Des
entreprises proposent aux Sud-Coréens d'organiser de fausses
funérailles pour leur redonner goût à la vie. Portrait funéraire,
cercueil, lettre d'adieu, tout est fait pour que le participant vive
«l'expérience de la mort».
Goûter à la mort pour mieux vivre. C'est
ce que proposent en substance des entreprises sud-coréennes depuis le
début des années 2000. Le service rendu aux clients: organiser leurs
fausses funérailles et simuler leur mort pour leur redonner goût à la
vie. Cette expérience inédite est généralement proposée par des
entreprises de pompes funèbres qui cherchent à redorer leur image. La
fausse cérémonie mortuaire peut se dérouler en plein air ou dans une
grande salle fleurie dans laquelle des rangées de cercueils en bois se
succèdent. Là, les participants se font tirer leur portrait (funéraire),
enfilent une robe traditionnelle avant de rédiger leur testament ou une
lettre d'adieu adressée à leurs proches. Une fois devant leur cercueil,
les clients lisent leurs dernières volontés à voix haute. Puis arrive
l'heure fatidique: à la lueur des bougies, les participants s'allongent
dans le cercueil qui se referme sur eux. L'expérience dure entre 5 et 10
minutes. «Quand ils ont cloué le cercueil, j'ai vraiment eu l'impression d'être morte», témoigne Baek Kyung-ah, dans le Financial Times.
«Jusqu'ici, la mort me paraissait lointaine, mais à présent, je pense
que je dois vivre une meilleure vie». D'autres, au contraire,
n'apprécient pas du tout l'expérience. «J'avais déjà peur de mourir,
mais si on ne me fait encore plus penser à la mort, ça va finir par me
faire vraiment mourir. Toute cette négativité, c'est effrayant»,
explique une participante interrogée dans l'émission L'Effet Papillon sur Canal+. «C'est
une manière de se laisser aller», raconte l'entrepreneur Jung Joon,
directeur d'une entreprise de pompes funèbres à Séoul qui facture 25
dollars la séance mortuaire. «Ensuite, vous vous sentez revigoré et vous
êtes prêt à reprendre votre vie à zéro», explique-t-il dans le Los Angeles Times.
Plus spirituel, Kim Hi Ho, dirigeant de l'Institut Happy Dying (mourir
heureux) voit davantage cette expérience comme une invitation à la
méditation. «Les participants peuvent réfléchir à leur vie et prendre
conscience que la vie est belle», dit-il au magazine Vice, en précisant que ses cercueils en bois disposent de plusieurs trous pour permettre aux «défunts» de respirer. Ce dernier assure qu'il reçoit environ 300 clients par mois. Si
on en croit leurs organisateurs, ces stages permettraient de faire de
la prévention au suicide alors que le pays enregistre le taux le plus
élevé parmi les pays de l'OCDE (33,8 pour 100. 000 personnes en 2009),
deux fois supérieur au taux français. La rapide industrialisation du
pays, les difficiles conditions de travail et la pression sociale autour
de la réussite expliquent en partie cette hausse constatée ces
dernières années, le nombre de passage à l'acte ayant doublé sur la
dernière décennie.
Améliorer la performance des entreprises
Ces enterrements factices ont déjà séduit des dizaines de milliers de Coréens, qu'ils soient étudiants, actifs ou retraités. Le Financial Times
explique même que des entreprises comme Samsung et Hyundai Motor ont
inscrit leurs salariés à ces programmes. «En ayant recours à ces stages,
les entreprises pensent pouvoir améliorer l'efficacité de leurs
employés en leur proposant quelque chose de spectaculaire et d'intense
qui leur redonnerait goût à la vie», analyse le sociologue Tanguy Châtel
interrogé par Le Figaro. Ce genre de pratiques est en fait un
outil managérial. Rien d'étonnant quand on sait qu'on est dans une
société obsédée par la performance et la réussite». Cet engouement pour ce type d'expériences rappelle le succès du salon de la mort en 2011 à Paris,
où les visiteurs pouvaient essayer leur cercueil. «Il y a toujours eu
une fascination pour la mort, explique encore Tanguy Châtel. Déjà, tout
petits, les enfants s'enterrent dans le sable à la plage. Plus grands,
certains s'amusent à aller dans les cimetières la nuit pour se faire
peur». Mais «sous le poids des technologies et de la science, on a été
invité à repousser les limites encore plus loin, au point de nier la
mortalité. Tout cela me paraît très artificiel. Ce n'est pas parce que
vous êtes allongé dans un cercueil que vous comprenez mieux la question
de la mort», soupire le spécialiste.