"Near Death Experience", le suicide onirique
Un homme lassé de tout s’exile dans la montagne avec l’intention de se suicider mais, face au vide, il hésite. Il erre alors pendant plusieurs jours en pleine nature, analysant sa vie avec dureté mais aussi avec un certain détachement. Un trip radical et attachant signé par le duo Delépine et Kervern.
Introspection en pleine nature
Near Death Experience joue à fond la carte de la
contemplation : ce que Paul s'avoue à lui-même il pourrait aussi bien le
dire lors d’une séance de psychothérapie. Sauf que cet homme de 56 ans
n’a pas fait le choix de pousser la porte d’un spécialiste et va
affronter ses doutes et son mal-être avec la montagne comme seul témoin.
Confronté à la nature – forcément hostile – Paul analyse sa vie :
famille, société, travail… autant de sujets évoqués en voix off avec
lucidité et une touche de dérision. Une introspection illustrée par des
plans souvent fixes, dans lesquels il ne se passe rien ou pas
grand-chose, pour mieux évoquer l’ennui et le vide intérieur de cet
homme fatigué et concentrer l’attention sur ses paroles. Des mots,
parfois drôles, souvent très justes qui illustrent les doutes d'un
individu perdu dans son époque. Seul à l’image pendant quasiment tout le
film, Michel Houellebecq assure ; le lauréat du prix Goncourt en 2010
se donne à fond et incarne à merveille ce cinquantenaire en plein doute
métaphysique. On s’habitue assez rapidement à sa diction parfois
approximative et on se laisse entraîner par la poésie de certaines
réflexions.
Désespéré et décalé
La réflexion sur la société actuelle, souvent acerbe et omniprésente dans les films de Benoît Delépine et Gustav Kervern depuis Aaltra (2004),
est plus tangible que jamais. Plus explicite – le film est assez bavard
–, cette critique est plus virulente mais ne sombre jamais dans le
pessimisme absolu grâce à un décalage salvateur qui évite de se prendre
trop au sérieux. Le personnage le reconnait d’ailleurs lui-même quand il
se fait le reproche suivant : « Paul tu parles trop et tu ne te suicides pas assez ». L’expérience de ce « pauvre gars » comme
il se définit est touchante car elle pointe du doigt certaines
vérités : Paul est fatigué des objectifs, de la pression sociale qui le
pousse à paraitre jeune, séduisant, sportif et en bonne santé. En
décalage avec ses enfants, sa femme et la société en général, l’homme
qui est également atteint d’un cancer se sent « obsolète » mais
évoque toutefois des raisons de continuer à endurer cette vie même
imparfaite. Ce doute sur sa capacité à se suicider fait évidemment tout
le suspens du film, habilement entretenu jusqu’au dénouement qui nous
prend totalement par surprise.
Near Death Experience assume pleinement son statut contemplatif et sonne très juste. Porté par un Michel Houellebecq usé à souhait, la mélancolie de cet homme terrifié par la fin du parcours émeut, amuse et fait réfléchir. Un film-poème attachant qui a la pudeur de prendre son désespoir avec un certain recul.
> Near Death Experience, réalisé par Benoît Delépine et Gustave Kervern, France, 2013 (1h27)