mardi 17 décembre 2013

CANADA : DEBAT Le lien entre cyberintimidation et suicide serait trop vite établi

Le lien entre cyberintimidation et suicide serait trop vite établi
Alison Auld
, La Presse Canadienne (HALIFAX, N.-E.)
16 décembre 2013 http://techno.lapresse.ca/nouvelles/internet/201312/16/01-4721570-le-lien-entre-cyberintimidation-et-suicide-serait-trop-vite-etabli.php


Illustration La Presse


Les récits se multiplient sur l'écran d'ordinateur de Carol Todd avec une régularité bouleversante: il s'agit d'expériences aux contours similaires qui brossent un portrait du suicide chez des jeunes qui ont souvent eu à subir les tourments de la cyberintimidation.


À certains égards, ces récits rejoignent le drame vécu par sa propre fille Amanda, une élève de 15 ans qui s'est enlevé la vie il y a un an à la suite de mois de harcèlement à l'école et dans Internet autour d'images de son corps publiées en ligne.

L'un des éléments communs à ces décès est le lien de cause à effet établi par les médias, les politiciens et les parents entre l'intimidation incessante et la décision de la victime de mettre fin à ses jours.

Mais Mme Todd et certains experts de la santé estiment que l'interconnexion que plusieurs établissent tend à trop simplifier le suicide chez les jeunes et la cyberintimidation, au détriment de la reconnaissance d'enjeux complexes de santé mentale qui entrent généralement en ligne de compte dans ces tragédies.

«L'histoire d'Amanda, quand vous analysez tous les morceaux, est très complexe», a fait valoir Mme Todd, à son domicile de Port Coquitlam, en Colombie-Britannique, ajoutant que sa fille avait des troubles d'apprentissage qui nuisaient à sa capacité d'adaptation.

«Je n'aime pas trop quand on dit qu'Amanda a été tuée par la cyberintimidation. Ce ne fut pas le cas, et je ne crois pas qu'il y a suffisamment de soutien pour les enjeux de santé mentale chez les jeunes, ce qui explique ultimement pourquoi ils s'enlèvent la vie», a-t-elle soutenu.

Le suicide d'Amanda Todd, et plusieurs autres encore, ont incité des gouvernements à travers le pays à se pencher sur un problème jugé croissant pour les jeunes qui ne peuvent échapper aisément aux travers de l'Internet.

En Nouvelle-Écosse, Rehtaeh Parsons, âgée de 17 ans, a été débranchée des appareils qui la maintenaient en vie à la suite d'une tentative de suicide en avril. Sa famille croit qu'elle s'est suicidée suite à plusieurs mois de cyberintimidation. Elle soutient que l'adolescente a été victime de harcèlement pendant des mois après la publication d'une photo sur Internet témoignant d'une agression sexuelle dont elle aurait été victime en novembre 2011.

Jamie Hubley, un adolescent de l'Ontario ouvertement gai, a décrit dans une note la douleur de l'intimidation et de la dépression, avant de s'enlever la vie en 2011.

Des liens trop simplistes ?

Ces cas, parmi d'autres encore aux États-Unis, ont braqué les projecteurs sur la cyberintimidation et ses effets sur les jeunes, recueillant une vaste couverture médiatique et incitant les appels à des actions gouvernementales.

Le docteur Jitender Sareen, psychiatre et enseignant à l'université du Manitoba, estime qu'une bonne partie de la couverture médiatique présente la notion simple que la cyberintimidation cause le suicide, négligeant de possibles enjeux de santé mentale.

«Être cyberintimidé peut être la goutte qui fait déborder le vase, mais les médias et les politiciens simplifient, à certains moments, à une corrélation de l'intimidation qui cause le suicide, a-t-il évoqué à Winnipeg. La vaste majorité des gens qui subissent de l'intimidation ne meurent pas par suicide.»

M. Sareen utilise l'exemple d'une personne souffrant d'une maladie pulmonaire qui meure finalement d'une simple grippe, pour expliquer que bon nombre de jeunes qui s'enlèvent la vie après avoir été intimidés souffraient déjà de problèmes de santé mentale, qui affectaient leurs capacités d'adaptation.

Une étude réalisée en 2012 sur 41 cas de suicides d'adolescents a montré que 32% d'entre eux souffraient de troubles de l'humeur, tandis que 15% comptaient des symptômes de dépression.

Dans la foulée de la mort de Rehtaeh Parsons, le gouvernement de la Nouvelle-Écosse a mis en place une loi sur la «cybersécurité» destinée à donner des outils aux gens pour tenter de restreindre la cyberintimidation, et de poursuivre s'ils en sont victimes ou si leurs enfants le sont.

Le gouvernement Harper a dévoilé fin novembre les grandes lignes d'un projet de loi destiné à combattre la cyberintimidation. La mesure interdirait la distribution non consensuelle d'images intimes, autoriserait un juge à ordonner le retrait d'images intimes de l'Internet, et permettrait à un juge d'ordonner la saisie de l'ordinateur, du téléphone cellulaire ou d'un autre appareil mobile utilisé pour commettre l'infraction.

Au Québec, une loi avait été adoptée en juin 2012 - la Loi visant à prévenir et à combattre l'intimidation et la violence à l'école. Cette loi prévoit l'obligation pour tout établissement d'adopter et de mettre en oeuvre un «plan de lutte contre l'intimidation et la violence», qui inclurait des mesures de prévention, ainsi que de soutien ou d'encadrement lorsqu'un acte d'intimidation est constaté, en plus de sanctions disciplinaires applicables.