jeudi 12 février 2015

RECHERCHE Étude: le chômage augmente le risque de suicide



Étude: le chômage augmente le risque de suicide

11 février 2015 |Pauline Gravel | Santé


Une femme déposait des bougies sur le sol devant l'agence chargée de l'emploi en France en hommage à un chômeur qui s'est suicidé en 2013.
Photo: Frank Perry Agence France-Presse Une femme déposait des bougies sur le sol devant l'agence chargée de l'emploi en France en hommage à un chômeur qui s'est suicidé en 2013.
Une grande étude longitudinale montre que le chômage augmente le risque de suicide de 20 à 30 %. D’où l’importance d’investir dans des politiques créatrices d’emploi dans le but de prévenir un tel fléau, affirment les auteurs de cette étude dans la revue The Lancet Psychiatry.
  À l’aide des données sur les morts par suicide accumulées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), et sur l’économie par le Fonds monétaire international, des chercheurs de l’Université de Zurich, en Suisse, ont évalué l’impact du taux de chômage sur la prévalence du suicide entre 2000 et 2011 dans 63 pays de quatre régions du monde, dont les Amériques, l’Europe du Nord et de l’Ouest, l’Europe du Sud et de l’Est, ainsi qu’un groupe de pays d’Afrique et d’Asie, d’Australie et d’Océanie.
  Les chercheurs ont ainsi relevé que 41 148 suicides étaient attribuables au chômage en 2007, contre 46 131 en 2009, indiquant un excès d’environ 5000 suicides à la suite de la crise économique de 2008.
  Les scientifiques ont observé que les hausses du taux de chômage affectaient également les deux sexes ainsi que les différents groupes d’âge. « Les personnes à la retraite étaient aussi affectées indirectement quand leurs enfants ont perdu leur emploi », expliquent les auteurs de l’article. Ces derniers ont également remarqué que le taux de suicide augmentait six mois avant la montée du taux de chômage. « La restructuration du marché du travail et la réduction des effectifs des entreprises durant la contraction de l’économie créent du stress additionnel au travail et un sentiment de précarité de leur poste chez les employés — en raison par exemple d’une augmentation de la charge de travail, d’une conversion au travail à temps partiel ou des mises à pied intermittentes — qui affectent la santé mentale des travailleurs. Dans de telles circonstances, les personnes vulnérables sont plus à risque de se suicider », soulignent les chercheurs suisses.
  L’analyse des données a également montré que l’accroissement du chômage engendrait des effets plus marqués dans les pays où le chômage était peu élevé avant la crise. « Dans ces pays, une augmentation inattendue du taux de chômage peut induire de plus grandes craintes et davantage d’insécurité que dans les pays connaissant un chômage élevé depuis longtemps », avancent les chercheurs qui croient que pour prévenir le suicide, les gouvernements doivent investir suffisamment dans des politiques susceptibles de réduire le chômage et d’aider à créer de nouveaux emplois.


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L'etude citée

Modelling suicide and unemployment: a longitudinal analysis covering 63 countries, 2000–11

Dr Carlos Nordt, PhD Affiliations, Ingeborg Warnke, PhD, Prof Erich Seifritz, MD PD
Wolfram Kawohl, MD
Department of Psychiatry, Psychotherapy and Psychosomatics, Psychiatric Hospital, University of Zurich, Zurich, Switzerland
Correspondence to: Dr Carlos Nordt, Psychiatric Hospital, University of Zurich, Lenggstrasse 31, 8032 Zurich, Switzerland cnordt@bli.uzh.ch
The Lancet Psychiatry Published Online: 10 February 2015
http://www.thelancet.com/journals/lanpsy/article/PIIS2215-0366%2814%2900118-7/abstract

Summary

Background

As with previous economic downturns, there has been debate about an association between the 2008 economic crisis, rising unemployment, and suicide. Unemployment directly affects individuals' health and, unsurprisingly, studies have proposed an association between unemployment and suicide. However, a statistical model examining the relationship between unemployment and suicide by considering specific time trends among age-sex-country subgroups over wider world regions is still lacking. We aimed to enhance knowledge of the specific effect of unemployment on suicide by analysing global public data classified according to world regions.

Methods

We retrospectively analysed public data for suicide, population, and economy from the WHO mortality database and the International Monetary Fund's world economic outlook database from 2000 to 2011. We selected 63 countries based on sample size and completeness of the respective data and extracted the information about four age groups and sex. To check stability of findings, we conducted an overall random coefficient model including all study countries and four additional models, each covering a different world region.

Findings

Despite differences in the four world regions, the overall model, adjusted for the unemployment rate, showed that the annual relative risk of suicide decreased by 1·1% (95% CI 0·8–1·4) per year between 2000 and 2011. The best and most stable final model indicated that a higher suicide rate preceded a rise in unemployment (lagged by 6 months) and that the effect was non-linear with higher effects for lower baseline unemployment rates. In all world regions, the relative risk of suicide associated with unemployment was elevated by about 20–30% during the study period. Overall, 41 148 (95% CI 39 552–42 744) suicides were associated with unemployment in 2007 and 46 131 (44 292–47 970) in 2009, indicating 4983 excess suicides since the economic crisis in 2008.

Interpretation

Suicides associated with unemployment totalled a nine-fold higher number of deaths than excess suicides attributed to the most recent economic crisis. Prevention strategies focused on the unemployed and on employment and its conditions are necessary not only in difficult times but also in times of stable economy.

Funding

University of Zurich.


Autre article sur le sujet

Le chômage, responsable de 45 000 suicides par an dans le monde
11/02/2015
http://www.lequotidiendumedecin.fr/specialites/psychiatrie/le-chomage-responsable-de-45-000-suicides-par-dans-le-monde

Le chômage est associé à un surrisque de suicide de 20 à 30 %, selon une analyse publiée dans « The Lancet Psychiatry », menée par les chercheurs de l’hôpital psychiatrique universitaire de Zurich. Les auteurs ont travaillé sur les données sur le suicide fournies par l’Organisation mondiale de la santé, et les ont croisées avec celles issues du Fonds monétaire international. Ils ont pu ainsi mesurer l’impact du taux de chômage sur le risque de suicide dans 63 pays, en fonction du sexe de la classe d’âge.
5 000 cas par an supplémentaire depuis 2007

Les auteurs estiment que le chômage est à l’origine d’un cinquième des 233 000 suicides recensés chaque année dans les pays de l’étude, soit 45 000 suicides par an. Entre 2007 et 2009, la moyenne des suicides a augmenté de 5 000 cas supplémentaires par an, à cause de la crise de 2008.

En dépit de cette hausse récente, le risque de suicide a globalement diminué de 1,1 % par an entre 2000 et 2011. Ce tassement est cependant loin d’être général : si les taux de suicides ont fortement baissé en Europe de l’Est et du Sud, cette baisse était plus légère en Europe de l’Ouest tandis que l’Amérique a rencontré, au contraire, une forte hausse du taux de suicide.

En revanche, aucune classe d’âge n’est à l’abri de l’effet anxiogène de la hausse du chômage : même les retraités de plus de 65 ans y sont sensibles. Les auteurs estiment que la survenue du chômage déstabilise l’ensemble des familles, y compris les seniors dont les enfants peuvent être plus directement concernés.
Plus le chômage est rare, plus il est craint

« Nos résultats montrent que le taux de suicide augmente généralement six mois avant que le taux de chômage n’augmente à son tour », explique le Dr Carlos Nordt de l’hôpital psychiatrique universitaire de Zurich et premier auteur de l’étude. Toutes les pertes d’emploi n’ont, de plus, pas le même effet. Le lien entre l’inactivité et le risque de suicide semble plus fort dans les pays où être sans emploi n’est pas une chose fréquente. « Il est possible qu’une montée inattendue du chômage dans ce genre de pays provoque des sentiments de peur et d’insécurité plus intenses que dans les pays où le taux de chômage était déjà élevé avant la crise économique », poursuit le Dr Carlos Nordt. Le psychiatre insiste en outre sur le fait que « la prévention du suicide doit être intensifiée dans les pays affectés par la crise, surtout si la population n’est pas habituée à un taux de chômage important ».

Damien Coulomb



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5.000 suicides par an dus au chômage dans une soixantaine de pays
Par Marie Bartnik Mis à jour le 11/02/2015 http://www.lefigaro.fr/emploi/2015/02/11/09005-20150211ARTFIG00342-45000-suicides-par-an-du-au-chomage-dans-une-soixantaine-de-pays.php


Une étude réalisée par des chercheurs de l'Université de Zurich et publiée dans The Lancet Psychiatry a mesuré l'impact de la crise économique sur le suicide dans le monde. Les hommes sont les plus touchés.

Le chômage tue. Une étude de plusieurs chercheurs de l'Université de Zurich, publiée mardi dans The Lancet Psychiatry, confirme et affine le diagnostic déjà posé par plusieurs études précédentes: le nombre de suicides augmente lorsque le chômage grimpe. Les chercheurs suisses se sont penchés sur la crise économique de 2008 et ses répercussions sur le suicide dans plus de 60 pays dans le monde, d'Amérique, d'Europe et d'Asie. Ayant passé en revue plus de dix ans de statistiques (de 2000 à 2011), ils en concluent qu'environ 45.000 suicides par an sont imputables au fléau du chômage, que la récession de 2008 a fait enfler.

Dans les 63 pays étudiés, près de 230.000 suicides ont été recensés en 2009, contre 226.000 en 2007, avant le début de la crise économique. Parmi ces 230.000 suicides, 46.000 étaient dus, cette année-là, au chômage, contre 41.000 en 2007 et 44.000 en 2008. Globalement, la courbe des suicides connaît la même évolution que celle du chômage: à la hausse à partir de 2008, puis à la baisse à partir de 2010. L'étude observe cependant un décalage de six mois, la hausse des suicides précédant celle du chômage. «Les suppressions de postes dans les entreprises peuvent créer un stress additionnel et une insécurité au travai», expliquent les auteurs. De leurs analyses, les chercheurs concluent que le fait d'être au chômage augmente le risque de se suicider de 20% à 30% dans l'ensemble des pays observés.
voir graphique le figaro http://www.lefigaro.fr/emploi/2015/02/11/09005-20150211ARTFIG00342-45000-suicides-par-an-du-au-chomage-dans-une-soixantaine-de-pays.php

Mais une augmentation du chômage n'a pas le même effet sur tous ni partout. Les plus de 65 ans ne sont pas moins impactés que les plus jeunes, et les hommes ne se suicident pas plus que les femmes (d'autres études ont cependant constaté que les hommes étaient plus impactés). En revanche, l'étude pointe du doigt un effet paradoxal: plus le taux de chômage est initialement faible, plus son augmentation a un impact fort. Un taux de chômage passant de 3% à 6% provoque ainsi une hausse du nombre de suicides de 6,1%, alors qu'un taux de chômage passant de 12% à 15% n'augmente le nombre de suicide «que» de 2%. «Dans les pays où le chômage n'est pas commun, une brusque hausse du taux de chômage peut provoquer plus de peur et d'insécurité que dans les pays où le taux de chômage est plus élevé», expliquent les chercheurs suisses.

Une étude de l'Inserm, publiée en janvier, avait dressé un constat similaire pour la France. Plus de 600 suicides y ont été provoqués par la crise économique entre 2008 et 2010, selon cette étude. D'autres recherches internationales ont observé le même phénomène dans plusieurs pays du sud de l'Europe, fortement touchés par la crise, comme l'Espagne, la Grèce et le Portugal. Auteur du Traumatisme du chômage, le médecin Michel Debout rappelle que le fait d'être au chômage constitue une épreuve traumatisante pour les individus, victimes d'une forme de «mort sociale». «Le risque dépressif est plus fort que pour une personne qui a un travail. Certaines personnes, du fait de leur expérience personnelle, des proches qui les entourent, de leur situation matérielle, sont moins fragiles que d'autres. Mais c'est une épreuve pour tous les chômeurs», explique-t-il.