lundi 7 juin 2021

Une étude menée par la Mutuelle générale de la police sur le bien-être des policiers au travail

24 % des policiers se disent confrontés à des pensées suicidaires
Antoine Albertini  Le Monde (site web)
societe, lundi 7 juin 202

Une étude menée par la Mutuelle générale de la police souligne le lien avec une mauvaise ambiance au travail.

La question est brûlante, objet de décomptes macabres et de débats statistiques sans fin. Les policiers se suicident-ils davantage que le reste de la population ? Et si oui, pour quelles raisons ? « En vingt-cinq ans, 1 100 fonctionnaires de police se sont donné la mort, soit 44 personnes chaque année en moyenne, l’équivalent d’une importante direction départementale de la sécurité publique rayée de la carte en une génération », selon Benoît Briatte, le président de la Mutuelle générale de la police.

Au sein de cet organisme d’assurance complémentaire santé « maison », véritable institution au sein de l’institution, le problème a été jugé suffisamment inquiétant pour mener une étude détaillée sur le bien-être des policiers au travail.

L’enquête, dont la réalisation technique a été confiée au cabinet YCE Partners, a été effectuée entre le 17 février et le 25 mars. Un comité scientifique composé de médecins et de scientifiques reconnus pour leur expertise en la matière a été désigné. Au total, 6 246 fonctionnaires y ont répondu, essentiellement des hommes (67 %) de plus de 45 ans (59 %), comptabilisant plus de vingt ans d’ancienneté (58 %) et en couple (69 %), soit une photographie représentative du policier moyen.

Les résultats, interprétés et retraités à l’aide de grilles d’analyse statistique, confirment un profond malaise dont la mesure est donnée par un chiffre : 24 % des répondants expliquent avoir eu des pensées suicidaires ou entendu leurs collègues évoquer des pensées suicidaires au cours des douze derniers mois. C’est, d’après les données collectées dans un bulletin épidémiologique de Santé publique France en 2019, 6,3 fois plus que les actifs occupés.

« Non-reconnaissance du travail effectué »

Davantage que les conditions d’exercice du métier de policier ou des variables telles que le niveau de revenus, l’ambiance au travail apparaît comme un facteur déterminant dans l’éclosion des pensées suicidaires. Ainsi, 46 % des fonctionnaires estimant que cette ambiance est dégradée sont confrontés à de tels sentiments, quand ils ne concernent que 32 % des policiers disant vivre des tensions avec le public. « Cette question de l’atmosphère de travail dans la police constitue le facteur le plus structurant, explique Antoine Caullet, du cabinet YCE Partners. Les relations avec les supérieurs et les collègues, la non-reconnaissance du travail effectué ou le sentiment de ne plus rien apprendre de nouveau influent le plus fortement sur les pensées suicidaires. »

16 % des 30-34 ans se considèrent en état de détresse mentale « importante », soit 5 points de plus que les 50-54 ans

Si 39 % des répondants estiment se trouver dans un état de détresse mentale, ce pourcentage reste en revanche inférieur à celui constaté dans la population générale (45 % des actifs). Les jeunes sont plus touchés : 16 % des 30-34 ans se considèrent ainsi en état de détresse mentale « importante », soit 5 points de plus que les 50-54 ans et plus du double de celui constaté chez les 60-64 ans (7 %). C’est pourquoi, selon M. Briatte, « l’effort de prévention doit avant tout porter sur les plus jeunes, qui entrent parfois en école sans avoir une idée des difficultés qu’ils vont rencontrer tout au long de leur parcours professionnel ».

Des études réalisées de longue date démontrent qu’un ensemble de facteurs sociaux affecte particulièrement les policiers relevant de cette classe d’âge : outre un pic d’usure professionnelle, la survenue de ruptures affectives statistiquement plus nombreuses à cette période de la vie, les effets d’une situation de surendettement souvent liée à l’achat d’un bien immobilier – phénomène fréquent pour l’ensemble des fonctionnaires – ou la fréquence des fautes professionnelles contribuent à en expliquer les causes au moins autant que l’ambiance au travail.

« Un système global »

Si un rapport d’enquête sénatoriale sur l’état des forces de sécurité intérieures publié en 2018 évoquait, à propos des suicides, un taux de passage à l’acte largement supérieur dans la police (25 pour 100 000) que dans la population française (de l’ordre de 14 sur 100 000), plusieurs éléments tendent toutefois à tempérer ce nombre élevé de pensées et d’actes suicidaires chez les policiers, par rapport au reste de la population.

D’abord, la surreprésentation des hommes, tant parmi les répondants à l’enquête de la Mutuelle générale de la police qu’au sein des effectifs de la police nationale. « Cette catégorie est davantage touchée par le suicide de manière générale, estime Gaëlle Encrenaz, chercheuse en épidémiologie au CNRS et auteure, en 2010, d’une étude sur le sujet qui fait encore référence. En outre, l’accès à un moyen létal, en l’occurrence la possession d’une arme à feu de service, favorise le passage à l’acte. »

Reste ce constat : « Longtemps, la question du suicide a constitué un véritable tabou pour le ministère de l’intérieur, affirme encore Benoît Briatte, ce qui a retardé sa prise en charge efficace. » Il a fallu un pic de 70 cas en 1996 pour que, la même année, soit créé le service de soutien psychologique opérationnel de la police. Depuis, les annonces se succèdent sans que le problème puisse trouver une solution durable. En 2015, Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’intérieur, lançait ainsi un plan de prévention, le premier du genre. Quatre ans plus tard, Christophe Castaner annonçait à son tour la création d’une « cellule de vigilance », avant d’admettre, en juin 2020, que les causes du suicide dans la police relevaient « d’un système global ».

Dans un contexte de fortes tensions avec les syndicats de policiers, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a voulu démontrer que la question était prise au sérieux par son administration. Aussi, le thème du suicide a-t-il fait l’objet d’une réunion du Beauvau de la sécurité le 31 mai, un rendez-vous qui n’était pas prévu à l’agenda initial des rencontres.

Nombreux dispositifs

A la différence des précédents ateliers, cette rencontre impromptue n’a pas été filmée en raison de la période de réserve à laquelle sont tenus les membres du gouvernement avant les scrutins régionaux des 20 et 27 juin. A la demande des organisations syndicales, elle a été enregistrée et devrait toutefois faire l’objet d’une diffusion après les élections. Trois jours avant l’organisation de cette table ronde, le directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, avait signé un protocole de travail avec Peps-SOS-Policiers en détresse, une association consacrée à l’aide des agents en difficultés psychologiques, qui revendique la prise en charge de plus de 500 appels de policiers chaque mois. Cette convention vise à faire connaître l’existence de l’association auprès des 94 psychologues du service de soutien psychologique opérationnel.

Numéro vert mis en place par le ministère, consultations, lignes d’écoute ou plate-forme ouverte par la Mutuelle générale sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, à l’ensemble des fonctionnaires, y compris aux non-adhérents de la mutuelle, de nombreux dispositifs existent désormais au bénéfice des policiers. Même s’ils garantissent l’anonymat des appels, ils restent encore peu prisés des agents, réticents à l’idée de consulter en raison du risque de se trouver désarmés, une mesure associée à leurs yeux à une stigmatisation insidieuse dans leur environnement professionnel.

Phénomène complexe et multifactoriel en soi, le suicide demeure un point aveugle de la vie de l’institution policière, pris en compte pendant des décennies sous le seul prisme des « difficultés personnelles ». Mais il continue, en dépit de toutes les politiques d’accompagnement, à rythmer le quotidien des fonctionnaires de police, au point d’excéder largement, en termes de mortalité, le nombre de décès en mission.

Le soir même de la réunion du Beauvau de la sécurité consacrée à la prévention du suicide, une policière en poste au commissariat de Cahors, âgée de 40 ans et mère de trois enfants, se donnait la mort avec son arme de service à son domicile. Une semaine auparavant, un fonctionnaire de 56 ans s’était suicidé à Rennes et, le 26 mai, un policier récemment affecté au centre régional de formation de Draveil (Essonne) avait également mis fin à ses jours. Depuis le début de l’année 2021, 16 fonctionnaires de police se sont suicidés.

https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/06/07/des-pensees-suicidaires-nombreuses-chez-les-policiers_6083172_3224.html


Les numéros pour aider les forces de l'ordre

Une ligne d'écoute est disponible pour les policiers victimes d'agressions ou de menaces. Elle est joignable au 0800 95 00 17, tous les jours, de 5 heures à 23 heures. Une cellule de soutien psychologique est par ailleurs ouverte 24h/24 au 0805 230 405.