France – A l’occasion d’une session consacrée aux urgences psychiatriques lors du congrès Urgences 2022 [1], la Pre Catherine Massoubre, cheffe du service des urgences psychiatriques et de l'unité de crise du CHU de Saint-Etienne a décrit le dispositif, appelé Psy15, mis en place par son hôpital pour mieux prendre en charge les situations de détresse psychique.
Une plateforme téléphonique en lien avec le SAMU a été créée aux urgences pour répondre aux appels à motifs psychologiques de 9h à 17h30. L’objectif est de faciliter le conseil, d’orienter au mieux les patients en difficulté psychologique et d’éviter le recours massif aux urgences.
Les IDE en première ligne
Dans le cadre du projet de Services d’accueil aux soins (SAS) expérimenté dans plusieurs départements français (avant une généralisation à l’ensemble du territoire) visant à désengorger les services des urgences, le CHU de Saint-Etienne a mis en place une plateforme téléphonique chargé de la régulation des patients en détresse psychique.
Une des originalités du système est que le psychiatre n’intervient qu’en deuxième ligne : ce sont des infirmières (IDE) expérimentées en psychiatrie et/ou psychologie qui prennent les appels. Peu importe le « métier », ce qui compte c’est l’expérience clinique, et bien sûr, former le personnel, précise la Pre Massoubre, ajoutant que le psychiatre n’est jamais très loin.
L’IDE doit pouvoir répondre – donner un conseil médical, proposer une téléconsultation adaptée, mobiliser le SAMU/SMUR ou permettre d’avoir un accès simple à un autre professionnel – par l’option la mieux adaptée à la situation de l’appelant. Pour ce faire, les IDE ont pour rôle de faire le lien avec l’appelant. « Dans le cas de Psy15, la durée moyenne de l’appel a été évaluée à 34 minutes – ce qui est toujours beaucoup plus long qu’en régulation classique mais normal pour de la psychiatrie », précise la Pre Massoubre. Il s’agit d’identifier le problème, puis informer, rassurer et orienter le patient.
« Le repérage se veut multi-dimensionnel, sur une base clinique mais tenant compte du contexte dans lequel se situe la personne et le ton employé ne doit être ni trop directif, ni pas assez, ce qui est parfois assez compliqué », reconnait la psychiatre stéphanoise. Il y a bien sûr nécessité d’une évaluation du niveau d’urgence suicidaire. « Cela est fait systématiquement sur tous les appels à motif psychiatrique de façon à coter le risque en faible, moyen ou élevé, ce qui va nous guider sur l’orientation », explique la Pre Massoubre. Cette évaluation intègre l’évaluation de la dangerosité du scénario – disponibilité et létalité du moyen – et l’estimation de l’intentionnalité suicidaire. Sont étudiés son attitude par rapport à la proposition de soin que l’on peut faire au téléphone et sa vision de l’avenir.
« Attention aux patients qui ruminent de façon incessante, qui sont très agités, présentent de l’anxiété et à ceux qui ne dorment plus – un facteur très important à prendre en compte », prévient la psychiatre.
Attention aux patients qui ruminent de façon incessante, qui sont très agités, présentent de l’anxiété et à ceux qui ne dorment plus – un facteur très important à prendre en compte.
Dans chaque cas, l’intervention doit être adaptée au type d’appel. Concrètement, face à un patient en crise, la posture doit être rassurante, contenante et englobante pour obtenir une désescalade émotionnelle. « Quand la personne n’est pas en crise, le but est d’explorer ses émotions, de les valider, indique l’oratrice. Ne pas imposer son point de vue – car cela ne marche pas vraiment – mais trouver un accord sur les propositions d’orientation ».
Il va s’agir ensuite d’expliquer, de justifier, rationnaliser l’accès aux soins psychologiques – voire psychiatriques – et de renforcer leur adhésion à ce type de soins pour obtenir leur accord.
Accompagner le patient dans sa recherche de solutions
Point essentiel de cette prise en charge, le patient est accompagné dans la recherche de solutions. « Quand une orientation est proposée et acceptée par le patient et que la venue aux urgences peut être évitée, nous décrochons le téléphone pour leur trouver un rendez-vous dans un CMP, ou avec leur psychiatre libéral quand ils sont déjà connus. Pour moi c’est aller jusqu’au bout du travail », considère la Pre Massoubre.
Parmi ce qui peut être proposé en première ligne : les urgences générales, les urgences psychiatriques, la maison des adolescents, un CMP – certains proposent des consultations sans rendez-vous et les patients peuvent y aller directement – ou bien le médecin généraliste. « En deuxième ligne, quand le patient n’est pas totalement en crise, il existe tout un panel de possibilités d’où l’intérêt de bien connaitre le réseau et de savoir comment les gens travaillent pour orienter le patient comme il faut », indique la psychiatre. Dans le domaine sanitaire, on peut contacter un service et proposer un rendez-vous au patient : dans un CMP, dans un hôpital de jour si le patient est déjà connu, voire même une hospitalisation qui peut être programmée, ou encore un rendez-vous en libéral si la personne est déjà suivie par psychologue ou un psychiatre, avec la possibilité de faire avancer un rendez-vous, par exemple. La réponse peut aussi être d’ordre médico-social pour les patients qui sont déjà en foyer, etc.
« Quand l’IDE est dans le doute, elle expose la situation au psychiatre et la décision est prise à deux », précise l’intervenante.
Bilan avec 1 an et demi de recul
Situé en salle de régulation, le dispositif Psy15 a été monté en janvier 2021 et est assuré par des IDE. Faute de moyen, le service n’est ouvert que la journée en semaine. « Une demande a été faite à l’ARS pour ouvrir jusqu’à 22 heures et le week-end car il y a de la demande et Psy15 a montré qu’il évitait le recours aux urgences d’une partie des patients ».
Parmi les motifs de recours aux Urgences Psy15, la psychiatre a listé 25% de patients suicidaires, 30% souffrant d’angoisse, 15% d’agitation, 13% de délires et d’hallucinations. « Quand le patient est extrêmement inquiétant, on bascule sur le médecin régulateur pour envoyer les secours ».
Une première évaluation du dispositif a montré que le temps de traitement d’un dossier (faisant suite à l’appel à proprement parlé) est de 30 minutes. « C’est le temps nécessaire pour remplir la fiche Samu, contacter nos collègues pour obtenir un rendez-vous ou prévenir les Urgences si on y envoie le patient », précise l’oratrice.
Moins d’envoi aux Urgences
Sur la période de janvier à septembre 2021, 55% des appels ont conduit à une arrivée aux Urgences contre 97% d’arrivage aux Urgences pour appels psy avant la mise en place dispositif.
« Ce chiffre est aujourd’hui plus bas, après 1 an et demi, on est passé à 40% d’envoi aux Urgences, ce qui s’explique par l’expérience acquise par les IDE », considère-t-elle.
A savoir : « pour préserver la qualité des IDE et éviter tout risque de surmenage, elles ne font qu’un mi-temps aux urgences psychiatriques et partagent le reste de leur temps avec les urgences générales ». Par ailleurs, un debriefing avec le psychiatre a lieu à chaque fin de journée.
En conclusion, la Pre Massoubre a considéré qu’il y avait « un véritable intérêt au tri téléphonique pour les appels à motif psychiatrique avec des infirmier.es en première ligne (et un psychiatre en soutien), que ce soit pour les patients, pour l’entourage mais aussi pour les professionnels de santé – qui nous appellent aussi quand ils sont en difficulté –, tout en constituant aussi un gain économique pour le système de soin ».
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