STIGMAPRO : pour des pratiques en santé mentale moins stigmatisantes
Publié le 15 novembre 2022 https://www.santementale.fr/*
Dans sa dernière newsletter du mois de novembre 2022, le Groupement de coopération sanitaire (GCS) pour la recherche et la formation en santé mentale propose une interview de Kévin-Marc Valéry, Docteur en psychologie, neuropsychologue, enseignant chercheur à l’université de Bordeaux et coordinateur du projet de recherche STIGMAPRO qui interroge la stigmatisation dans les pratiques professionnelles en santé mentale.
Kévin-Marc Valéry présente STIGMAPRO :
STIGMAPRO est un programme de recherche sur la stigmatisation dans les pratiques professionnelles en santé mentale. A ma connaissance, c’est le seul programme de ce type en France. Il a été initié par l’Université de Bordeaux et le Centre hospitalier de Jonzac, grâce au soutien financier de l’ARS Nouvelle Aquitaine. Son objectif est de créer une intervention visant à réduire la stigmatisation dans les pratiques des professionnels de la santé mentale. Je parle bien des pratiques, car nous ne considérons bien sûr pas les professionnels comme fondamentalement stigmatisants. Par contre, il existe des pratiques plus stigmatisantes que d’autres. Les contacts auprès des professionnels de santé mentale et les situations dans les services sont identifiées dans la littérature comme la plus grande source de stigmatisation selon les personnes qui ont un diagnostic de schizophrénie et leurs familles*. C’est une plus grande source de stigmatisation que la stigmatisation dans l’emploi ou les médias par exemple. C’est pourquoi nous avons décidé de travailler sur ce sujet. Ce programme, sur trois ans, s’inscrit dans une démarche d’evidence-based practice (i.e. pratique basée sur les preuves). Cela signifie qu’il s’appuie sur des savoirs scientifiques, sur l’expertise des professionnels et sur l’expérience des personnes le plus directement concernées. Pour garantir cela, STIGMAPRO est dirigé par un comité scientifique qui comprend des chercheurs de différentes disciplines (psychologie clinique, neuropsychologie, psychiatrie, psychologie sociale, santé publique, économie de la santé), des professionnels de santé mentale (psychologues, psychiatres, ergothérapeutes, médiateurs de santé pairs, cadres infirmiers, directeurs institutionnels), des représentants des usagers (Club House de Bordeaux, Luc Vigneau…) et de leurs familles (UNAFAM), des acteurs de la lutte contre la stigmatisation (CCOMS, Psycom) et des décideurs institutionnels (ARS, directeur du CH de Jonzac). STIGMAPRO comporte également un volet sur les solutions, donc sur les pratiques pouvant être recommandées pour être moins stigmatisant.
La suite de cette interview est à lire ici • A lire aussi dans la revue Santé mentale N° 269 – Juin 2022 « Les soignants, source de stigmatisation ? »
Kévin-Marc VALERY
Enseignant Chercheur Temporaire à l'Université de Bordeaux. Psychologue Clinicien, Neuropsychologue, Docteur en Psychologie. Coordinateur du projet de recherche STIGMAPRO.
STIGMAPRO : des pistes pour des pratiques en santé mentale moins stigmatisantes
Pouvez-vous nous présenter STIGMAPRO ?
STIGMAPRO est un programme de recherche sur la stigmatisation dans les pratiques professionnelles en santé mentale. A ma connaissance, c’est le seul programme de ce type en France. Il a été initié par l’Université de Bordeaux et le Centre hospitalier de Jonzac, grâce au soutien financier de l’ARS Nouvelle Aquitaine. Son objectif est de créer une intervention visant à réduire la stigmatisation dans les pratiques des professionnels de la santé mentale. Je parle bien des pratiques, car nous ne considérons bien sûr pas les professionnels comme fondamentalement stigmatisants. Par contre, il existe des pratiques plus stigmatisantes que d’autres. Les contacts auprès des professionnels de santé mentale et les situations dans les services sont identifiées dans la littérature comme la plus grande source de stigmatisation selon les personnes qui ont un diagnostic de schizophrénie et leurs familles*. C’est une plus grande source de stigmatisation que la stigmatisation dans l’emploi ou les médias par exemple. C’est pourquoi nous avons décidé de travailler sur ce sujet.
Ce programme, sur trois ans, s’inscrit dans une démarche d’evidence-based practice (i.e. pratique basée sur les preuves). Cela signifie qu’il s’appuie sur des savoirs scientifiques, sur l’expertise des professionnels et sur l’expérience des personnes le plus directement concernées. Pour garantir cela, STIGMAPRO est dirigé par un comité scientifique qui comprend des chercheurs de différentes disciplines (psychologie clinique, neuropsychologie, psychiatrie, psychologie sociale, santé publique, économie de la santé), des professionnels de santé mentale (psychologues, psychiatres, ergothérapeutes, médiateurs de santé pairs, cadres infirmiers, directeurs institutionnels), des représentants des usagers (Club House de Bordeaux, Luc Vigneau…) et de leurs familles (UNAFAM), des acteurs de la lutte contre la stigmatisation (CCOMS, Psycom) et des décideurs institutionnels (ARS, directeur du CH de Jonzac). STIGMAPRO comporte également un volet sur les solutions, donc sur les pratiques pouvant être recommandées pour être moins stigmatisant.
Où en êtes-vous des différentes phases de ce travail ?
Nous avons commencé avec une revue de littérature internationale. Puis, nous avons fait une enquête qui visait à mesurer la stigmatisation chez les professionnels et à identifier les facteurs associés à une diminution de cette stigmatisation. Ses résultats viennent d’être publiés**. Nous venons de pré-tester l’intervention STIGMAPRO, créée par notre conseil scientifique, sur la base des leviers identifiés contre la stigmatisation. Elle prend la forme d’ateliers pour les professionnels, en présence de familles et d’usagers. Nous étudions désormais les résultats de cette étude pilote afin d’évaluer si elle est viable et de lui donner une forme définitive, normalement début 2023. Nous mènerons ensuite un essai contrôlé pour évaluer son efficacité. Nous recherchons actuellement des financements pour lancer cette dernière phase avant le possible déploiement de cette intervention, afin de terminer le programme STIGMAPRO et de potentiellement proposer cette intervention à des services.
Quels facteurs associés à moins de stigmatisation dans les pratiques en santé mentale avez-vous identifiés ?
Le premier point est de concevoir le handicap psychique comme un continuum et non comme une catégorie, telle qu’elles sont définies dans les classifications des maladies. Les classifications aident à comprendre, mais ne correspondent pas à la réalité des maladies psychiques. La notion de continuum est plus proche de cette réalité des processus psychologiques. Ce que nous apprend STIGMAPRO, c’est que plus le professionnel a une vision catégorielle, plus il porte de stigmatisation dans sa pratique. Ce qui n’est pas étonnant puisqu’il s’agit de coller une étiquette puis de faire des généralités sur la personne. L’important est d’en être conscient et de pouvoir sensibiliser les professionnels à une certaine flexibilité par rapport à ces concepts. Stigmatiser, c’est réduire la personne a une seule de ses facettes, à un seul de ses attributs discréditants, en oubliant tous ses autres traits identitaires et en la réduisant, par exemple, à un diagnostic. Et de faire des généralités abusives. Le fait que des personnes, parce qu’elles ont un diagnostic de schizophrénie, soient moins invitées à participer à leurs soins que les personnes ayant d’autres diagnostics, comme nous l’indique la littérature internationale, c’est de la stigmatisation.
Un second facteur associé à une diminution de la stigmatisation est de percevoir les similitudes entre soi et les personnes accompagnées. C’est très en lien avec la notion de continuum : si je considère que la personne est très différente de moi, parce qu’elle a été rangée dans telle catégorie, qu’elle a une certaine chimie de cerveaux, etc., je vais être moins enclin à considérer que nous ne sommes au fond, pas si différents. Découvrir ces similitudes peut passer par le dévoilement de soi lors de l’entretien clinique, c’est à dire s’ouvrir pour partager une difficulté commune et les stratégies mises en place pour y faire face. L’intervision entre professionnels, le partage d’expérience sur la manière de susciter cet échange sur les similitudes, peut aider à y parvenir. La littérature montre ainsi que la neutralité est bien moins efficace dans la relation thérapeutique. Elle montre aussi que le dévoilement de soi doit respecter certaines règles et bien sûr ne pas tomber dans le travers qui consiste à centrer le propos sur l’accompagnant et pas sur l’accompagné.
Un troisième facteur porte sur le sentiment d’utilité dans son travail : les professionnels qui déclarent moins de stigmatisation déclarent également se sentir plus utiles. Là encore, la littérature nous montre que les professionnels qui stigmatisent se sentent moins bien dans leur travail et éprouvent moins le sentiment d’accomplissement et de bien-être au travail. L’organisation du service joue ici un rôle important, car elle peut pousser n’importe quel soignant à être stigmatisant, même sans le vouloir.
Un quatrième facteur associé à une moindre stigmatisation est d’utiliser des pratiques orientées-rétablissement.
*Subjective experiences of stigma. A focus group study of schizophrenic patients, their relatives and mental health professionals. Social Science & Medicine (2003)
Stigma and mental health professionals: a review of the evidence on an intricate relationship, International Review of Psychiatry (2007)
**Part of the solution yet part of the problem: factors of schizophrenia stigma in mental health professionals - International Journal of Psychiatry in Clinical Practice, octobre 2022