lundi 7 novembre 2022

TEMOIGNAGE "Quand tu es en dépression, savoir qu’il y a des mains tendues, ça fait un bien fou" Le témoignage poignant d’une ado azuréenne

"Quand tu es en dépression, savoir qu’il y a des mains tendues, ça fait un bien fou" Le témoignage poignant d’une ado azuréenne

En France, un quart des 16-24 ans se déclarent malheureux, selon une récente enquête Opinion way pour le Psychodon. Plus préoccupant, 24 % des jeunes de cette tranche d’âge disent avoir des pensées suicidaires. Derrière ces données se cache une forêt de réalités différentes, intimes. Dont celle de Lola, 16 ans. Depuis deux ans, cette adolescente azuréenne est en proie à la dépression, aux conduites suicidaires, à des troubles alimentaires. Avec sa mère, Maud, elle a choisi de mettre des mots sur ce qu’elle traverse et de les partager. Ensemble, elles aimeraient briser le tabou de la santé mentale, apaiser celles et ceux que ce mal-être isole, mais aussi chercher des solutions.

Aurélie Selvi - aselvi@nicematin.fr Publié le 06/11/2022https://www.varmatin.com*
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Une jeune azuréenne de 16 ans raconte le douloureux chemin pour sortir de la dépression. Aurélie Selvi

Elles sont assises côte-à-côte dans le salon familial, décoré aux couleurs d’Halloween. Lola, 16 ans, sweat shirt large, longs cheveux bruns ondulés, visage angélique, regard doux et perçant à la fois. Maud, la quarantaine, sourire franc, affable, robe printanière pour un après-midi d’automne version été indien.

"Aujourd’hui, on est sur un gros coup de mou. Parce que je pense à la rentrée de lundi. Et rien que de m’imaginer devant le lycée, je ne peux pas", glisse Lola, élève de première, qui fêtait il y a deux soirs Halloween avec ses copines et profitait alors d’une parenthèse de légèreté.

Ces montagnes russes émotionnelles, voilà deux ans que la jeune fille, frappée par la dépression avec trouble du comportement alimentaire et conduite suicidaire, cohabite avec. Sous le regard de sa mère, elle tient à expliquer, retracer. Sans néanmoins trop s’exposer. Pour cette raison, son prénom et celui de sa mère ont été changés.


L’élément déclencheur

"J’ai toujours été anxieuse. Petite, j’avais des TOC, peur des catastrophes, peur que quelqu’un meurt… La dépression, c’est depuis 2 ans à peu près. Tout a commencé quand on m’a détecté un zona, une maladie chronique très douloureuse. Le médecin m’a d’abord dit que ça passerait en une semaine. Puis le délai s’est allongé", explique la jeune fille.

Peu de temps après ce diagnostic, Lola commence à noter dans son téléphone "des petits trucs" qu’elle ressent et qui lui semblent inhabituels: "épuisement", "flemme et procrastination", "moins faim", "peur d’être seule", "perte de concentration", "se mordre les lèvres" ou encore "peur d’embêter tout le monde quand j’ai besoin d’aide"...

Jusqu’alors très active, passionnée par la gym, investie dans la protection de l’environnement, intéressée par le développement personnel, Lola commence à se recroqueviller. Elle explique: 

"Je me suis rendue compte qu’il y avait un problème quand j’ai commencé à ne plus avoir d’espoir que ça puisse aller mieux"

Trois mois après le diagnostic de sa maladie chronique, des idées suicidaires s’invitent dans sa tête, sans pour autant la surprendre. Sa "première TS" (tentative de suicide), la jeune fille confie la faire "uniquement pour que la douleur s’arrête, pas dans une envie déterminée d’arrêter de vivre". Lola en fera plusieurs, en secret, sans rien en dire à sa famille "par peur de les inquiéter". Ce sont des amies à qui elle se confie qui iront voir la CPE du collège. Puis viendront les hospitalisations, plus ou moins longues, en hôpital pédiatrique…

Une réalité "difficile à comprendre"

C’est au cours de l’une de ces hospitalisations en urgence que les mots sont posés par les soignants: "dépression", "TCA" (troubles des conduites alimentaires). "L’entendre de la bouche des médecins m’a fait quelque chose", se remémore Maud, la mère de Lola, qui fait face à une réalité qu’elle cherche toujours à comprendre, sans jamais nier le mal-être de sa fille.

"La dépression, personne dans mon entourage n’en avait souffert. De la voir perdre sa joie de vivre, plus envie de lire, plus envie de rien, je n’ai pas compris", Maud, mère de Lola 

"Ce qui est difficile, c’est justement d’accepter de ne pas comprendre. Le plus dur, ce sont les idées suicidaires, la peur qu’elle passe à l’acte, la peur de la perdre", ajoute la maman, gorge serrée.

"La dépression, ça met tout de côté. Les passions d’avant, c’est pas que tu ne les aimes plus mais elles ne déclenchent plus la flamme en toi. Tu deviens neutre, comme indifférent à tout ça", explique l’adolescente.

Peu à peu, Lola et Maud acceptent une réalité: celle des méandres de la maladie mentale. "On parle ici d’alchimie du cerveau, pas d’une jambe cassée à réparer", note la mère, qui reste convaincue que sa fille va s’en sortir. Tous ces moments passés auprès d’elle à l’hôpital, pour des séjours plus ou moins longs, ont aussi ouvert Maud à des questionnements sur la prise en charge de la santé mentale des jeunes.

"Créer une vraie parenthèse de quiétude"

"De manière générale, je trouve que la réponse donnée aujourd’hui par les institutions à ce mal-être est essentiellement médicamenteuse. OK mais cela ne peut pas être que ça, pointe Maud. Dans un monde idéal, je pense que ces jeunes devraient être pris en charge dans un lieu totalement neutre, qui ne ressemble pas à une chambre d’hôpital, qui s’apparente à une vraie parenthèse et leur permette de faire une vraie pause. Quand je vois les copines qu’a rencontrées Lola à l’hôpital qui mentent à leur psy, qui s’ennuient toute la journée dans un lit, je me dis que ces jeunes en souffrance ont besoin plus que tout d’être écoutés, entendus, de vider leur sac dans un lieu de quiétude qui les protège", plaide cette mère de famille, qui précise "partager un ressenti de maman" sans aucune envie de tirer à boulet rouge sur le lieu où sa fille est suivie.

 De ces passages à l’hôpital, Lola retient surtout ces rencontres "qui font du bien" avec des enfants de son âge qui traversent la même réalité.

"Dans la maladie, tu te sens vraiment seule, c’est même l’un des principaux symptômes", Lola, 16 ans

Le plus important à ses yeux: se savoir entourée: "Quand tu es en dépression, savoir qu’il y a des mains tendues, même si tu ne les prends pas, ça fait un bien fou".

"La dépression, ça met tout de côté", Lola (le prénom a été changé), 16 ans. Aurélie Selvi.

Briser le tabou de la santé mentale des jeunes

Au-delà de son cas personnel, Lola constate aussi que l’anxiété est très présente dans la vie de ses copines et porte un regard lucide sur sa génération.

"Ce qui nous stresse le plus? Les cours, toujours les cours. Personnellement, je me suis mis la pression dès le collège, même si j’ai toujours eu de bons résultats. On sent qu’on entre dans la cour des grands, qu’il faut assurer. Puis au lycée, tu dois choisir tes spécialités, ton orientation avec Parcours sup… C’est beaucoup", glisse-t-elle.

Dans son entourage, d’autres camarades sont concernés par la dépression. Toujours sur le fil, Lola confie, quant à elle, ne pas perdre espoir.

"A un moment, ça ira mieux. Il faut être patient, c’est bateau, mais c’est vraiment ça. D’ici là, j’essaie maintenant juste de m’appliquer une chose : ne jamais prendre de décision quand ça va mal mais en parler", Lola, 16 ans

En témoignant aujourd’hui, la jeune fille et sa mère tiennent surtout à envoyer un message aux jeunes touchés comme aux personnes qui les entourent: "la dépression, ce n’est pas une honte mais une vraie maladie, complexe et difficile à vivre! Il faut l'accepter, en parler, y compris quand on est l’aidant", lance la mère.

Lola rebondit:  "et cette maladie ne nous définit pas! Si y a bien un truc qui m’énerve, c’est qu’on dise que je suis dépressive. Non, je souffre de dépression mais je ne suis pas que ça, je suis plein d’autres choses". Assise à ses côtés, Maud renchérit: "tu es une sœur, une cousine, une amie sur qui on peut compter, une bonne élève..." "La maman de 6 poissons et d’un hamster", rigole Lola. "Une gymnaste, une personne engagée… Tu es Lola", conclut sa mère.

https://www.varmatin.com/psycho/quand-tu-es-en-depression-savoir-quil-y-a-des-mains-tendues-ca-fait-un-bien-fou-le-temoignage-poignant-dune-ado-azureenne-805425
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