Suicide des enfants: "Aspirés trop vite vers le monde des ados" - Express du 5/05/2012 http://www.lexpress.fr/actualite/societe/suicide-des-enfants-aspires-trop-vite-vers-le-monde-des-ados_1108784.html
Par Géraldine Catalano, publié le 05/05/2012 à 11:43
Le psychiatre Xavier Pommereau est un spécialiste de l'adolescence en difficulté. Il constate un rajeunissement des enfants suicidaires.
Les cas de suicides de pré-adolescents augmentent-ils en France?
Il n'y a pas d'augmentation du nombre de suicidés de moins de 15 ans dans notre pays depuis dix ans. Nous en sommes à une quarantaine de cas par an, auxquels il faut ajouter les morts violentes suscitant interrogation, comme certains accidents de la circulation, de la vie courante, ou des cas de pendaison, assimilés peut-être trop rapidement à des jeux. Ce que l'on constate, en revanche, sur le terrain, c'est un rajeunissement des suicidaires, et une augmentation du nombre de tentatives. Auparavant, il était rarissime qu'un enfant de 8 ans passe à l'acte.
Comment expliquez-vous ce rajeunissement, et constitue-t-il une exception française?
Les chiffres sont trop faibles pour que les variations d'un pays à l'autre méritent une interprétation. Pour moi, l'explication est à chercher dans notre société fondée sur l'image et la consommation, qui aspire les enfants trop vite vers le monde des ados. Des filles de 7 ans réclament un jean Guess, des chaussures à talons, un téléphone portable... Aujourd'hui, l'adolescence, période de recherche de soi et de fragilité, débute avant la puberté, ce qui rend les enfants très vulnérables.
La conscience de la mort est-elle plus précoce qu'auparavant?
L'information circule si rapidement qu'il est possible que l'idée de la mort apparaisse plus tôt qu'il y a vingt ans, oui. Mais ce n'est pas la mort en elle-même que l'enfant suicidaire désire, c'est la fin de ses tourments.
Le harcèlement scolaire peut-il être la cause du geste suicidaire?
Il est à prendre en compte en tant que facteur déclenchant et accélérant. Cependant, un enfant ne se suicide pas uniquement parce qu'il est harcelé à l'école. Il faut un sentiment de blessure identitaire majeur pour franchir le pas. Cette blessure peut être liée à des troubles psychiques, à des états de pré-schizophrénie, à une orientation sexuelle mal assumée... Pour autant, la qualité de la vie scolaire est essentielle. Des règlements internes flottants, des salles de cantine sans surveillance, des toilettes devenues des zones de non-droit, sont anormaux. Quand les élèves se battent comme des chiffonniers, c'est que le cadre est malade et pas assez "contenant".
Les jeunes sont parfois très violents entre eux sur Internet
L'école est-elle armée pour prévenir le mal-être des élèves?
Les infirmières et les assistantes sociales le sont. Les enseignants, en revanche, ne sont pas formés à la psychologie adolescente. Je parle en connaissance de cause: ma fille est professeur de mathématiques et elle n'a reçu que trois heures de cours de psychologie!
Faut-il s'inquiéter du harcèlement entre ados sur les réseaux sociaux?
C'est vrai, les jeunes sont parfois très violents entre eux sur Internet, mais cette vie virtuelle est une réalité à prendre en compte. Les réseaux sociaux peuvent être à la fois aidants et fragilisants pour les enfants, notamment lorsqu'ils se retrouvent autour d'idées morbides, comme l'anorexie. Les opérateurs devraient être responsables de ce qu'ils diffusent.
Comment détecter les premiers signaux d'alerte?Pour protéger ses proches, l'enfant tait souvent sa souffrance, mais il nourrit en même temps l'espoir secret d'être entendu. Cette double articulation entre silence et besoin de reconnaissance met beaucoup de pression sur les parents, qui doivent provoquer l'échange, ne pas juger, et, au besoin, se faire aider. Toute coupure, au sens propre comme au sens figuré, doit être interprétée comme un facteur de risque : un enfant qui se scarifie, fuit l'école, fugue, boit à l'excès, rompt avec les autres, passe des soirées entières sur Internet, représente un danger pour lui-même