Expression différente de la souffrance, moindre accès aux soins
Chez l’homme, les symptômes de la dépression avancent masqués
25/11/2013 sur http://www.lequotidiendumedecin.fr/specialites/psychiatrie/chez-l-homme-les-symptomes-de-la-depression-avancent-masques
La dépression touche deux fois moins les hommes que les femmes. Toutes les études le disent. Sauf une, qui vient de remettre en question ce postulat. Si les hommes sont moins représentés, c’est qu’ils sont moins diagnostiqués. Des résultats nuancés par le Dr Marc Masson, psychiatre à la Clinique du Château de Garches.
PREMIÈRE CAUSE mondiale d’invalidité en 2030 selon l’OMS, la dépression majeure figure parmi les maladies les plus lourdes de notre société (1). « Environ 17 % des femmes et 9 % des hommes sont touchés au moins une fois dans leur vie », précise le Dr Marc Masson. Soit une nette représentativité féminine, implicitement contredite par une récente étude américaine (2). Les femmes seraient plus à risque de dépression. Lisa Martin et ses collègues proposent d’envisager la question sous un autre angle. Selon ces chercheurs, la raison de ce différentiel repose sur les grilles diagnostiques, plus spécifiques de la symptomatologie féminine, des grilles, utilisées aussi bien en clinique que dans la recherche. Identifier la dépression en se basant uniquement sur les symptômes du DSM-IV (ou 5) ferait prendre le risque d’un sous-diagnostic. « Certains auteurs avancent l’hypothèse que les femmes pourraient ressentir et exprimer davantage l’humeur dépressive que les hommes », rapporte le psychiatre.
Pour une grille mixte.
Se restreindre à la simple expression d’une tristesse, ce serait prendre le risque de sous-estimer la souffrance masculine. Car chez les hommes, la dépression peut avoir un tout autre langage : moins de plaintes, et plus de symptômes extériorisés. Une expression masculine éloignée des signes habituellement décrits, tels que la tristesse, la fatigue ou l’anhédonie. Est-ce à dire que les hommes se cachent pour pleurer ? Non, mais ils expriment la douleur morale d’une manière différente. Selon l’étude de Martin et coll., la dépression masculine s’exprimerait davantage par des crises de colère et d’agressivité, un abus de substances, des comportements à risque, ou une irritabilité. Des symptômes qui tardent à s’inscrire dans les grilles diagnostiques traditionnelles, avec comme conséquence de possibles biais dans les études de prévalence.
Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs ont procédé de manière originale. Ils ont évalué la symptomatologie dépressive chez 5 600 hommes et femmes à l’aide de trois méthodes diagnostiques différentes : le DSM-IV et deux échelles spécialement conçues pour l’étude, l’une étudiant à la fois les symptômes dits masculins (définis sur la base d’études antérieures) et les symptômes traditionnels de la dépression. Résultat : l’échelle hybride a permis de déceler une proportion identique de dépression dans les deux sexes, contrairement à la seule analyse du DSM-IV, nettement moins sensible chez les hommes. Les auteurs en concluent : « Compter uniquement sur l’expression des symptômes traditionnels chez les hommes pourrait conduire à un sous-diagnostic de la dépression masculine ».
Questions de genre.
Ces disparités symptomatiques trouvent leurs explications. « Une des grandes différences qui distingue l’homme de la femme est leur vie hormonale », assure le Dr Marc Masson. Et d’argumenter : « la prédominance féminine n’apparaît qu’après la puberté. Chez l’enfant, la dépression touche autant les filles que les garçons ». Aujourd’hui l’influence des œstrogènes sur l’humeur ne fait plus de doutes. L’apparition récente du Trouble Dysphorique Prémenstruel au sein du DSM-5 en est l’illustration parfaite. Mais que sait-on du poids hormonal chez les hommes ? « Si les hormones féminines influencent tant l’humeur chez les femmes, on peut supposer que la testostérone a également un impact sur l’expression de la dépression chez les hommes, connus pour être plus impulsifs et moins labiles sur le plan émotionnel ». Pas question cependant de restreindre la cause dépressive aux seules fluctuations hormonales. « À ces aspects biologiques, doivent probablement se surajouter des composantes culturelles et sociétales dans l’expression des syndromes dépressifs chez les hommes comme chez les femmes », ajoute le Dr Marc Masson. L’étude américaine a relativisé ces différences. Les spécificités de genre n’étant pas formellement délimitées. Des symptômes dits masculins - en particulier le stress, l’irritabilité, les problèmes de sommeil et la perte d’intérêt - ont été retrouvés chez certaines femmes, et inversement. Si l’influence du genre ne peut être niée, elle mérite d’être relativisée.
Prévenir le suicide.
Mais une chose est sûre, les hommes se plaignent moins, et tardent de ce fait à solliciter du soutien. Ce que regrette le psychiatre : « De ce moindre accès aux soins, résulte une possible sous-estimation de la prévalence de la dépression chez les hommes », avec des conséquences, aussi bien épidémiologiques que cliniques. Le taux élevé de suicide chez les hommes - 5 hommes pour 1 femme - en fait prendre la mesure. « La symptomatologie étant moins évidente chez les hommes, les symptômes dépressifs doivent être attentivement recherchés dans le but de prévenir la mortalité suicidaire », conclut le Dr Masson. Les hommes seraient-ils aussi vulnérables que les femmes? Probablement. Faut-il encore prendre le temps de considérer ce qu’ils s’évertuent à masquer.
› Dr ADA PICARD
* Également secrétaire général de la Société Médico-Psychologique de Paris.
(1) JP Lepine, M Briley, The increasing burden of depression, Neuropsychiatr Dis Treat. 2011; 7(Suppl 1): 3–7.
(2) Lisa A. Martin et coll. The Experience of Symptoms of Depression in Men vs Women : Analysis of the National Comorbidity Survey Replication, JAMA Psychiatry (2013) vol 70,10.
http://archpsyc.jamanetwork.com/article.aspx?articleID=1733742