre).
Une trentaine de professionnels de justice ont suivi une formation de prévention aux risques suicidaires. Leurs formateurs ont fait de même en assistant à des audiences, pour s’imprégner de la procédure.
Une prise en charge en 48 h
« Nos termes juridiques, assez durs, ne doivent pas devenir un facteur aggravant. Cette formation nous a permis d’être en alerte et de savoir mieux poser les choses », témoigne Marc Binnié.
Pour Nathalie Delabarre, infirmière psychiatrique et membre du réseau Territorial 17, ce n’est pas un hasard si l’idée de cette prévention, inédite, est née dans ce tribunal.
« Pendant les audiences, j’ai remarqué l’écoute de l’équipe. Cela a rendu notre prévention plus simple. » Roland Tevels rappelle le travail très humain de son prédécesseur, Gérad Saliba. « Ici, on juge les faits, pas les personnes. »
Après le volet formation, le plan a été mis en application. Certains besoins devenaient urgents (lire ci-dessous).
Concrètement, un réseau s’est constitué entre les juges, mandataires et greffiers. Chacun d’entre eux a en sa possession une fiche d’alerte. Elle permet d’orienter un entrepreneur présentant des risques vers les professionnels de santé. Une infirmière psychiatrique appelle alors la personne concernée et dresse un premier bilan. Entre l’appel et la mise en alerte du tribunal de commerce, les délais ne dépassent pas 48 heures.
Le choix de rencontrer l’un des dix thérapeutes du réseau appartient ensuite à chacun. « Nous ne sommes pas là pour faire des chefs d’entreprise des malades, rappelle Marc Binnié, mais pour prévenir. »
Projet pilote
Ce projet novateur prendra-t-il de l’ampleur ? Trouvera-t-il des moyens financiers ? Pour l’heure, le tribunal n’a pas ce type de budget. « Les coûts ne doivent pas se répercuter sur les justiciables », affirme Roland Tevels. Le président souhaiterait faire appel aux chambres de métiers et autres organismes qui soutiennent les entreprises.
Ce dispositif a vocation à gagner d’autres territoires. « Des collègues à Orléans sont intéressés, ajoute le greffier, Marc Binnié. Nous sommes pilote, ici, en Charente-Maritime, mais cela doit servir à tout le monde. »
En France, de janvier à octobre 2013, le Conseil national des greffiers de tribunal de commerce a recensé 45 149 ouvertures de procédures collectives.
Les entrepreneurs engagés dans des procédures collectives vivent cette situation comme un échec. Stress, désespoir, crises de larmes et même, parfois, propos suicidaires : les professionnels de justice font face des situations qui dépassent leurs champs de compétences.
Pour ces petits artisans et commerçants, ces procédures signifient la fin brutale d’une carrière, d’un rêve de réussite et d’indépendance, mais aussi la culpabilité, le déshonneur, la solitude. À ce moment-là, ils décrochent.
Pour les aider, le tribunal de commerce a mis en place un plan de prévention du suicide des chefs d’entreprise. Une première en France.
« Nous ressentons de plus en plus de détresse. On parle beaucoup de la situation des salariés en perte d’emploi, mais pas du tout de ces petits chefs d’entreprise en souffrance », raconte Marc Binnié. Dans son bureau, le greffier associé auprès du tribunal de commerce de Saintes entend des mots habituellement étouffés dans ce milieu, “idées noires”, “sans issue”.
Un réseau déjà installé
Face à ce constat désarmant, Marc Binnié a initié ce dispositif. En juin 2012, il s’est rapproché de Jean-Luc Douillard à l’occasion d’un colloque au tribunal de grande instance de Saintes. Le psychologue est le coordinateur du programme régional de prévention du suicide pour le sud de la Charente-Maritime.
« Le chef d’entreprise en difficulté n’était pas reconnu comme catégorie à risques par les dispositifs de prévention. Or, le risque - nous le voyons tous les jours au tribunal - est réel », poursuit le greffier.
Les bases du projet se sont ensuite posées très simplement. Un comité de pilotage a été créé. Il regroupait le procureur de la République, le président du tribunal de commerce, le greffier et les membres du réseau Territorial 17 (psychologue, médecin psychiatre, médecin et infirmière psychiatre).
Une trentaine de professionnels de justice ont suivi une formation de prévention aux risques suicidaires. Leurs formateurs ont fait de même en assistant à des audiences, pour s’imprégner de la procédure.
Une prise en charge en 48 h
« Nos termes juridiques, assez durs, ne doivent pas devenir un facteur aggravant. Cette formation nous a permis d’être en alerte et de savoir mieux poser les choses », témoigne Marc Binnié.
Pour Nathalie Delabarre, infirmière psychiatrique et membre du réseau Territorial 17, ce n’est pas un hasard si l’idée de cette prévention, inédite, est née dans ce tribunal.
« Pendant les audiences, j’ai remarqué l’écoute de l’équipe. Cela a rendu notre prévention plus simple. » Roland Tevels rappelle le travail très humain de son prédécesseur, Gérad Saliba. « Ici, on juge les faits, pas les personnes. »
Après le volet formation, le plan a été mis en application. Certains besoins devenaient urgents (lire ci-dessous).
Concrètement, un réseau s’est constitué entre les juges, mandataires et greffiers. Chacun d’entre eux a en sa possession une fiche d’alerte. Elle permet d’orienter un entrepreneur présentant des risques vers les professionnels de santé. Une infirmière psychiatrique appelle alors la personne concernée et dresse un premier bilan. Entre l’appel et la mise en alerte du tribunal de commerce, les délais ne dépassent pas 48 heures.
Le choix de rencontrer l’un des dix thérapeutes du réseau appartient ensuite à chacun. « Nous ne sommes pas là pour faire des chefs d’entreprise des malades, rappelle Marc Binnié, mais pour prévenir. »
Projet pilote
Ce projet novateur prendra-t-il de l’ampleur ? Trouvera-t-il des moyens financiers ? Pour l’heure, le tribunal n’a pas ce type de budget. « Les coûts ne doivent pas se répercuter sur les justiciables », affirme Roland Tevels. Le président souhaiterait faire appel aux chambres de métiers et autres organismes qui soutiennent les entreprises.
Ce dispositif a vocation à gagner d’autres territoires. « Des collègues à Orléans sont intéressés, ajoute le greffier, Marc Binnié. Nous sommes pilote, ici, en Charente-Maritime, mais cela doit servir à tout le monde. »
En France, de janvier à octobre 2013, le Conseil national des greffiers de tribunal de commerce a recensé 45 149 ouvertures de procédures collectives.