De la psychose au suicide
Jeudi 8 avril 2021 https://www.sciencepresse.qc.ca/*
Le taux de suicide au Québec a amorcé une diminution importante au début du siècle, notamment grâce à l’instauration de différentes mesures de prévention. Le Plan d’action en santé mentale 2015-2020 du gouvernement du Québec recommande toutefois de poursuivre les efforts de sensibilisation et de prévention du suicide, particulièrement auprès des populations vulnérables. Les personnes atteintes d’un premier épisode psychotique font partie de celles-ci. Une meilleure compréhension des caractéristiques mêmes des troubles psychotiques qui augmentent le risque suicidaire pourrait permettre, d’abord, de mieux cibler, parmi toutes celles atteintes d’un premier épisode psychotique, les personnes qui sont à risque de suicide et, ensuite, d’intervenir rapidement auprès de ces dernières.
Aujourd’hui, trois Québécois sont décédés par suicide, et c’est ainsi tous les jours[1].
Le taux de décès par suicide est plus élevé chez les personnes qui
présentent un premier épisode psychotique (PEP), soit 18 fois plus élevé
que dans la population générale[2].
Avant même leur premier contact avec les services psychiatriques, de
26,2 % à 56,5 % des individus qui présentent un PEP auront des idées
suicidaires et jusqu’à 10 % d’entre eux feront une tentative de suicide[3].
Ces pensées ainsi que ces comportements sont accompagnés d’une grande
souffrance tant chez ces personnes que chez leurs proches. Pour en venir
à diminuer le taux de suicide chez cette population, les chercheurs
s’intéressant aux PEP tentent de définir les caractéristiques des
troubles psychotiques qui contribuent au développement des idées
suicidaires, des tentatives de suicide ainsi qu’au décès par suicide.
Un début qui importe
Le PEP représente l’émergence d’un trouble psychotique caractérisé par une altération du contact avec la réalité[4]. Il survient généralement entre 15 et 26 ans chez les hommes et entre 24 et 32 ans chez les femmes[5]. Les deux à cinq années qui suivent le PEP sont déterminantes, puisqu’elles prédisent l’évolution à long terme de la personne sur le plan de son fonctionnement (travail, école, relations sociales, etc.) et de ses symptômes. En effet, un plus jeune âge au moment de l’apparition du trouble psychotique augmente le risque de tentatives de suicide et de décès par suicide[6]. Une plus longue durée de psychose non traitée* est également associée à un plus haut risque de tentatives de suicide au début de la maladie[7]. D’ailleurs, des programmes d’intervention pour PEP ont été mis en place au Québec et dans plusieurs pays du monde, tels que le Royaume-Uni, l’Australie et la Norvège, pour soutenir les personnes atteintes d’un PEP[8]. Ces programmes permettent notamment de minimiser les effets de cette maladie en offrant, de façon précoce et intensive, un traitement pharmacologique adapté, un suivi continu, un accès à des services de soutien à l’emploi et aux études, un soutien à la famille ainsi qu’une transition vers d’autres services à la fin de la période de soins[9]. En plus de ces programmes d’intervention pour PEP, la détermination des caractéristiques des troubles psychotiques associées au risque suicidaire, comme les événements de vie difficiles, les symptômes psychotiques et les troubles associés, permettrait de cibler dès le début de la maladie les personnes à risque de suicide et d’intervenir sur les facteurs modifiables.
Avant même le début de la maladie, de nombreux facteurs sont
impliqués dans l’apparition du trouble psychotique. Ceux-ci seraient le
résultat d’une interaction entre des facteurs biologiques (dont des
prédispositions génétiques ainsi qu’une configuration cérébrale
particulière) et des stresseurs socioenvironnementaux[10].
D’ailleurs, les personnes atteintes d’un PEP ayant vécu récemment des
événements de vie stressants et traumatiques, tels que des difficultés
financières, des problèmes de logement ou des abus, auraient un risque
presque deux fois plus élevé de présenter des comportements suicidaires[11].
Des interventions visant à développer des stratégies d’adaptation pour
faire face aux événements de vie négatifs, comme des stratégies de
gestion du stress, de résolution de problèmes et de régulation
émotionnelle, pourraient réduire le risque suicidaire chez cette
population[12]. Des études seront toutefois nécessaires pour tester l’efficacité de ces interventions sur le risque suicidaire.
La psychose
Toujours dans l’optique de cibler rapidement les personnes à risque de suicide, une étude australienne s’est intéressée au lien entre le type de trouble psychotique et le suicide[13]. En effet, les personnes atteintes d’un PEP peuvent présenter différents types de troubles psychotiques, tels que la schizophrénie*, qui est le diagnostic le plus courant, le trouble schizophréniforme* ou encore le trouble schizoaffectif*[14]. À partir d’un échantillon composé de 280 personnes atteintes d’un PEP, suivies pendant une durée moyenne de 7 ans, l’étude australienne révèle que le type de trouble psychotique n’est pas en soi associé au risque de tentatives de suicide[15]. Toutefois, certains symptômes communs à ces différents troubles pourraient accroître le risque suicidaire.
En effet, les troubles psychotiques incluent différents types de symptômes, dont les symptômes positifs et les symptômes négatifs[16]. Les positifs comprennent les hallucinations, les idées délirantes et les comportements désorganisés. Les symptômes négatifs font plutôt référence à une diminution des aptitudes ou fonctions usuelles de la psyché d’une personne, comme le manque d’énergie et d’intérêt, le manque d’expressivité affective, et la difficulté à amorcer ou à maintenir une conversation.
Une étude, réalisée au Royaume-Uni en 2011, portant sur une cohorte
représentative de 2 132 personnes atteintes d’un PEP rapporte qu’un plus
grand cumul de symptômes positifs et négatifs (4 et plus) serait
associé à un risque de suicide près de 7 fois plus grand que la présence
d’une moins grande variété de symptômes[17].
Plus précisément, des délires de grandeur, caractérisés par l’idée que
son rôle, sa puissance et son statut sont bien plus importants qu’ils ne
le sont réellement, ainsi que des comportements à risque (conduite
dangereuse, dépenses excessives, comportements sexuels à risque, etc.)
doubleraient le risque de suicide.
Les troubles associés
En plus du cumul de symptômes psychotiques, qui accroîtrait le risque suicidaire, d’autres troubles mentaux qui surviennent souvent de façon concomitante au trouble psychotique sont à prendre en considération dans l’évaluation de ce risque. Notamment, les personnes vivant un PEP qui présentent des symptômes dépressifs demeurent plus suicidaires que les personnes n’ayant pas de tels symptômes sur une période de dix ans[18]. Afin d’intervenir sur ces symptômes, les individus atteints d’un PEP qui sont dépressifs pourraient être encouragés à participer à une thérapie cognitivo-comportementale*, qui est fréquemment offerte dans les programmes d’intervention pour PEP. Une méta-analyse* portant sur dix études ayant évalué l’efficacité de cette thérapie auprès de populations variées rapporte que la thérapie cognitivo-comportementale permet de réduire de moitié le risque d’une nouvelle tentative de suicide[19]. Ce constat demeure à évaluer auprès des personnes présentant un PEP. Un diagnostic concomitant de trouble de la personnalité limite* est également associé à un risque plus élevé de tentatives de suicide[20].
Comparativement aux symptômes dépressifs et au trouble de la
personnalité limite, la consommation d’alcool et de drogues est moins
clairement associée au risque suicidaire. Dans la population générale,
l’abus et la consommation de substances sont associés à un risque
suicidaire accru[21].
Cependant, en ce qui concerne les personnes qui présentent un PEP,
certaines études rapportent que la consommation abusive de drogues est
associée au risque suicidaire, alors que d’autres études n’établissent
pas une telle relation[22].
Néanmoins, plus de 50 % des personnes présentant un PEP auraient eu un
trouble lié à l’usage de substances au cours de leur vie[23].
Dans un contexte où certaines études ont montré une association entre
la consommation problématique et le risque de tentatives de suicide, la
consommation et ses conséquences demeurent importantes à considérer dans
l’évaluation du risque suicidaire[24].
La détection rapide
Un outil d’évaluation du risque suicidaire qui tiendrait compte des
caractéristiques des troubles psychotiques qui sont associées aux
comportements suicidaires permettrait aux professionnels œuvrant auprès
des personnes atteintes d’un PEP de mieux cibler celles qui sont à
risque de suicide et de les soutenir plus rapidement. Cet outil pourrait
cibler le jeune âge au moment de l’apparition du trouble psychotique,
la plus longue durée de psychose non traitée, les événements de vie
stressants et traumatiques, le plus grand cumul de symptômes, les
délires de grandeur accompagnés de comportements à risque, les symptômes
dépressifs, le diagnostic concomitant de trouble de personnalité limite
ainsi que la consommation problématique. D’autres études portant sur
l’ensemble des facteurs pouvant influencer les idées et les
comportements suicidaires sont encore nécessaires pour mieux
caractériser les personnes atteintes d’un PEP à risque de suicide et
ainsi intervenir en prévention. La détection rapide du risque suicidaire
chez les personnes souffrant d’un PEP est l’une des stratégies
permettant de contribuer à l’effort de prévention du suicide au Québec
et, donc, de poursuivre la diminution du taux de suicide amorcée au
début du siècle.