TEMOIGNAGE "Quand tu es en dépression, savoir qu’il y a des mains tendues, ça fait un bien fou" Le témoignage poignant d’une ado azuréenne
"Quand tu es en dépression, savoir qu’il y a des mains tendues, ça fait un bien fou" Le témoignage poignant d’une ado azuréenne
En France, un quart des 16-24 ans se
déclarent malheureux, selon une récente enquête Opinion way pour le
Psychodon. Plus préoccupant, 24 % des jeunes de cette tranche d’âge
disent avoir des pensées suicidaires. Derrière ces données se cache une
forêt de réalités différentes, intimes. Dont celle de Lola, 16 ans.
Depuis deux ans, cette adolescente azuréenne est en proie à la
dépression, aux conduites suicidaires, à des troubles alimentaires. Avec
sa mère, Maud, elle a choisi de mettre des mots sur ce qu’elle traverse
et de les partager. Ensemble, elles aimeraient briser le tabou de la
santé mentale, apaiser celles et ceux que ce mal-être isole, mais aussi
chercher des solutions.
Aurélie Selvi - aselvi@nicematin.frPublié le 06/11/2022https://www.varmatin.com*
recit
Elles sont assises côte-à-côte dans le salon familial, décoré
aux couleurs d’Halloween. Lola, 16 ans, sweat shirt large, longs
cheveux bruns ondulés, visage angélique, regard doux et perçant à la
fois. Maud, la quarantaine, sourire franc, affable, robe printanière
pour un après-midi d’automne version été indien.
"Aujourd’hui, on est sur un gros coup de mou. Parce que je pense à
la rentrée de lundi. Et rien que de m’imaginer devant le lycée, je ne
peux pas", glisse Lola, élève de première, qui fêtait il y a deux
soirs Halloween avec ses copines et profitait alors d’une parenthèse de
légèreté.
Ces montagnes russes émotionnelles, voilà deux ans que la jeune
fille, frappée par la dépression avec trouble du comportement
alimentaire et conduite suicidaire, cohabite avec. Sous le regard de sa
mère, elle tient à expliquer, retracer. Sans néanmoins trop s’exposer.
Pour cette raison, son prénom et celui de sa mère ont été changés.
L’élément déclencheur
"J’ai toujours été anxieuse. Petite, j’avais des TOC, peur des
catastrophes, peur que quelqu’un meurt… La dépression, c’est depuis 2
ans à peu près. Tout a commencé quand on m’a détecté un zona, une
maladie chronique très douloureuse. Le médecin m’a d’abord dit que ça
passerait en une semaine. Puis le délai s’est allongé", explique la jeune fille.
Peu de temps après ce diagnostic, Lola commence à noter dans son téléphone "des petits trucs" qu’elle ressent et qui lui semblent inhabituels: "épuisement", "flemme et procrastination", "moins faim", "peur d’être seule", "perte de concentration", "se mordre les lèvres" ou encore "peur d’embêter tout le monde quand j’ai besoin d’aide"...
Jusqu’alors très active, passionnée par la gym, investie dans la
protection de l’environnement, intéressée par le développement
personnel, Lola commence à se recroqueviller. Elle explique:
"Je me suis rendue compte qu’il y avait un problème quand j’ai commencé à ne plus avoir d’espoir que ça puisse aller mieux"
Trois mois après le diagnostic de sa maladie chronique, des idées
suicidaires s’invitent dans sa tête, sans pour autant la surprendre. Sa "première TS" (tentative de suicide), la jeune fille confie la faire "uniquement pour que la douleur s’arrête, pas dans une envie déterminée d’arrêter de vivre". Lola en fera plusieurs, en secret, sans rien en dire à sa famille "par peur de les inquiéter".
Ce sont des amies à qui elle se confie qui iront voir la CPE du
collège. Puis viendront les hospitalisations, plus ou moins longues, en
hôpital pédiatrique…
Une réalité "difficile à comprendre"
C’est au cours de l’une de ces hospitalisations en urgence que les mots sont posés par les soignants: "dépression", "TCA" (troubles des conduites alimentaires). "L’entendre de la bouche des médecins m’a fait quelque chose",
se remémore Maud, la mère de Lola, qui fait face à une réalité qu’elle
cherche toujours à comprendre, sans jamais nier le mal-être de sa fille.
"La
dépression, personne dans mon entourage n’en avait souffert. De la voir
perdre sa joie de vivre, plus envie de lire, plus envie de rien, je
n’ai pas compris", Maud, mère de Lola
"Ce qui est difficile, c’est justement d’accepter de ne pas
comprendre. Le plus dur, ce sont les idées suicidaires, la peur qu’elle
passe à l’acte, la peur de la perdre", ajoute la maman, gorge serrée.
"La dépression, ça met tout de côté. Les passions d’avant, c’est
pas que tu ne les aimes plus mais elles ne déclenchent plus la flamme en
toi. Tu deviens neutre, comme indifférent à tout ça", explique l’adolescente.
Peu à peu, Lola et Maud acceptent une réalité: celle des méandres de la maladie mentale. "On parle ici d’alchimie du cerveau, pas d’une jambe cassée à réparer",
note la mère, qui reste convaincue que sa fille va s’en sortir. Tous
ces moments passés auprès d’elle à l’hôpital, pour des séjours plus ou
moins longs, ont aussi ouvert Maud à des questionnements sur la prise en
charge de la santé mentale des jeunes.
"Créer une vraie parenthèse de quiétude"
"De manière générale, je trouve que la réponse donnée aujourd’hui
par les institutions à ce mal-être est essentiellement médicamenteuse.
OK mais cela ne peut pas être que ça, pointe Maud. Dans un
monde idéal, je pense que ces jeunes devraient être pris en charge dans
un lieu totalement neutre, qui ne ressemble pas à une chambre d’hôpital,
qui s’apparente à une vraie parenthèse et leur permette de faire une
vraie pause. Quand je vois les copines qu’a rencontrées Lola à l’hôpital
qui mentent à leur psy, qui s’ennuient toute la journée dans un lit, je
me dis que ces jeunes en souffrance ont besoin plus que tout d’être
écoutés, entendus, de vider leur sac dans un lieu de quiétude qui les
protège", plaide cette mère de famille, qui précise "partager un ressenti de maman" sans aucune envie de tirer à boulet rouge sur le lieu où sa fille est suivie.
De ces passages à l’hôpital, Lola retient surtout ces rencontres "qui font du bien" avec des enfants de son âge qui traversent la même réalité.
"Dans la maladie, tu te sens vraiment seule, c’est même l’un des principaux symptômes", Lola, 16 ans
Le plus important à ses yeux: se savoir entourée: "Quand tu es en dépression, savoir qu’il y a des mains tendues, même si tu ne les prends pas, ça fait un bien fou".
Briser le tabou de la santé mentale des jeunes
Au-delà de son cas personnel, Lola constate aussi que l’anxiété est
très présente dans la vie de ses copines et porte un regard lucide sur
sa génération.
"Ce qui nous stresse le plus? Les cours, toujours les cours.
Personnellement, je me suis mis la pression dès le collège, même si j’ai
toujours eu de bons résultats. On sent qu’on entre dans la cour des
grands, qu’il faut assurer. Puis au lycée, tu dois choisir tes
spécialités, ton orientation avec Parcours sup… C’est beaucoup", glisse-t-elle.
Dans son entourage, d’autres camarades sont concernés par la
dépression. Toujours sur le fil, Lola confie, quant à elle, ne pas
perdre espoir.
"A
un moment, ça ira mieux. Il faut être patient, c’est bateau, mais c’est
vraiment ça. D’ici là, j’essaie maintenant juste de m’appliquer une
chose : ne jamais prendre de décision quand ça va mal mais en parler",
Lola, 16 ans
En témoignant aujourd’hui, la jeune fille et sa mère tiennent surtout
à envoyer un message aux jeunes touchés comme aux personnes qui les
entourent: "la dépression, ce n’est pas une honte mais une vraie
maladie, complexe et difficile à vivre! Il faut l'accepter, en parler, y
compris quand on est l’aidant", lance la mère.
Lola rebondit: "et cette maladie ne nous définit pas! Si y a
bien un truc qui m’énerve, c’est qu’on dise que je suis dépressive. Non,
je souffre de dépression mais je ne suis pas que ça, je suis plein
d’autres choses". Assise à ses côtés, Maud renchérit: "tu es une sœur, une cousine, une amie sur qui on peut compter, une bonne élève..." "La maman de 6 poissons et d’un hamster", rigole Lola. "Une gymnaste, une personne engagée… Tu es Lola", conclut sa mère.