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La MSA a mis en place un plan national d’actions contre le suicide. Dans le Languedoc-Roussillon, entre autres, cela prend forme. Le 23 avril dernier, notamment, par une journée d’information à destination des élus organisée par l’Aromsa Languedoc Roussillon, avec l’intervention du docteur Aziz Hermès, psychiatre au CHU de Montpellier. Parlons-en.
La stratégie nationale d’actions face au suicide a comme postulat que le suicide est une cause de mortalité évitable. Encore faut-il savoir reconnaître l’état de crise suicidaire quand il se présente. C’était l’un des objectifs visés par l’intervention du docteur Hermès, qui s’est tenue devant un parterre d’élus des MSA du Languedoc et Grand Sud, le 23 avril dernier, à Narbonne (Aude).
400 suicides par an
On recense environ 400 suicides par an dans le monde agricole (données fournies par l’INVS, Institut national de veille sanitaire). C’est la catégorie professionnelle la plus exposée. Le repérage des personnes en difficulté s’affiche donc comme un enjeu sérieux de prévention. 80 % des suicidés avaient fait part de leur projet avant de passer à l’acte ! Existe-t-il des signes précurseurs ? Comment les détecter ? Comment en parler ? Que faire devant une volonté avérée de passage à l’acte ?
Première idée reçue contre laquelle s’érige le docteur Hermès : « Le suicide n’est pas un choix personnel, mais une absence de choix. La personne croit, à tort, qu’il n’y a pas d’autres solutions pour arrêter de souffrir ». Seconds lieux communs battus en brèche : parler du suicide à quelqu’un l’inciterait à le faire et ceux qui le disent ne le font pas. « Faux », rétorque le psychiatre. A contrario, « L’évaluation du potentiel suicidaire permet de déterminer le degré de perturbation de l’individu afin d’instaurer une intervention
appropriée ».
Le potentiel suicidaire
Le potentiel suicidaire peut se mesurer. Il est faible, moyen ou élevé, en fonction des facteurs de risque, d’urgence et de dangerosité (RUD). Les premiers se distinguent en trois catégories. Les facteurs de risque suicidaire primaires − comme les troubles psychiatriques, notamment l’alcoolisme et la dépression, les antécédents personnels et familiaux de conduite suicidaire, les personnalités impulsives, agressives… −, les facteurs de risque suicidaire secondaires − pertes parentales précoces, traumatismes et agressions durant l’enfance, isolement social et affectif, problèmes financiers, chômage, événements de vie négatifs sévères… −, et les facteurs de risque suicidaire tertiaires, comme le fait d’être de sexe masculin ou la sénescence. L’évaluation clinique de la probabilité de décéder dans les 48 heures mesure l’urgence suicidaire. Elle se fonde sur l’idéation suicidaire et son intensité, l’absence d’alternative autre que le suicide, le scénario suicidaire et l’imminence du passage à l’acte. L’urgence est dite faible quand le sujet pense au suicide, mais sans nourrir de scénario précis ; moyenne quand un scénario est envisagé, mais reporté ; élevée en cas de planification claire et de passage à l’acte prévu pour les jours à venir. Enfin, on évalue la dangerosité du scénario suicidaire par la létalité du moyen et l’accès direct aux moyens. Si l’accès au moyen est facile et immédiat, il faut considérer la dangerosité comme extrême et agir en conséquence. A savoir, confisquer le moyen et alerter les professionnels.
Le lien entre les idées suicidaires et la dépression est établi : près de 70 % des personnes qui décèdent par suicide souffraient d’une dépression, diagnostiquée ou non. En psychiatrie, le terme dépression se distingue de son acception dans le langage courant où il est souvent synonyme de déprime (trouble de l’adaptation). Il existe de très nombreuses formes cliniques de dépression : masquée, d’épuisement, du sujet âgé, atypique, mélancolique…
La dépression est un trouble de l’humeur permanent, non modulable par les événements extérieurs (tristesse, absence de plaisir, diminution d’intérêt ou d’énergie), et durable sur plus de deux semaines au minimum. Son retentissement fonctionnel sur la vie quotidienne s’observe sur le lieu de travail (relations humaines, rendement) et dans les grandes activités physiologiques (sommeil, appétit, sexualité, motricité).
Des indices
Parmi les attitudes qui peuvent mettre la puce à l’oreille dans l’entourage, le docteur Hermès cite quelques changements, comme l’isolement inhabituel, la tristesse, l’irritabilité, l’hygiène ou l’apparence négligée, la perte d’intérêt pour les activités habituelles, un sommeil perturbé, des modifications de l’appétit et du poids. Des propos inhabituels, tels que « Je suis écoeuré de tout », « Je ne m’en sortirai jamais » ou a fortiori « Je veux en finir », doivent alerter celui qui en est témoin.
Le docteur Aziz Hermès, psychiatre, est intervenu devant les élus de la MSA sur le thème du risque suicidaire © Sylvie Parenti |
Devant une personne dépressive, trouver les mots justes ressemble souvent à une gageure. Le psychiatre recommande d’éviter de faire la morale, de donner ses propres recettes du bonheur, de tout faire à la place, de tout prendre sur son dos, d’abandonner sans relais…
« Certaines phrases sont inutiles, précise Aziz Hermès. Remue toi ! Bouge toi ! Mais tu n’as donc aucune volonté, fais quelque chose au lieu de rester planté là ! Va donc travailler, ça te changera les idées au lieu de ne rien faire ! Si tu voulais, tu pourrais ! » Pour une prévention efficace, il est nettement conseillé 1- D’accueillir, d’écouter avec empathie les propos inquiétants, les confidences 2- D’amener aux soins ou d’accompagner vers un dispositif de prise en charge 3- De s’assurer de l’effectivité de la prise en charge.
Il est donc bon d’intervenir dès le moindre doute, de parler ouvertement, de ne pas hésiter à demander si la personne pense au suicide, d’essayer de savoir si son acte est planifié, de l’encourager à exprimer ses émotions, à parler, à appeler un service d’aide par téléphone, de lui offrir son aide. Enfin, la personne qui recueille ces propos ne doit pas rester pas seule avec cette situation. Son rôle : demander l’aide d’un professionnel.
En la matière, le docteur Aziz Hermès souligne l’importance de la pluridisciplinarité des cellules mises en place par la MSA.
Franck Rozé
Complément de l'article :
Paroles d’élus
Geneviève Fraisse, déléguée MSA
« Jusqu’à présent, j’avais une petite connaissance de la problématique liée à la dépression et au risque suicidaire. Je bricolais plus ou moins à partir de ce que j’entendais. Aujourd’hui, avec le discours accessible et non mortifère du docteur Hermès, je sais qu’il y a toujours quelque chose à faire. On est tous concernés. Je retiendrai deux mots : écoute et empathie. Nous, élus de terrain, nous sommes des relais. Et si on ne sait pas venir en aide, on sait à qui adresser la personne en souffrance. On n’est pas tout seul ! »
Michel Fesquet, administrateur MSA « Je pensais qu’il était risqué d’aborder de front le thème du suicide avec la personne en difficulté. L’exposé d’aujourd’hui m’a permis de balayer quelques idées reçues. On ne sait jamais où la crise suicidaire commence et où elle s’arrête. Là, on appris à faire la différence. Il m’arrive personnellement de suivre des personnes en difficulté en dehors du cadre MSA, dorénavant je saurai poser les bonnes questions. »
Des actions de prévention contre le suicide
Jean-Marc Pastor, médecin chef du travail MSA du Languedoc « A la demande du conseil d’administration de l’Aromsa du Languedoc-Roussillon (1), un groupe de travail a été institué en janvier 2011, en partenariat avec l’agence régionale de santé (ARS) et la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat). Il est composé des médecins chefs du travail, des responsables des services de prévention et d’action sanitaire et sociale (ASS) de la MSA, d’un ingénieur conseil de la Carsat, d’un médecin de l’ARS et de responsables de services d’aide et d’accompagnement (S2A). Ce groupe a défini trois axes de travail : un diagnostic ; des propositions d’action ; des formations. Nous n’avons que peu de connaissances sur les risques psychosociaux dans le monde agricole et surtout chez les non salariés. En collaboration avec le CHU de Nîmes, nous avons donc lancé une enquête validée, à valeur scientifique. Nous avons adressé de façon aléatoire 5 000 questionnaires HAD et de Karasek (2) − auprès de 2 500 salariés agricoles et de 2 500 non salariés agricoles − sur les cinq départements en respectant leur poids relatif. Les résultats, attendus pour septembre, permettront de cibler nos actions à venir (filières en souffrance, tranches d’âge, répartition hommes/femmes, salariés/non salariés…). Mais on a également lancé un prédiagnostic rapide. Les services de prévention et d’ASS ont effectué un travail de terrain : 320 questionnaires ont été analysés. Ils n’ont pas de valeur scientifique mais ils permettent d’orienter les premières actions. Par ailleurs, un dispositif national d’écoute (numéro cristal) est en passe de voir le jour. Des cellules pluridisciplinaires vont être mises en place. Elles seront composées de médecins du travail et de médecins conseils, d’assistants sociaux, de conseillers en prévention et de psychologues ou de psychiatres. En septembre, nous communiquerons vers les OPA membres du réseau de veille et de signalement. »
(1) L’Aromsa (association régionale des organismes de MSA) du Languedoc-Roussillon regroupe les MSA du Languedoc et Grand Sud.
(2) Les questionnaires HAD (« hospital anxiety and depression scale ») et de Karasek évaluent l’anxiété, la dépression et le stress au travail.
Marie-Catherine Apollis, animatrice de l’échelon local MSA du Languedoc « Je suis venue accompagner un groupe de douze élus de l’Hérault. Cette journée d’information fait écho à Agir ensemble, le dispositif d’accompagnement social et économique des viticulteurs. La restitution va être immédiate puisque nous organisons bientôt des journées portes ouvertes à la caisse MSA de Montpellier et que l’un des ateliers portera sur les risques psychosociaux. Dans le Languedoc-Roussillon, tous les travailleurs sociaux ont été formés sur le thème de la prévention du suicide par le docteur Hermès. Un des objectifs de la cellule pluridisciplinaire qui se met en place, c’est de mener un travail approfondi avec les élus auprès des entreprises et dans le secteur périurbain notamment. Personnellement, j’ai trouvé cette journée très dynamique et accessible. Il est important que les élus se mobilisent sur cette thématique. Aujourd’hui, les cinq comités départementaux étaient présents. »
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