Le délicat accompagnement des jeunes en souffrance psychique
Santé Le Figaro, lundi 19 avril 2021
Au Centre intersectoriel d'accueil pour adolescents, à Paris, on s'occupe tout en douceur des jeunes en crise.
Dasinieres, Laure
PSYCHIATRIE C'est un petit bâtiment anonyme doté d'un jardin, lové au cœur du quartier de la Butte aux Cailles, à Paris. Derrière la porte, des jeunes sont réunis dans un salon. Certains ont l'apparence sage, d'autres affichent un look provocateur. Des rires s'échappent. Rien n'indique que nous sommes dans une structure d'accueil pour jeunes souffrant de difficultés psychiatriques. Et pourtant, le Centre intersectoriel d'accueil pour adolescent (Ciapa) est bien un lieu où les adolescents en crise peuvent venir chercher une aide, ponctuelle ou régulière. « Nous ne voulons pas que la structure effraie, qu'elle ressemble aux stéréotypes de l'hôpital psychiatrique, explique le Dr Jean Chambry, chef de pôle. Pour nous, la psychiatrie est un moyen de mieux-être, non de normalisation. »
Ici, tout commence par un appel du jeune en souffrance ou de l'un de ses proches. Une infirmière évalue par téléphone la situation et fait un premier bilan. Elle peut alors proposer un entretien, dans les 48 heures, avec une infirmière en psychiatrie spécifiquement formée et expérimentée ; si la situation est complexe, elle échange avec l'équipe afin de pouvoir organiser un entretien avec d'autres professionnels, par exemple un psychiatre ou une assistante sociale. Une visite à domicile est possible mais, le plus souvent, le jeune est vu sur place. Les infirmières sont aujourd'hui 6 à répondre aux appels et à accueillir les jeunes, et elles mettent un point d'honneur à œuvrer de manière collégiale. « Les temps de réunion et de transmission sont cruciaux , explique une infirmière. Notre pratique est toujours réfléchie, pensée, conscientisée. » Un médecin de garde est également toujours présent.
À l'issue du premier entretien, différentes options s'offriront à l'adolescent : suivi en consultation, accueil en hôpital de jour, hospitalisation à temps plein ou en séquentiel. « L'idée est d'éviter le tout ou rien et de nous adapter aux besoins du jeune et à ses attentes. À quelques exceptions près, nous n'hospitalisons pas de jeunes qui y sont totalement opposés » , signale le psychiatre. Seules exceptions, les tentatives de suicide ou tout type de mise en danger si le jeune n'émet pas de critique sur son comportement. « Nous nous efforçons d'apprivoiser le jeune et de faire de sur-mesure , glisse une infirmière. S'il a objectivement besoin d'être hospitalisé, mais le redoute, nous lui proposons de venir en journée pour s'acclimater et discuter avec les autres... Nous voulons qu'il soit actif dans son soin. » Ici, le consentement est fondamental, pas question de contraindre ou de punir.
Esprit d'ouverture
Quel que soit leur mode d'accueil, les patients circulent comme ils le veulent et sont libres d'échanger entre eux. Ils participent à différents ateliers auxquels prennent part tous les membres de l'équipe - y compris les agents de service hospitaliers, dans la pure tradition de la psychiatrie institutionnelle où l'accent est mis sur la dynamique de groupe et la relation entre soignants et soignés. Groupe de parole, ciné-club, atelier théâtre, écriture, photographie, cuisine, randonnée, expression corporelle... Autant d'activités qui, loin d'être purement occupationnelles, ont une vraie visée thérapeutique. « Ces jeunes ont souvent des difficultés à mettre des mots sur leurs malaises, explique le Dr Chambry. Ces pratiques de médiation leur offrent une manière de parler d'eux différemment. Elles sont aussi un moment de vivre ensemble et de partage d'expérience entre pairs et avec les soignants. »
Ouvert à tous les jeunes du nord de la capitale, le Ciapa est gratuit et a noué des partenariats avec les établissements scolaires, les services de protection de l'enfance et des associations comme France terre d'asile. La structure mêle des patients de tous horizons, et cette mixité participe de l'esprit d'ouverture du lieu, qui s'adapte aux besoins des jeunes : une consultation destinée aux adolescents transgenres ou en questionnement vient d'ouvrir pour les accompagner dans leur cheminement.
Quelle que soit la problématique, la bienveillance est de mise. « Ce sont nos poussins » , sourit une infirmière. La plus grande satisfaction de l'équipe ? Apprendre qu'un jeune s'est autonomisé et va bien, comme cet adolescent suivi entre ses 15 et 18 ans pour des troubles de l'humeur et une structure psychotique. Un énorme travail avait été fait pour lui faire accepter les soins et l'hospitalisation. Il a aujourd'hui 19 ans et vient de passer donner des nouvelles : il travaille dans un restaurant associatif. « On ira y manger tous ensemble dès que cela sera possible » , se réjouit l'infirmière, qui l'avait suivi au plus près.
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