lundi 8 avril 2013

AUTOUR DE LA QUESTION : Débat Isolement, solitude,

Article " Au Canada, les plus pauvres se mobilisent pour tenir compagnie aux enfants riches" du 5/04/2013 sur http://alternatives.blog.lemonde.fr/2013/04/05/au-canada-les-plus-pauvres-se-mobilisent-pour-tenir-compagnie-aux-enfants-riches/
De grands moments de solitude. Au-delà de ce que traversent certains (ir)responsables politiques français… voilà ce que vivent la majorité des jeunes gens au Canada où 20% des 15-18 ans ont des pensées suicidaires et où un quart des jeunes québécois déclarent se sentir seul "souvent" ou "tout le temps".
Pour attirer l’attention sur les dangers de cette pauvreté relationnelle (suicide, anorexie, automutilation, etc.), la campagne de sensibilisation "Parrainez un enfant riche", lancée en mars 2013, tourne le sujet en dérision et adopte un ton ludique qui met le doigt là où ça fait mal.

Il y a pauvreté et pauvreté

Le procédé n’est pas nouveau, mais il est efficace : copier les codes publicitaires et la logique des campagnes de sensibilisation humanitaire pour dénoncer, dans un effet miroir, les excès inverses de nos sociétés développées. "L'idée m'est venue en 2010. Je regardais les infopubs d'une ONG canadienne à la télévision. On montrait des enfants tellement maigres que plusieurs en mourraient. J'ai pensé alors au phénomène de l'anorexie dans les pays riches, qui tue de la même manière. Mais pour des raisons opposées: pas assez de ressources matérielles dans le Sud et trop de ressources matérielles dans le Nord. En France seulement, 70 000 jeunes sont anorexiques !" s’indigne Julien Boisvert, ancien activiste altermondialiste de 34 ans qui s'est recyclé dans les "projets artistiques à saveur sociale" comme celui qu’il porte aujourd’hui avec Parrainez un enfant riche coréalisé avec Myriam Verreault et présenté dans la vidéo suivante :



En 2011, il reçoit une bourse d'écriture pour développer cette websérie et décide de prendre l'argent pour monter une simulation de parrainage afin de générer des idées et des personnages. Cette démarche de recherche-action, alliée au projet d'art communautaire et intercuturel, permet à l’équipe de valider ses hypothèses auprès des participants : "pour cela, nous avons créé des jumelages entre une trentaine de jeunes et une quinzaine d’immigrants en provenance de pays sous-développés", précise Julien Boisvert qui réalise, à sa grande surprise, à quel point ces derniers ont été bouleversés par la pauvreté relationnelle et l’aspect glacial des relations humaines en arrivant au Canada.
À travers les ateliers et les correspondances échangées sur le site (voir le making-of de 17 minutes), les participants sont interpellés sur les notions de richesse matérielle et de pauvreté relationnelle, définie comme "une pauvreté des échanges conjugaux, familiaux, sociaux qui s'exprime par des conflits intra et interpersonnels, par de la violence, du mal-être et même de la violence contre soi". Cette dernière étant souvent traitée de manière médicamenteuse (aux États-Unis, 30% des jeunes sous l'influence d'un médicament) et reste peu discutée dans le milieu universitaire et encore moins par le grand public.

Dis moi quelle est ta richesse, je te dirai qui tu es

Mais comment agir face à ces relations qui s'effritent entre générations et entre voisins ? Comment éviter les relations éphémères et superficielles entre amis, élèves, collègues, etc. ? L'enrichissement matériel engendre-t-il nécessairement l'appauvrissement relationnel ? Quels sont les impacts de la (sur)consommation sur nos rapports interpersonnels ? Les nouveaux arrivants en provenance de pays défavorisés ne peuvent-ils pas nous inspirer d’autres valeurs ?
Telles sont les questions posées par la campagne qui, bien consciente de la complexité de la situation, souhaite aborder les sujets de manière "systémique, historique et non-fragmentée". C’est d’ailleurs pour souligner les contradictions flagrantes et absurdes auxquelles nous faisons face aujourd’hui que la campagne se déroule en ligne : "est-ce que les échanges web sont le meilleur moyen d'aider un jeune pris dans la cyberdépendance ? N'est-il pas contradictoire d'envoyer un câlin virtuel à un enfant en carence d'affection physique ?", interroge ainsi l’équipe du projet.
Des questions sur lesquelles la journaliste Anne de Malleray a pu se pencher récemment dans Solitude un ouvrage publié par Les éditions 10-18 et le trimestriel Usbek & Rica dans la nouvelle collection intitulée "Le monde expliqué aux vieux": "si les personnes âgées sont les plus isolées, le sentiment de solitude s'exprime autant, voire plus, chez les jeunes qui sont insérés dans des réseaux de communication très denses et souffrent plus lorsqu'ils ne trouvent pas leur place" explique-t-elle en rappelant que parmi les personnes en situation d'isolement radical (11% des Français), 16% ont plus de 75 ans.
Parmi les raisons les plus invoquées dans cet isolement ? Le manque d’argent: entre 30 et 39 ans, 20% des gens qui vivent en dessous du seuil de pauvreté sont en situation d'isolement relationnel contre 9% en moyenne (source). Alors que 20% des jeunes se plaignent d'une solitude subie et d'un sentiment de précarité relationnelle (Sondage sur la solitude des 19-35 ans, Société Saint Vincent de Paul, 2012), la situation se dégrade avec la crise : "en 2010, seul 3% des trentenaires étaient en situation d'isolement relationnel, en 2012, ils sont 3 fois plus nombreux", précise l'auteur.

Seuls, ensemble ?

Pouvons-nous donc être ultra connectés mais de plus en plus seuls ? "C'est le paradoxe du moment, constate Anne de Malleray. Je pense qu'on développe une hyper-sensibilité à la solitude parce qu'on est de plus en plus en relation". Et pour elle, Internet ne dégrade pas les relations : "s'il permet de s'isoler des autres tout en ayant la sensation d'être en relation quand même, une minorité de gens l'utilisent de cette façon. En revanche, les champs relationnels se superposent (off line / on line) et s'imbriquent. La norme est d'être en relation. Ne pas l'être devient dramatique. C'est pour cela que l'on arrive de moins en moins à être seul et créer le vide autour de soi".
Mais bien pire que cela : la solitude est mal vue aujourd'hui. "Un enfant qui s'isole aurait un problème. Les parents s'inquiètent. Quelqu'un qui ne répond pas au téléphone est un associable. On confond deux types de solitude : l'isolement social, dont les causes sont la disparition des réseaux sociaux traditionnels, la dureté du monde du travail, la fin des appartenances traditionnelles, etc. et le sentiment de solitude, qui est intime et que tout le monde ressent. ça peut être un sentiment douloureux, mais la solitude est l'espace, essentiel, où l'on construit son identité propre" souligne la journaliste. Une façon de dire qu’internet n'est ni le poison, ni le remède, "même si l'utopie relationnelle qu'il soulève est enthousiasmante" ajoute-t-elle.
Une chose est sûre en tout cas: les anciennes appartenances s'étiolent (religieuses, familiales, politiques, etc.) et nous devons en construire de nouvelles, au risque de ressentir ce sentiment de solitude. "C'est une grande liberté, en même temps, cela fragilise beaucoup. Théoriquement, chacun est libre de faire ce qu'il veut de sa vie, mais en réalité, on est pris dans un modèle d'accomplissement très auto-centré et axé sur la réussite matérielle et la jouissance individuelle", remarque Anne de Malleray pour qui la crise remet au goût du jour des liens de dépendance qu'on avait oubliés (aux autres, à un système social protecteur, à l'environnement, etc.)
Et si les plus jeunes maîtrisent des outils relationnels inédits pour structurer des communautés élargies et rassembler sur des causes communes, la lutte contre la solitude consisterait à "lutter contre une vision déprimante de la société, où personne ne dépendrait de personne et où aucune vulnérabilité n'est acceptée" nous dit-elle.
En attendant, les touche-à-tout numériques ont de moins en moins de contacts physiques avec autrui, ainsi que le constatait la seconde édition de la revue canadienne Zone d'aménagement du Quotidien. Or le toucher est un "moyen d'action et de connaissance, mais aussi un mouvement vers l'autre. Et tout au long de la vie, il saura rappeler notre condition d'être humain pour laquelle le besoin de contacts physiques avec autrui est essentiel", y rappelait l'édito de la sociologue Alexandra Schilte.
Entre les riches mal accompagnés, les pauvres esseulés et les jeunes en quête de communautés, les épaules sur lesquelles se reposer se font rares on dirait... Tout cela interroge sur l'évolution de nos modes d'échange, d'entraide et de solidarité, n'est-il pas ?
 Anne-Sophie Novel / @SoAnn sur twitter